Rencontre avec la Cip d’Avignon autour de la question des Intermittents

5 octobre 2014 /// Les interviews
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Afin de prendre réellement conscience des enjeux basés sur la nouvelle convention d’assurance chômage Unedic qui a ouvert la voie à la mobilisation des Intermittents, j’ai demandé à rencontrer des membres de la Coordination des Intermittents et Précaires d’Avignon. La rencontre a bien eu lieu et c’est Guigou Chenevier, mandaté par la Cip-Avignon, qui revient sur les enjeux cette mobilisation, et pose son regard sur les 3 sages, Olivier Py et sur le monde politique.

Pour mieux comprendre les enjeux qui se jouent en 2014, il faut remonter à 2003, lors de la signature de l’accord du 26 juin ?

Oui, tout à fait. Au printemps 2003, lors du projet de convention Unedic (validé le 26 juin 2003), nous avons constitué un comité de suivi, composé de parlementaires, toutes tendances politiques hors extrême droite, et de différentes forces syndicales. Ce comité a pour but de défendre les droits sociaux des intermittents, entre autres, et a été créé pour demander l’abrogation de ce texte. L’application de cette convention a eu l’effet que nous lui connaissons (précarité, fragilisation des statuts, annulation de nombreux festivals…). Ce comité a fait tout un travail et a même porté une proposition de projet de loi (une PPL).
Nous sommes aujourd’hui dans le même scénario qu’hier : la convention Unedic avait été validée le 26 juin 2003 par le gouvernement de l’époque. Peut-être par preuve de cynisme, il en a été de même avec la nouvelle convention puisqu’elle a été validée le 26 juin 2014.
En 2003, nous revendiquions le retour à une ouverture de droit de 12 mois sur 507 heures, une annexe unique pour les techniciens et comédiens.
En 2006, les heures faites en direction des actions pédagogiques pour l’éducation artistique par des comédiens n’ouvrent plus à une ouverture de droit. Ces heures font l’objet d’une déclaration au régime général, ce qui est totalement absurde. Le discours politique, qui met en avant l’éducation artistique et invite les équipes artistiques à faire ce travail, n’entre pas en adéquation avec la réalité car si tu fais cela, selon le nombre d’heures effectuées, tu tombes dans le régime général qui n’est pas du tout fait pour notre rythme de travail. Donc, nous revendiquons l’idée que les heures faites en pédagogie ouvrent droit à l’intermittence.
Le Medef a fait une opération de communication fabuleuse avec cette convention Unedic en annonçant que le plafonnement des revenus mensuels à 5 475 euros ! Ce que les médias ont omis de dire, est que le plafonnement ne doit pas dépasser 2 smics et demi, salaire et indemnités de fin de contrat cumulés, ce qui est différent du salaire net. De toute façon, ce plafonnement n’est jamais atteint, sauf pour une centaine de personnes en France.
Deux autres points qui nous font bondir, la discrimination sur les matermittentes [1] (le calcul des congés maternité est différent du régime général et est désavantageux) et les congés maladie (il n’existe plus d’équivalence aujourd’hui). Nous revendiquons un système équitable pour ces deux cas.

Toutes ces propositions ont été chiffrées par Mathieu Grégoire et Olivier Pilmis, dans un rapport commandé par le Syndéac [2]. Ce rapport montre que nos propositions, par rapport à la convention de 2003, apportaient une économie de 300 000 euros par an. C’est là que ça devient intéressant lorsque Gattaz annonce que les gens devraient avoir des propositions. C’est d’un cynisme le plus total. Les propositions sont là, elles n’ont jamais été étudiées, et elles sont chiffrées moins chères que ce qui a été mis en place avant.

Que se cache-t-il derrière cette volonté de ne pas se servir de ces propositions ?

Le projet du Medef est de supprimer purement et simplement les droits sociaux, de fonctionner à l’anglaise ou à l’américaine avec quasiment plus de droits, une main d’œuvre flexible à volonté, un salaire à 2 euros de l’heure comme on peut le voir en Allemagne, Evidemment que le régime particulier des intermittents est une épine pour eux, car il est un des rares, voir le dernier régime, à prendre en compte la précarité d’une activité. Puisque le projet des patrons est d’avoir une main d’œuvre corvéable à merci avec le moins de droits possibles, avoir ce régime dans le paysage social français est très dangereux.

