Carol Prieur (Cie Marie Chouinard): Il y a quelque chose de très animal, de très primal, dans l’énergie du mouvement.
A l’occasion du 38e festival des Hivernales, la compagnie Marie Chouinard présente Gymnopédies et Henri Michaux : Mouvements, le samedi 13 février, à l’Opéra du Grand Avignon. Interview de la danseuse Carol Prieur qui vient de fêter ses 20 ans au sein de la compagnie. Un interview entre circulation d’énergie et rires, entre Montréal et Avignon. Photo ci-dessus : HENRI MICHAUX : MOUVEMENTS – Photo : Sylvie-Ann Paré – Interprète : Carol Prieur
Vous faites partie de la distribution des deux pièces (Gymnopédies et Henri Michaux : Mouvements) que vous allez présenter à l’Opéra du Grand Avignon. Pouvez-vous nous parler de leurs constructions ?
L’idée de la pièce Henri Michaux : Mouvements part d’un livre offert à Marie Chouinard. Ce livre présente des dessins et des poèmes de l’auteur. Marie a toujours souhaité faire un solo autour de ce livre, mais elle ne l’a jamais fait. Pour mes 10 ans au sein de la compagnie, elle a eu l’idée de m’offrir un solo et le point de départ a été ce livre. Je me souviens de lui avoir dit que je voulais qu’elle danse avec moi sur scène, qu’il fallait qu’elle fasse partie de cela. rires. Et on a commencé la pièce comme ça. La pièce initiale et celle d’aujourd’hui ne sont plus la même chose ! Le début était vraiment une recherche de création, ouverte au public. Toutes deux sur scène, c’était comme si nous étions à l’intérieur d’une répétition. Il y avait une image qui se présentait, Marie prenait la forme, moi je la copiais. Et après, ça a évolué dans une pièce de groupe. Cette pièce est comme de lire une partition de musique car Marie prend les images d’Henri Michaux et nous autres, nous devenons ces images, on se transforme, on mue. C’est une pièce dans l’urgence : l’urgence d’être, de devenir, d’exister. Et si on suit l’énergie du texte, c’est ce que l’on va voir sur scène : l’urgence d’existence.
Pour Gymnopédies, il s’agit d’une autre énergie. On rentre dans un monde romantique, il y a le piano, les danseurs jouent la musique de Satie. On devient des musiciens et des interprètes du mouvement. Le départ de la pièce est une recherche autour du mouvement érotique, de la copulation, de la doctrine tantrique. Cette pièce raconte les différentes façons d’être en relation, le tout dans une poésie, un peu comme un rêve.
Si vous aviez à définir le style de la compagnie, la signature de Marie Chouinard, quels seraient-ils ?
La signature de Marie est à la fois fluide, expressive, dynamique et architecturale.
Il y a la base de toute la respiration qui influence le rythme et son changement. Tout est relié à la respiration, au mouvement de la colonne vertébrale. Il existe une connexion spirituelle et physique, avec les pieds dans la terre et puis l’énergie du crâne dans le ciel. Le corps devient une écriture dans l’espace. Les extensions du corps deviennent des genres de pinceaux pour tracer le mouvement.
Dans toutes ses pièces, les mouvements sont empreints de sexualité ou de sensualité. Elle n’a pas peur de cela. Il y a quelque chose de très animal, de très primal, dans l’énergie du mouvement, mais chaque pièce est unique. Elles évoluent chacune dans un univers différent avec une autre couleur, une autre texture. Marie puise toujours dans sa poésie d’images.
Lorsque l’on regarde différents extraits des pièces de la compagnie, on a l’impression que quelque chose émane de la performance…
En effet. Quand Marie était soliste dans les années 70-80, tout était performatif, ce n’était pas nécessairement de la danse, pas du théâtre, pas de l’art visuel, mais un peut de tout ça. Elle est le produit de cette période. C’est quelque chose qui existe toujours dans son travail. Elle n’est pas seulement une chorégraphe, elle écrit, elle fait la scénographie, elle est intéressée par tout, elle est une artiste. Son travail fusionne le monde et comment elle a besoin d’être dans le monde. C’est à 360 degrés, multidirectionnel, et la réponse à cela est vraiment d’être.
