Lucie Augeai (Cie Adéquate) : Nous expérimentons nos questionnements avec nos corps, car c’est notre moyen d’expression.

9 février 2016 /// Les interviews
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Lucie Augeai et David Gernez ont eu la bonne idée de créer leur propre compagnie de danse Adéquate, en 2010. Interview de Lucie, avant leur arrivée à Avignon pour la création de JOB, dans le cadre du Festival Les Hivernales. On parle parcours de danseur, de celui de chorégraphe, de leurs pièces passées… de leur JOB quoi !

Quel a été le parcours de chacun de vous car rien ne vous prédestinait à une carrière de danseur, et quel a été le déclic qui vous a amené à collaborer ?
David et moi avons des parcours peu conventionnels, nous n’avons pas fait le conservatoire, ni de grandes écoles supérieures. David était informaticien avant de faire de la danse, moi, je préparais Sciences Po. La danse nous est tombé dessus de manière un peu brutale et ce sont des parcours de vie qui ont changé des orientations.
Quand on s’est rencontré, ça a été surtout un coup de foudre artistique, aussi, et surtout en discutant de nos expériences respectives, on avait envie d’améliorer un truc. Parfois, j’étais insatisfaite de ce que je dansais, il me manquait toujours quelque chose. Et du coup, je me suis dit que si il me manquait quelque chose, je n’avais que le faire moi-même.
A l’époque, David travaillait avec Emanuel Gat. Il a été un catalyseur de mouvement. Ça a été vraiment une révélation pour lui. Il y avait quelque chose comme une évidence dans le fait de travailler le mouvement d’Emanuel, le mouvement lui convenait parfaitement, mais effectivement la transmission ne se faisait pas par le regard, les mains. Et c’est ce qui nous a réuni, David et moi, l’envie de réhabiliter ces deux parties du corps, qui sont un peu oubliées en danse contemporaine, l’envie de chorégraphier des visages, des regards, des mains. Et tout ça au service d’une danse fluide, électrique, qui nous caractérise aussi. On se situe dans le courant de la danse qui a du mouvement, qui bouge.
Mais créer nos propres chorégraphies pour passation par rapport au public, par rapport à nous ??? Nous étions trentenaires tous les deux et c’est la question de notre génération : comment on trouve sa place ? Et cela a motivé notre travail de recherche chorégraphique. C’est pour cela que l’on s’est interrogé de la place que nous avions dans le couple, dans une fratrie, par rapport à son regard, par rapport à son métier… Nous sommes toujours dans ces questionnements là et nous expérimentons tout cela avec nos corps, car c’est notre moyen d’expression.

Ce qui est intéressant est de se prédestiner à une carrière à mille lieues de la danse et se retrouver sur un plateau. Est-ce que l’on peut dire que la danse a été une révélation, et surtout comment vous y êtes arrivés ?
Il y a un poids de la société qui pèse sur toi. Je suis issue d’une famille qui n’est pas du tout en lien avec l’artistique, où si il y en a, il faut chercher du côté des arrières grands parents et ils n’ont pas eu le droit de vivre de ça car ça ne se faisait pas. Il y avait un tabou. Pour mes parents, c’était très difficile d’imaginer que l’on pouvait vivre de ça. Par ailleurs, il y a encore des personnes qui nous posent la question.
Pour David, issu d’un milieu plus populaire, c’est la même réflexion, qu’est-ce qu’il va faire de la danse, en plus un garçon ! La maman de David a fait du chant. Il y a une sensibilité artistique qui existe. Il a commencé à créer un duo avec une petite copine, à 10 ans, à l’occasion d’une fête, et cela a germé. A 19 ans, il a était invité à prendre un cours de danse, et là tu essaies et tu tombes amoureux de cet art. Pendant très longtemps, tu caches ta passion, parce que de toute manière tu ne penses pas que ça puisse aboutir, et puis au bout d’un moment , il y a un déclic qui se fait sur la possibilité que ce puisse être un métier. Le fait de rencontrer des gens qui vivent de ça, tu te dis que toi aussi tu peux en vivre, que ça peut être chose qu’être un hobby.

Le solo W pour lui est dansé par David. Pouquoi W pour elle n’est pas dansé par toi ?
Tout simplement car j’étais enceinte. Quand la création a commencé, il était impossible de tout faire en même temps. rires. Je ne tenais pas particulièrement à danser ce solo. J’avais envie de tester notre possibilité de transmission. Il y a toujours des moments de questionnements avec David où on se dit on continue d’avancer comme ça, on change, l’étape d’après c’est quoi… Et là je voulais poser la question de l’ouverture de la compagnie à d’autres. Est-il intéressant de transmettre, de ne pas rester sur nos petites personnes ?