Nous avons entendu cet été le slogan « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ». Peux-tu nous en parler ?

Ce slogan est de la Coordination Nationale des Intermittents et précaires. Il est très important de souligner le « et des précaires ». Cela signifie que lors de la crise des intermittents de 2003, nous avons compris que ce qui était en jeu pour nous concernait tous les précaires (travailleurs, chômeurs…) quelque soit le secteur d’activité. Les projections qui ont été faites, de calquer les droits du régime des intermittents sur le régime général et les personnes du régime général sur le régime des intermittents, dans les deux cas, cela coûterait plus cher que ce que ça coûte aujourd’hui. Cela signifie bien les régimes sont bien adaptés à notre pratique respective. Ce régime a été pensé pour les activités qui nous sont propres.
Ce qu’il faut rappeler c’est que le régime particulier d’assurance chômage des intermittents a été créé en 1936, par les techniciens du cinéma, car ils travaillaient sur de courtes périodes. De par leur spécificité de leur mode de travail, il fallait trouver un système adapté à leur pratique.
Il y a une vidéo sur le site de l’INA de Michel Piccoli qui parle du métier d’acteur [3]. Je cite souvent cette vidéo car mêm si elle date de  1970, elle est toujours d’actualité.
Dans son ensemble, le projet politique, qui est derrière, est libéral et consiste à réduire le nombre de droits sociaux. Denis Gautier-Sauvagnac, n° 2 du Medef en 2003, avait déclaré, lors de la mise en application de la convention UNEDIC de 2003 « ce n’est pas un problème que cette nouvelle convention coûte plus cher à l’UNEDIC que la précédente. Le plus important c’est qu’elle dégage un maximum de gens du
régime spécifique de l’intermittence ». Et c’est le projet initial.
Ce qui est invraisemblable, c’est que nous sommes dans une période où tout le monde tire vers le bas, au lieu de dire : « il faut que l’on réclame et que l’on revendique la même chose que ceux qui ont des droits intéressants », on entend : oui, eux ils ont droit, il faut leur supprimer ! Mais « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ! »

On parle beaucoup du Ministère de la culture et de la communication dans ce dossier. Mais n’est-ce pas le Ministère du travail qui est en première ligne pour traiter toutes ces questions ?

Effectivement, ce n’est le ministère de la culture et de la communication qui prend la décision. La personne qui peut changer les choses est le ministre du travail, en l’occurrence François Rebsamen. Quand on voit qu’il a signé des tribunes du comité de suivi, défendant nos positions, 15 jours avant d’être ministre, et le jour où il est nommé ministre, le voir changer radicalement de positions, et qu’il annonce qu’il ne peut pas ne pas signer cette convention sous prétexte qu’il y a eu dialogue social, alors qu’il n’y en a eu aucun, c’est tout simplement hallucinant.
Ce qui est bien plus grave et qui touche plus loin que la questions des intermittents, c’est la question de la démocratie dans ce pays.
Par contre, ce qui est intéressant de souligner est que début septembre le gouvernement a été obligé de passer un décret pour tenir ses engagements sur le fameux différé d’indemnisation. Cela démontre que si l’Etat a une volonté politique, il peut bien sûr intervenir et refuser cette convention.
Maintenant, si le principe est que tous textes signés par des partenaires sociaux doit être obligatoirement signé par les ministrables, cela signifie que le ministre du travail ne sert à rien, car il ne fait plus un travail d’arbitrage !

Quelle est la vision de la CIP de la fameuse concertation en place et sur les 3 sages, Patrick Gille, Jean-Denis Combrexelle et Hortense Archambault ?

