ITW : Nasser Djemaï : Je crois que la société fabrique des appartenances fictives.

26 juillet 2018 /// Les interviews - OFF
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La pièce de Nasser Djemaï, Vertiges, est à découvrir durant ce #OFF18 au Théâtre des Halles. Interview de l’auteur, au cours de laquelle il est question d’identité, de mondialisation, et de son théâtre.

Nasser Djemaï interroge les identités constituantes d’une famille maghrébine dans Vertiges. Il montre, constate afin que le spectateur s’empare de ce qu’il voit. Interview.

Laurent Bourbousson : Si nous disons que Vertiges, votre dernière création, traite du vivre-ensemble au sein d’une fratrie, est-ce que cela vous convient ?
Nasser Djemaï :
C’est très juste. En fait, cette famille est une sorte de micro-société, dans laquelle chacun s’emploie à essayer de vivre avec l’autre. On observe des chocs imaginaires, car c’est ce dont il s’agit, et ces imaginaires cohabitent sous le même toit. Je trouve cela encore plus intéressant à observer quand cela se passe au sein d’une famille d’origine maghrébine qui habite dans des quartiers pauvres ou dits sensibles, car elle est une famille comme les autres, traversée par les mêmes problématiques de vivre-ensemble.

L. B. : Est-ce que vous faites tout un travail en amont, tel un sociologue qui effectuerait un travail de terrain, pour parvenir à l’écriture de vos pièces ?
N. D. :
J’effectue un travail documentaire et d’observation pour l’écriture de mes textes. La raison de cette démarche est que je reste persuadé que les sujets que j’aborde, notamment sur la construction identitaire, sont des sujets qui secouent un peu notre société et qui traversent notre mémoire collective. Ils sont complexes et demandent une certaine délicatesse d’approche. Alors, je prends beaucoup de temps à observer, à écouter avant d’écrire, alors que je suis issu des familles dont je parle.

L. B : Et vous construisez vos fictions à partir de ces matériaux ?
N. D. :
Oui. Cela m’évite de dire des bêtises ou d’assèner des clichés, les médias s’en chargent très largement ! Je me permets de prendre le temps pour parler des sujets d’actualité. Ensuite, et parce que c’est mon métier, mon objectif est de faire du théâtre parce que nous ne sommes ni dans le documentaire, ni dans la conférence.

L. B. : Avez-vous été surpris par ce que vous avez pu découvrir lors de vos recherches pour l’écriture de Vertiges ?
N. D. :
Je croyais être très en avance, légitime ou à l’aise avec les sujets que j’abordais. Pour le sujet de la radicalité, par exemple, qui demande un véritable investissement de recherche pour comprendre ce qui se trame, j’ai été surpris de voir ce qui se jouait dans ces micro-sociétés et dans le rapport entretenu avec leur pays d’origine. Ce rapport est très complexe.

L. B. : Aujourd’hui, le terme “identité” est galvaudé. Ce thème est omniprésent dans vos créations. Quelle en serait votre définition ?
N. D. :
Mahmoud Darwich a dit “L’identité n’est pas un héritage, mais une création. Elle nous crée et nous la créons constamment. […] J’essaie d’élever l’espoir comme on élève un enfant. Pour être ce que je veux, et non ce que l’on veut que je sois”.
Effectivement, la question de l’identité est un combat de tous les jours. C’est une appartenance qui peut être religieuse, ethnique, sexuelle… c’est multiple. Ce n’est pas forcément un héritage.
La phrase de Mahmoud Darwich est essentielle aujourd’hui avec la mondialisation qui accélère nos questions, qui rapproche certaines communautés et en éloigne d’autres. Je pense qu’au plus la mondialisation va prendre de la place, plus les revendications identitaires vont s’accroître.

L. B. : Est-ce un danger ?
N. D. :
Oui et non, car le sentiment d’appartenance a toujours existé, mais puisque nous sommes dans une société en pleine mutation, la bonne question à se poser est de savoir pourquoi on appartient à tel mouvement. Je pense aux gamins des banlieues qui s’identifient aux jeunes palestiniens, et qui partent pour la Syrie. Je me pose la question de savoir ce qui motive cette appartenance ? Pouruoi ? Comment ? Ce sont des vraies questions auxquelles il faudrait répondre.

L. B. : Cette idée d’appartenance ne traduit-elle pas le manque de rêve que la société peut offrir ?
N. D. :
Nous sommes dans un système de société de consommation. Je crois que la société fabrique des appartenances fictives. Je pense que ce sont des choses à interroger et le théâtre peut être là pour le faire.

L. B. : Votre théâtre permettrait-il cela ?
N. D. :
Je n’aurai pas la prétention de dire cela. Ce que je m’amuse à faire, est de montrer les choses. Je mets des personnages dans des situations, avec des logiques internes, une façon de penser, d’agir, qui est très singulière pour chacun des personnages. Ensuite, je laisse le spectateur travailler. Je ne donne pas de recettes, je ne donne pas de fiches techniques pour expliquer ce qu’il se passe. Je lui fais confiance et je le laisse se saisir de l’inconscient des personnages.

L. B. : Quel est le plus beau compliment que l’on vous ait fait à l’issue d’une représentation ?
N. D. :
Il y en a plusieurs, mais un des plus beaux est que je ne donne pas de leçon. Je suis auteur, metteur en scène, acteur, et ce que je peux faire, c’est montrer.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Vertiges de Nasser Djemaï | texte et mise en scène Nasser Djemaï | avec Fatima Aibout, Clémence Azincourt, Zakariya Gouram, Martine Harmel, Lounès Tazaïrt, Issam Rachyq-Ahrad | création lumières Renaud Lagier | création sonore Frédéric Minière

À découvrir jusqu’au 29 juillet, à 11h00, au Théâtre des Halles.

Première mise en ligne : 29 mars 2017.

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