VU #OFF18 : Faust, un grand Collectif 8

27 juin 2018 /// Les retours - VU #OFF
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Le Théâtre le Sémaphore (Port-de-Bouc) a eu la très bonne idée de programmer le Collectif 8 pour son adaptation de Faust. Étrangement peu programmé dans les départements ouest de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (et ils sont nombreux dans ce cas !), ce collectif n’hésite pas à s’embarquer dans des aventures théâtrales immenses. Ici, Faust. Retour. (Date de parution initiale : 31 octobre 2016)

Faust - Crédit photo : Meghann StanleyGaële Boghossian a le sourire aux lèvres lorsque la représentation touche à sa fin. Le succès, rencontré dans la salle du Théâtre le Sémaphore (Port-de-Bouc), atteste de la grandeur de cette pièce que le public a vécu durant les 2h00 de représentation, nécessaire pour lui révéler la véritable nature de l’âme humaine.

Le désir de « monter » des textes à la scène peut venir de deux choses : soit celui de s’attaquer à une oeuvre (il y a toujours l’idée de « s’attaquer à » quand on met en scène un texte !) ou, tout simplement, parce que des événements sociétaux poussent le metteur en scène vers ce choix.
Pour Gaële Boghossian, il y a des deux. Tout d’abord, comme elle l’évoque, elle avait envie de ce Faust depuis des années et ensuite, parce que les attentats de 2015 ont été le déclic pour créer une pièce autour de la nature humaine. Un pari aussi fou que celui-ci vaut déjà d’être salué, et être applaudi par la suite, car le public retiendra de ce Faust, une maîtrise parfaite de la construction du récit, de la direction de comédiens, de l’usage de la vidéo et de la bande son, jouée en live ce soir-là.

Le mythe de Faust

L’imaginaire collectif réduit le mythe de Faust souvent à cela : Faust aurait vendu son âme au diable pour pénétrer les secrets de la nature et jouir de tous les plaisirs interdits. Si le point de départ de l’histoire est plutôt celui d’un pari entre l’homme et Méphisto que celui d’un pacte, certaines adaptations se concentrent uniquement sur l’histoire d’amour entre Faust et Marguerite. Or, s’en tenir à cela, laisse en suspens le duo Méphisto/Faust. En donnant une suite à cette histoire, près de 60 ans après le premier tome, Goethe met au centre de son récit la dualité bien/mal lorsqu’il est question de pouvoir et livre, ce que l’on pourrait définir de précurseur et de visionnaire, les dérives du capitalisme et du totalitarisme, que nous connaissons malheureusement.
Ce ne seront pas moins de 9 traductions qui auront servi à Gaële Boghosian pour adapter Faust à la scène.

Lorsque tout est symbiose sur scène

Faust - Crédit photo : Meghann StanleyLe décor, sorte d’empilement d’espaces, sert parfaitement les différentes strates du texte. En utilisant le proscenium comme espace de jeu, le public a l’impression de faire partie de la distribution. Judicieuse idée, puisque c’est sur cette avancée que Méphisto interpellera le commun. Le centre de la scène est le laboratoire de recherche du professeur Faust. Ce lieu se métamorphosera au fur et à mesure de la pièce grâce à l’apport de la vidéo, maîtrisé jusque dans les moindres détails. C’est ici même que Faust vivra pour la première et dernière fois une folle passion avec Marguerite. La structure du décor invite à lever les yeux. En hauteur, Clément Althaus donnera la voix aux anges et démons qui ponctuent les dialogues. Sa musique, jouée en live, parfait le jeu des comédiens.

Chacun livre, ainsi, une partition de son jeu toujours juste, sans débordement. Paulo Correia livre une formidable interprétation de Méphisto, s’amusant avec lui (on peut y voir certains clins d’œil à Nosfératu de Friedrich Wilhelm Murnau) et le rendant ainsi véritablement humain. Fabien Grenon est un Faust touchant. La faiblesse du personnage, palpable tout au long de la pièce, lui permet de jouer sur une palette de sentiments pour mieux révéler l’être humain dans sa complexité. Le tour de force de ces deux comédiens revient au fait, également, qu’en plus d’être justes dans leur interprétation, ils s’échangeront leurs rôles -Méphisto deviendra Faust au moment du pari et vice-versa- pour mieux souligner le fait que rien n’est réellement neutre dans l’être humain. Mélissa Prat est poignante dans son interprétation de Marguerite. Elle la fait vivre jusque dans sa folie meurtrière transgressive, celle de l’infanticide. Clément Althaus livre une composition musicale à la hauteur de l’enjeu, celui de faire balancer l’histoire dans un champ en mouvance entre le bien et le mal.

Faust - Crédit photo : Meghann StanleyTout est histoire de dichotomie dans ce Faust. Si la première interrogation revient à se demander si la science peut tout nous apporter et éclairer notre vision du monde, elle interroge aussi sa suprématie. Qu’advient-il alors de l’homme de science si celui-ci échoue dans sa démonstration ? Est-ce que la nuance n’a pas sa place dans la recherche scientifique pour mieux aider dans l’élaboration d’un corpus de réflexions ? L’amour est également mis à rude épreuve. L’histoire d’amour tragique entre Faust et Marguerite montre à quel point l’homme peut se révéler faible face à l’autre. Une certaine idée du pouvoir éclaire la relation. Ce pouvoir, que mettra en scène Goethe dans son second tome, amènera à la dérive totalitaire et au fondement du capitalisme.
Quel est le salut de l’humanité dans notre histoire commune ? peut se demander le public. Est-ce que l’homme est face à un choix unique, celui de l’enfer ou du paradis ? Si tel est le cas, peut-il réellement se sauver de lui-même ?

Dans ses écrits, Goethe faisait la démonstration de l’âme humaine telle qu’elle était et telle qu’elle restera. Au théâtre, le Collectif 8 en fait une grande pièce et parfait cette démonstration dans un ensemble sublime.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : Meghann Stanley

Faust d’après Johann Wolfgang von Goethe | Metteure en scène et adapatatrice Gaële Boghossian | Avec Clément Althaus, Paulo Correia, Fabien Grenon, Mélissa Prat | Musique Clément Althaus | Lumière Samuèle Dumas | Création vidéo Paulo Correia | Costumes Gaële Boghossian, Romain Fazi | Scénographie Collectif 8, Divine Quincaillerie

Faust a été vu le 7 octobre 2016, au Théâtre Le Sémaphore – Port-de-Bouc.
À ne pas rater au 11 Gilgamesh (Avignon), du 6 au 27 juillet 2018 à 10h15. Renseignements : ici

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