Avec La rémanence des lucioles, Maria Clavaguera-Pratx met en lumière l’humanité. Ce qu’il en reste.

12 avril 2016 /// Les retours
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Maria Clavaguera-Pratx, de la compagnie La Lanterne, signe avec La rémanence des lucioles une pièce sur les aspects politique, social et économique de notre société. Une pièce qui mérite toute l’attention des programmateurs. Retour.

C’est dans l’actualité que Maria Clavaguera-Pratx a puisé pour l’écriture de sa dernière création. La découverte de la ville secrète, en 2013 par le gouvernement Russe, sous le marché moscovite Tcherkizovski, a été le déclencheur. La rémanence est ce lieu sous-terrain dans lequel des individus (les lucioles) vivent en autarcie, n’ayant plus leur place dans la société. Cela pourrait s’apparenter à une légende urbaine si l’histoire ne se répétait pas à New-York, voire peut-être Paris. Nous voici face à cette société invisible, aux yeux des quidams, société dont nous faisons partie pour l’occasion.

Une famille recomposée, celle des oubliés

La rémanence des lucioles

La rémanence des lucioles

Lorsque vos semblables ne vous voient plus, lorsque vous vous retrouvez effacés de la surface, un autre lieu de vie existe. Il se trouve sous terre, dans les bas-fonds d’une ville. Dans La rémanence des lucioles, les lucioles ont un but, celui de continuer à vivre, loin d’une société qui les rejette. Il y a la mère, le guetteur, celui qui ne parle pas, l’enfant (à travers lequel est questionné notre rapport à la différence), et des âmes errantes qui sont là, bien présentes. Tout ce monde vit avec ses codes et ses règles dans la pénombre absolue.

La vie s’organise ainsi, loin d’un système clivant, d’avantage et toujours plus, les gens entre eux. Les plus faibles, victimes du système d’oppression dans lequel nous vivons, finissent sous terre, loin des yeux de tous. Mais tout n’est pas simple dans la vie d’en-dessous. Les rôles sont alors répartis, non sur une hiérarchie, même s’il en faut une, mais plutôt dans le sentiment d’un vivre-ensemble où l’un accompagne l’autre. Le coursier sortira de temps en temps, mais pas trop pour ne pas éveiller les soupçons. Il ira soit au supermarché du coin faire des courses, soit fouiller dans les poubelles. La question de l’argent se pose, inévitablement. Il vient de la vie du dessus. Il est le résultat de la manche faite ici et là (magnifique scène de Micha qui s’entraîne à la mendicité et interroge la position de celui qui donne, dans un grand éclat de rire : Il faut attirer de la compassion lui dit-on).

Lieu des sentiments exacerbés

Tous se sont trouvés et tous vivent ici, avec chacun leur raison que nous ignorons mais peu importe le pourquoi du comment.
Dans ce lieu clos, tous les sentiments sont exacerbés, tous sont à fleur de peau, dans une tension maximale. L’insécurité règne dans ce royaume qui fait penser au Pays imaginaire, si cher à Peter Pan. Mais ici, les enfants abandonnés se sont transformés en des adultes victimes de l’exclusion.
On cri, on éructe, on se moque du haut, ici-bas. On surveille les allées et venues de ceux d’en haut, surtout depuis que des travaux ont lieu au-dessus, on s’écharpe, et on s’aime. Tout ceci donne droit à des scènes rêvées (cette scène du duo entre Vincent Clavaguera et Anatole Couëty notamment dans laquelle les deux corps dévoilent la peau de l’un et l’autre, peau que l’on aurait presque oubliée) et c’est au travers de ces scènes que Maria Clavaguera-Pratx redonne un visage humain à cette société.

La rémanence des lucioles

La rémanence des lucioles

Une écriture simple et efficace au croisement de différentes disciplines

L’auteur met en mots l’extrême violence des sociétés contemporaines, où le mépris de l’autre fait désormais partie du quotidien. Il y a cette phrase dite par Matthieu Beaufort (Micha dans la pièce) qui répond qu’ici (en bas), il n’y a pas de trisomie, ou encore celle de la mère (Géraldine Roguez) qui se réveille en plein cauchemar car en haut, on passe à côté d’elle mais on ne la voit pas (coucou, je suis là ! Putain, mais tu ne me vois pas). Les mots sont d’une simplicité désarmante pour dire les ravages qu’ils entraînent.
Maria Clavaguera-Pratx a travaillé 2 années sur cette création. Elle unit différentes disciplines (cirque, danse, théâtre) pour les faire communiquer et n’oublie pas les arts plastiques. Le plateau ressemble une installation que l’on trouverait dans des galeries ou musées. Tout ceci confère à projeter le public dans ce lieu, qui devient sa demeure pour le temps de la représentation.
Pour faire vivre tout ceci, elle s’est entourée de Vincent Loubière, à la lumière, et de Willy Connell, au son, orfèvres d’une technique au service de ce qui se joue sur le plateau. Ici, au Périscope, c’était une occasion unique de voir la proposition enrichie par l’accueil d’amateurs, ces fameuses âmes errantes. Avec 12h00 de stage, ils ont su trouvé leur place dans cette tragédie contemporaine.

Maria Clavaguera-Pratx permet au public la possibilité de voir ce qu’il reste de l’humanité, de croire en un possible, et de rectifier la ligne que nous nous traçons. Peut-être aussi, avant de finir tous sous terre, avant qu’il ne soit trop tard.

Laurent Bourbousson

La rémanence des lucioles a été vue au Théâtre Le Périscope, le mardi 5 avril 2016.
Blog de la compagnie ici

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