Vu : Aux Hivernales, « Rien à déclarer du côté du ciel » déroute

15 mars 2015 /// Les retours
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Mathieu Heyraud et sa partenaire Céline Larrere ont embarqué le public dans une drôle de variation autour de l’errance des âmes et de la vacuité.

Imaginez vous mort. Drôle d’entrée en matière mais essentielle pour ce qui va suivre.
Les deux protagonistes sont déjà installés en lieu et place lorsque le public pénètre dans la salle : l’une est assise sur un des fauteuils avec son masque de chat et l’autre fait le guet sur le fond de la scène. Le public les remarque ou non, peu importe, ils font parti intégrante de la proposition et cet artifice du visible/invisible, bien que déjà vu, donne à Rien à déclarer du côté du ciel le début d’une réflexion sur l’être humain : Sommes-nous réellement visibles dans nos vies ?

© Cie R/Ô

© Cie R/Ô

Lorsque Céline, affublée de son masque de chat, commence à danser dans les gradins afin de regagner la scène, le silence ne se fait pas. La lumière allumée d’une salle signifie, certainement, que l’on peut continuer à bavarder. Depuis le fond de scène, Mathieu envoie des signaux de lumière grâce à la boîte qui recouvre sa tête. Il est tel le phare en pleine tempête.
La bascule dans le fantastique est certaine lorsque Céline grimpe sur scène. Elle est rejointe par cet autre, provenant du fond, et cherchant son chemin. Comme retenues dans cet entre-deux, ce lieu dans lequel rien n’est advenu et où tout peut arriver, ces deux âmes perdues prennent des allures de malheureux augustes.
Roi et reine en leur temps, que sont-ils une fois dépossédés de leur vie ? Que devient-on une fois que notre existence n’est plus ? Et si nous continuions notre existence une fois défunt, quel aspect aurait cette nouvelle vie ?
Les deux âmes perdues errent sur scène, se cherchent et finissent par se trouver. La fine écriture chorégraphique de Mathieu Heyraud convoque le dadaïsme pour mettre en exergue la vacuité de nos vies sur terre.

C’est avec les yeux recouverts d’un masque que le visage de Mathieu Heyraud apparaît. Il nous renvoie l’aveuglement dont nous sommes pleins et les gestes gauches, hésitants, perdent et laissent échapper toute rationalisation de pensée.
L’enfant que vous étiez ne s’embêtait-il pas quelque fois ? Pourquoi l’adulte devrait-il toujours donner un sens à des actions ? De l’ennui naît alors le véritable enjeu de cette proposition et questionne : mais que sommes nous venus voir ? Nous, tout simplement, nous répondent nos doubles.

Une détonation remet de l’ordre dans cette errance. Ils (nous) ne sont (sommes) plus perdus entre la vie sur terre et ce quelque part, lieu indéfini. Les gestes deviennent plus harmonieux et ce qui semblait être chaos n’est plus car, finalement, mettre un but à tout cela vient à redéfinir notre système de pensée et de faire.

La mise en espace de Rien à déclarer du côté du ciel dans la chapelle du Théâtre du Chêne Noir (Avignon) teinte cette proposition d’un ressenti particulier. En aurait été t-il autrement dans un autre lieu, certainement.
La fausse fin, les dialogues imaginés provenant du public (avec un superbe : « Mais pourquoi ai-je programmé cela ? »), et le lapin, témoin de notre passage vers, confèrent à la création de Mathieu Heyraud une force féconde en imaginaire. Certes, le public a été, globalement, dérouté et a trouvé dans cette proposition la justesse du titre…
Pour ma part, les anges de Win Wenders m’ont accompagné durant cette traversée poétique et Les Idiots de Lars Von Trier n’étaient pas très loin non plus.
Quel plaisir d’être là, uniquement là, pour profiter et laisser filer la pensée librement, sans contrainte.

Laurent Bourbousson

Rien à déclarer du côté du ciel a été vu dans le cadre du Festival CDC-Les Hivernales, le mercredi 25 février au Théâtre du Chêne Noir (Avignon).

Retrouvez Mathieu Heyraud dans Les rencontres

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