ITW-FEST’HIVER : Justine Wojtyniak pour Notre classe

25 janvier 2017 /// Les interviews
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Ce n’est pas pour rien que sa compagnie s’appelle Retour d’Ulysse*. En effet, Justine Wojtyniak a transmis et expérimenté les théories théâtrales de Tadeusz Kantor. Elle crée Notre classe de Tadeusz Stobodzianek, au Théâtre des Halles, les 2 et 3 février. Interview.

« Notre classe » ©Ania Winkler

Tout d’abord, comment se sent-on à la veille d’une première ?
Justine Wojtyniak : Rires Je pense que je me sens un peu effrayée par la matière, même si mon équipe et moi avons passé trois années à approcher ce sujet. La première lecture du texte a eu lieu en 2014, dans le cadre du festival L’Europe des Théâtres et c’est à ce moment-là que j’ai compris la nécessité intime d’en faire un spectacle.

Pourquoi êtes-vous effrayée ?
J. W. : Tadeusz Stobodzianek a écrit Notre classe à partir d’interviews de témoins qui se sont sauvés des pogroms**. L’auteur n’invente rien, il utilise la vraie parole des gens récoltée à partir de récits d’investigations de Jan Grosset d’Anna Bikont. Le seul et unique témoignage d’un survivant est celui de Samuel Wasersztajn. En la prononçant sur un plateau, nous avons une responsabilité envers l’histoire et la mémoire.

Vous êtes donc passeurs de cette partie de l’Histoire polonaise.
J. W. : Oui. Nous nous sommes engagés en connaissance de cause. Lorsque nous avons commencé à travailler, il se passait des choses très fortes pour nous. L’acte de s’intéresser à a mis en action notre façon de penser. Quelque part, c’est ma mémoire intime qui est touchée, en tant que polonaise, et avec les acteurs de différentes origines, on s’est rendu que cette histoire n’est pas une prérogative de l’Histoire polonaise. Ce texte est la métaphore d’une communauté qui se déchire face à des événements politiques. Et malheureusement, cela se passe encore aujourd’hui.

Effectivement, le texte est encore d’actualité et revient à poser cette question : est-ce que la guerre ne fait pas partie intrinsèque de l’homme ?
J. W. : Complètement. En plus, j’ai une conviction que si on ne travaille pas sur les zones d’ombre de nos propres histoires, ces histoires finissent par se retourner contre nous. C’est ce qu’il se passe en Pologne. Le gouvernement actuel tente de faire annuler les lois du devoir de mémoire que ma génération a mis en place et condamne toutes personnes qui osent blâmer le polonais. L’Histoire est réécrite dans les manuels scolaires et il y a une interdiction de fouiller pour faire émerger la mémoire. Le nationalisme montant crée ainsi de nouvelles tensions. Il y a une scission dans la société polonaise aujourd’hui.

Votre parcours artistique à croiser l’expérience kantorienne.
J. W. : En effet, je viens du théâtre de Tadeusz Kantor avec des formes très expérimentales, à la lisière du théâtre d’objets, du théâtre dansé, avec un parti pris marqué pour la musique. Le texte a toujours été un prétexte pour convoquer la mémoire intime afin de créer ensemble sur scène. Je prônais jusqu’à présent ce théâtre là. Et aujourd’hui, je me retrouve avec ce texte qui me touche profondément. C’est la première fois que je mets en scène un texte. J’ai essayé de ne pas trahir sa théâtralité, avec cet objectif : donner à entendre la polyphonie des voix écrites.

Comment avez-vous constitué votre équipe de 10 acteurs ?
J. W. : L’auteur est partie d’une photo de classe pour écrire son texte. J’ai retrouvé cette photo dans des archives. Ces personnes avaient des visages, des caractères, une identité et n’étaient pas simplement des noms dans un texte. Je me suis alors rapprochée de celles et ceux avec lesquels j’avais déjà travaillé, pour certains, ou qui suivent mon travail depuis mon début, pour d’autres. J’ai fait un casting très intuitif. J’ai mis des visages sur les personnes de la photo. Pour indication, je leur ai dit : “On ne joue pas, on est tout simplement. On se fait traverser par la parole d’un mort”. Ils sont au plus près des personnages. Il y a quelque chose de très fort qui se passe entre les comédiens sur le plateau.

Vous allez créer Notre classe au Fest’Hiver. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
J. W. : C’est quelque chose que je ne planifiais pas. Alain Timar a été la première personne qui a répondu à mon appel et qui a senti ma profonde nécessité que j’avais à faire entendre ces voix. Que le spectacle se crée au Théâtre des Halles, cela fait sens avec la démarche de son directeur, de son projet humaniste. Notre classe fait écho à toutes les questions qui le préoccupe. Je suis très fière de donner ma première au moment de ce festival.

*Retour d’Ulysse (1944) est une création de Tadeusz Kantor

**Pogrom : Historiquement, le terme désigne des attaques violentes commises sur des Juifs par des populations locales non-juives dans l’Empire russe et dans d’autres pays.

Notre classe
De Tadeusz Słobodzianek
Mise en scène de Justine Wojtyniak
Traduction du polonais : Cécile Bocianowski, scénographie, costumes : Manon Gignoux, lumière : Hervé Gajean, collaboration chorégraphique : Sylvie Tiratay, musique (contrebasse) : Stefano Fogher
Avec : Claude Attia, Fanny Azema, Serge Baudry, Tristan Le Doze, Stefano Fogher (contrebassiste), Julie Gozlan, Georges Le Moal, Gerry Quévreux, Zosia Sozanska, Zohar Wexler
Texte publié aux éditions de l’Amandier (2012)

Au Théâtre des Halles (Avignon), les 2 et 3 février : 04 32 76 24 51.
Au Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie (Paris), du 25 avril au 12 mai.

Notre classe fait l’objet d’un crowdfunding

Laurent Bourbousson

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