Elle nous pousse à faire des choix individuels qui représentent, pour elle, toutes les possibilités de l’humanité, les possibilités d’être. Ça fait partie intégrante du travail dans la compagnie. Cela nous responsabilise à être dans le moment présent, à questionner, à amener notre vécu avec nous sur scène. Etre sur scène n’est pas juste de copier et devenir une copie conforme. Nous amenons notre point de vue, notre vécu, nos perspectives, nos histoires… et parfois ces apports sont présents dans son oeuvre.
Dans le documentaire que vous a consacré la compagnie à l’occasion de vos 20 ans de carrière, vous dites que vous ne savez jamais comment va se passer une création…
Oui, effectivement. rires. Au départ, on sait que ça va être un temps de jeu, complètement ouvert et libre, et sans jugement. Il y a ce temps où on va juste plonger dans l’inconnu et où tout peut vraiment se passer, sans limite, sans encadrement. Après, tranquillement, ça se forme, ça va dans des directions, sans vraiment se sculpter, mais on ne va pas nécessairement savoir. Parfois, Marie nous donne des indices, qu’elle veut travailler avec des pointes, ou bien des éléments particuliers qu’elle amène dans la musique… et on se retrouve à apprendre le piano. rires. Et c’est ce qui est fantastique.
Elle vous oblige à surpasser vos propres limites aussi ?
Complètement ! Il y a quelque chose d’étonnant là-dedans. Par exemple, maintenant je fais des pointes, je joue du piano, je fais des claquettes… Avant je ne faisais rien de tout cela. Marie est quelqu’un qui ouvre les horizons. Elle est toujours en questionnements, toujours à vouloir améliorer, à vouloir aller plus loin. C’est vraiment fantastique et cela est l’énergie de Marie. Elle est une visionnaire de cette façon là.
Et elle vous transmet son énergie…
Oui, Oui, et il faut suivre. rires. Il y a un côté athlétique, avec un entraînement quotidien. C’est la première couche du travail dans la compagnie. Ensuite, une fois que le mouvement devient fluide, que les intentions sont intégrées, on entre dans des états, on devient autre chose. On vit des expériences sur scène dans lesquelles on dépasse nos états d’être que nous pourrions vivre dans un autre travail.
Vous serez sur scène au Théâtre des Salins (Martigues) pour Prélude à l’après-midi d’un faune et Le sacre du printemps. Interpréter ces pièces signifie quoi pour vous ?
C’est revenir à quelque chose de familier et faire face à l’inconnu en même temps car il y a toujours une nouvelle façon d’entendre la musique. Le Sacre, c’est faire face à la possibilité de vie. Il faut se donner complètement. Tu as la trouille avant de monter sur scène, tu te sens vulnérable… Quand je monte sur scène, c’est comme si je rentrais en guerre. Je ne sais pas comment ça va se passer. Il y a une telle énergie qui se dégage de cette musique.
Lorsque nous sommes sur le plateau, on sait que l’on fait quelque chose de bien car on communique et on transmet les œuvres, et ça c’est vraiment génial.
Un conseil pour des futurs danseurs ?
Sur scène, il faut se donner complètement.
Pour découvrir le très beau documentaire CAROL PRIEUR danseuse/dancer COMPAGNIE MARIE CHOUINARD, rendez-vous sur le site de la compagnie.
Gymnopédies et Henri Michaux : Mouvements, le samedi 13 février 2016, à l’Opéra Théâtre d’Avignon dans le cadre du 38e Festival Les Hivernales.
Prélude à l’après-midi d’un faune et Le sacre du printemps, le vendredi 26 février 2016, Les Salins – scène nationale de Martigues.
Interview réalisé le lundi 1er février 2016
Laurent Bourbousson
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