Aurais-tu envie de reprendre ce rôle ?
Oh non, pas du tout ! Je ne le reprendrai jamais. En plus, ça été écrit sur Marie Rual (interprète du solo), avec elle, c’est un solo pour elle et pas pour moi.
Et il faut dire aussi que je ne suis pas attachée au plateau. Je n’estime pas que ce soit ma place de prédilection. Je m’aime bien à l’extérieur au contraire. Sur
JOB, j’y suis allé car on n’avait pas le choix financièrement de prendre beaucoup de personnes de l’extérieur.

Tu préfères être la chorégraphe ?
Je ne vais pas défendre bec et ongle ma place à l’intérieur car je la laisserai volontiers. Mais pour JOB, j’avais envie d’être avec eux. Je voulais vivre cette première expérience de groupe sur cette pièce, de partager avec mes camarades, afin de ne pas être uniquement à l’extérieur.

Que signifie de passer à une pièce à 7 interprètes pour la compagnie ?
C’est un cap pour la compagnie. On n’a pas attendu 10 ans pour mettre 7 personnes sur le plateau, et de cela j’en suis fière. Déjà d’avoir une compagnie est un défi et de faire des pièces à plus 3, le défi devient encore plus grand ! Le défi se portait sur la structuration de la pièce, avoir des choses à dire avec 7 personnes durant 1h00 et de développer le propos. Et puis cela veut dire aussi que l’on grandit et que l’on a des projets d’envergure qui donne accès à des plateaux plus grands. Cette pièce arrive au moment de ces constatations. On n’a pas mis 7 personnes parce que l’on trouvait le chiffre beau, on avait envie de masse et 7 c’est le début de la masse, ce qui n’est pas réel à 5, qui représente pour nous un petit groupe.

JOB ©HervéTartarin

JOB ©HervéTartarin

Vous vous entourez d’interprètes aux expressions multiples ?
Nous avions déjà travailé avec Marie Rual, qui a un parcours plus traditionnel (CNSDP..) et Alexandre Blondel (cirque hip hop danse contemporaine). On a recruté par audition car on ne voulait s’entourer que d’amis qui faisait partie de notre famille de danseurs. Les 3 autres Claire Lavernhe, la plus jeune, s’est formée dans des écoles amateurs, et a travaillé à Londres, en Allemagne, Jean Magnard, vient du hip-hop, il s’est formé en Angleterre, et Smaïn Boucetta, 43 ans, est un ancien maçon qui a fait le CNDC d’Angers, il a travaillé pour Christian Rizzo… Le but pour JOB était de trouver des gens avec des univers et des expériences totalement différentes pour pouvoir en témoigner.

Une question sur la parcours de la compagnie : est-ce que l’on a envie parfois de changer une pièce, et quelle serait la pièce pour laquelle tu as le plus d’affection ?
J’estime que lorsque une création est faite, elle est faite. Elle témoigne d’un état d’esprit et du moment où elle a était créée. Après, effectivement, on peut y revenir dessus en changeant le rythme de certains passages mais on ne peut pas la modifier totalement et ce n’est pas non plus très souhaitable. J’ai toujours des choses à redire sur chacune des pièces, il y a des choses que j’aimerais bouger, transformer, et je m’en empêche. J’ai toujours un coup de cœur particulier pour Nœuds, c’est la colonne vertébrale de la compagnie et c’est celle que nous avons le plus dansé. C’est celle que je danse avec mon mari et je l’ai dansé jusqu’à 6 mois de grossesse. Elle témoigne d’une histoire qui dépasse le cadre professionnel strict. Mais après, on a toujours une affection particulière pour toutes les pièces. Les solos, sont moins diffusés car il y a une contrainte technique énorme que l’on ne se pose pas forcèment au moment de la création.

Quelle serait la définition du job de danseur et celui de chorégraphe ?
Une chose est sûre, c’est que ce n’est pas du tout le même. rires. Pour le job de danseur, c’est la disponibilité… Oui, comment se rendre disponible aux questions, comment se rendre disponible corporellement aux écritures différentes, à sentir l’air du temps, être là et en même temps être ailleurs… C’est passer d’un chorégraphe à un autre, passer d’une période intense de création à l’euphorie de la scène. Ce qui est le plus difficile à maîtriser dans ce métier, c’est l’ascenseur émotionnel que cela représente. Il faut être plutôt solide dans ta tête et dans ton corps pour pouvoir supporter ces chocs émotionnels intenses. C’est un des rares métiers où on est applaudi lorsque l’on a bien dansé, et où on peut être traîner à terre, lyncher car tu ne réponds pas à ce qu’attend le chorégraphe. Le danseur se met constamment en danger, l’interprète c’est toi et donc ça peut être très difficile.
Etre chorégraphe, c’est faire des choix, tout le temps. Tu sais pas si le choix que tu fais est bon mais tu le fais quand même.
rires.

Entretien réalisé le jeudi 4 février 2016.
JOB est à découvrir le samedi 13 février 2016, dans le cadre du Festival les Hivernales (Avignon).
La Compagnie Adéquate est à suivre sur Vimeo.
Laurent Bourbousson

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