Jean-Denis Combrexelle est un cas très intéressant car il a été le patron des inspecteurs du travail. Il a participé, durant son règne en tant que directeur de l’inspection du travail, qui a duré 10 ans, à dézinguer le système de l’Inspection du travail. C’est une personne qui a une pensée libérale.
Jean-Patrick Gille a fait des rapports dans le passé qui était plutôt intéressant et en faveur de nos positions. Il s’est félicité de la signature de la convention Unedic. Là, on ne peut pas imaginer qu’il soit très près de nos positions.
Et Hortense Archambaud… Loin de moi de remettre en question tout le travail artistique qui a été fait par cette co-direction au Festival d’Avignon (Hortense Archambaud et Vincent Baudriller ont été co-directeurs du Festival d’Avigno de 204 à 2013), mais à chaque fois que nous avons essayé de mener des actions sur le plan des droits sociaux pour les artistes, cela a toujours été une réponse de non recevoir en mettant en avant qu’ils étaient engagés sur l’artistique. C’est quelqu’un, je pense, qui connaît très très mal le dossier sur le plan social.

Que pensez-vous d’Olivier Py par rapport à ses prises de position lors du festival cet été ?

J’aimerai élargir la réflexion par rapport à ta question. D’un côté, on rencontre un problème majeur qui est la généralisation d’un manque de courage politique, à tous les niveaux, pour traiter de la question des intermittents.
Maintenant, pour revenir à ta question et afin d’y répondre de façon directe, et encore une fois, je ne remets pas en cause le travail artistique, mais lorsque Olivier Py se retrouve à la place place de directeur du festival d’Avignon, le plus grand festival national, il n’est plus là en tant que metteur en scène mais en tant qu’homme de pouvoir, avec tous les enjeux économiques et politiques que cela représente.
L’époque bénie de Jean Vilar, dans laquelle les gens avaient un courage politique et où l’enjeu économique était moindre, n’existe plus car cette liberté de mouvements a changé.
J’ai fait la connaissance d’Olivier Py lorsqu’il a fait la grève de la faim pour Sarajevo, avec Maguy Marin, que je connais très bien (histoire de se raviver la mémoire : ici). En résumé, c’est quelqu’un qui a pu être engagé dans certain combat mais qui a une soif de pouvoir évidente. Je n’ai pas été surpris par ses prises de positions car dans la position dans laquelle il est, je ne voyais pas du tout ce qu’il aurait pu faire.

Le rapport des sages doit être remis en décembre. Avez-vous des attentes ?

Non, il n’y a aucune attente. Le Medef a annoncé qu’il n’était pas question pour lui de remettre à plat cette convention avant la prochaine convention Unedic, dans 3 ans, date à laquelle les droits rechargeables marcheront à plein régime. A ce moment là, le Medef s’apercevra, mais cela il le sait déjà, que cela coûtera trop cher et du coup les supprimera. Le but final de de cette mise en place est de dézinguer le régime des intermittents et des intérimaires. Le prochain gros morceau sera le régime général.
On peut attendre des choses quand il y a une mobilisation. SI il n’y a pas de manifestations, de lieux occupés, que le gouvernement voit que l’on n’occupe pas le terrain, nous n’obtiendrons rien. Et là, il faut reconnaître que la mobilisation a baissé.

Pourquoi la date du 1er octobre, journée nationale de grève, a été retenue ?

La date du 1er octobre a été retenue car c’est à cette date que la convention s’applique de façon générale et impacte tous les chômeurs et travailleurs précaires. Depuis, le 1er juillet, seule une partie de cette convention a été mise en application. Pour les intermittents du spectacle, de façon spécifique, cela signifie que les contrats de travail issus du régime général, ce que l’on appelle les petits boulots alimentaires, vont ouvrir des droits rechargeables dans ce domaine là et ils ne pourront plus réintégrer le système de l’intermittence car il faut épuiser ses droits rechargeables du régime général pour basculer dans l’autre.

Et la suite ?

Comment on envisage la suite… Le problème que l’on rencontre aujourd’hui est de fédérer le plus grand nombre. La solution serait que tous les gens qui vont être touchés par cette nouvelle convention se mobilisent, avec une convergence des luttes. Confronter les idées, travailler collectivement semble beaucoup plus difficile que la tentation d’aller vers la simplicité : voter l’extrême droite par exemple. Et on s’aperçoit alors que la démocratie est beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre.

[1] : Pierre-Jérôme Adjedj – Les matermittentes
[2] : Rapport intermittence_rapport-public-syndeac2014
[3] :
http://player.ina.fr/player/embed/CAF86015569/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/460/259

Propos recueillis le 29 septembre 2014.
Laurent Bourbousson – Ouvert aux publics

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