Vu : Habiter la frontière, la tectonique des plaques émotionnelles

30 octobre 2015 /// Les retours
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Patricia Guannel (Cie Le rêve de la soie) a présenté, à Klap-Maison pour la danse (Marseille), sa première création. Habiter la frontière questionne la complexité de l’existence humaine. Critique.

Il faut écrire sur le champ qu’Habiter la frontière est un acte créatif. Il questionne la porosité que chacun entretient en rapport avec le monde. La chorégraphe-interprète, Patricia Guannel, tire un long fil imaginaire qu’elle déroule du fond de la scène jusqu’à son bord. Elle entreprend, ainsi, de répondre aux questions fondamentales de l’existence humaine : de quoi sommes-nous fait ? de quoi sommes-nous traversé ?

Tout commence à l’abri du regard. De derrière un cyclo parviennent des points lumineux. L’obscurité de la salle est étouffante. Le regard se raccroche aux points perdus à l’horizon. Les mouvements que décèlent le public sont lents. Ils sont habillés d’une nébuleuse. Tout est ouaté, cotonneux. Comme si un embryon se développait. Un fil vert se tend. L’humain se décide à franchir le mur transparent. L’interprète naît.

Avec pour compagne la pénombre et ses délicieuses variations d’intensité, Patricia Guannel esquisse sa danse, une danse à l’énergie contenue. Ses gestes développent un corps tout en muscle. Elle se débat. Le public assiste à sa mue. Elle avance. Sa trajectoire la mène sur le fil de la vie, identique à celui du funambule qui demande un équilibre toujours juste, entre le peu et le trop.
Le milieu de parcours, moment merveilleux d’entre les deux bâches, joue avec le regard et le trouble de la perception. Les deux bâches, sorte de peau, constituent les costumes de la vie. Elles donnent la mesure du je[u] dans cet acte créatif. Les images, qui se dégagent de cette étape charnière dans l’existence, sont d’une intensité à la fois douce et violente. La porosité avec l’environnement cristallise le mouvement perpétuel de l’être. La fluctuation des sentiments modifie la gestuelle, à la fois, ronde et d’une rage sourde.
Délaissant ses costumes d’interprétation, Patricia Guannel avance un peu plus vers le public. La lumière s’intensifie, la pénombre est délaissée au profit d’une couleur chaude, laissant éclater la peau de celle qui est.

Patricia guannel - Habiter la frontière ©PatrickServius

Patricia guannel – Habiter la frontière ©PatrickServius

De la forme polymorphe, du fond de scène, à la forme d’être, le tracé de vie a aiguisé, modelé, celle qui se présente à jour.
Sur le bord du plateau, à jardin, un tissus rouge, en boule, est posé là, tel un guide, un phare au milieu de la nuit. La lumière se fait plus vive. Une tension est palpable. L’interprète est devant le public, mise à nue, telle qu’elle est : elle. Sans artifice, on devine son chemin de vie. Elle s’offre au regard et c’est dans un élan qu’elle jaillit hors de son cadre de représentation, dans un noir profond, assommant. Son corps est proche. Elle attend immobile dans une forte respiration, résultat de la mise sous-tension et d’attention des émotions vécues.

Patricia Guannel définit les rites de passage, dans ce triptyque pictural. Elle offre aussi la possibilité à son public de faire évoluer cette pièce à leur façon. A son public de s’emparer de ce bel objet chorégraphique.

Habiter la frontière a été vue à Klap-Maison pour la danse, le 19 octobre 2015. A découvrir et à vivre en février 2016 lors du festival Les Hivernales à Avignon.
Laurent Bourbousson
Photo : Patricia Guannel – Habiter la frontière ©PatrickServius

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