Interview Michèle Addala – Cie Mises en Scène – L’Entrepôt

21 juin 2020 /// Les interviews
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Fondée en 1985 par Michèle Addala, la compagnie Mises en Scène a été le catalyseur de bon nombre de comédien.nes et metteuses et metteurs en scène que l’on retrouve aujourd’hui sur les plateaux de différents théâtres (Agnès Régolo, Kristof Lorion, Ana Abril…). Implantée depuis ses débuts dans le quartier Monclar d’Avignon, la compagnie s’installe en 2002 derrière la gare centre à la lisière de l’intra et de l’extra-muros, à L’entrepôt. Ce lieu conforte et amplifie le travail de création que mène la compagnie engageant des artistes professionnels et de nombreux amateurs, un travail à la croisée du poétique et du politique. Malgré les crises planétaires multiples, et au lendemain de notre confinement, 2020 ouvre, pour Michèle Addala et son équipe, de nouveaux horizons où le Vivant et le collectif ont plus que jamais leur place.

Comment avez-vous vécu cette période de confinement ?
J’ai mélangé mes préoccupations personnelles à la situation générale. J’ai vécu tout cela comme un coup de bambou derrière les oreilles. J’ai été sidérée par la situation. Le mot sidération est le bon mot. La peur d’avoir peur a été mon premier ressenti.

Avec les annulations en cascade de spectacles et des festivals, l’urgence d’intervenir se situait à quels endroits ?
Notre dernier stage enfant avait été annulé en mars, 2 jours avant l’annonce officielle du confinement. Durant les premiers quinze jours de confinement, les artistes qui dirigent les stages, l’équipe administrative et moi-même, nous sommes demandé comment maintenir le lien avec nos adhérents, notamment avec les personnes qui se trouvaient en situation de détresse économique ou sociale. Pour nous qui tissons des relations au quotidien avec la population, il fallait réagir en urgence.
Nous avons pris la mesure de la catastrophe de tous ceux qui vivaient isolés, que ce soit à l’hôpital, avec les personnes âgées qui sont en long séjour, et avec le reste des groupes enfants, adolescents et adultes. Nous avons mis en place toute une série d’interventions avec l’aide des réseaux sociaux.

Le travail de création en mode confinement pour Mises en Scène

Comment cela s’est-il passé concrètement ?
Pour les personnes âgées, avec l’aide du personnel soignant et de tablettes numériques, une fois par semaine Mardjane Chemirani, que l’on a pu voir dans Ligne 14, animait ses ateliers avec chacun d’eux. Le temps d’interventions était très long, de 13h à 18h ! mais de voir le bonheur sur leurs visages nous a profondément émus.

Avec les groupes d’enfants, après l’éclosion des formes spectaculaires Ligne 14 en juin 2019, où l’avenir était notre fil conducteur, nous avons ré-engagé à la rentrée des parcours de création à partir de la question « Au dehors ». Les groupes travaillent à partir de matière textuelle des auteurs contemporains, de travail d’improvisation. Avec le confinement, Ana Abril, metteuse en scène, a poursuivi ce travail. Ils ont continué à répéter la pièce en cours d’écriture avec leurs mères, frères et sœurs. Les enfants ont raconté leur enfermement, l’ont mis en scène. Le travail entamé avec les groupes intra-scolaire s’est malheureusement stoppé net.

Avec les adolescents, cela a été un peu plus compliqué car ils sont déjà sur les réseaux sociaux et ils ont des groupes d’amis. Ils étaient moins impliqués sur toute cette période. Mais nous avons quand même reçu des vidéos, des textes sur les consignes données qui les invitaient à raconter le réel, ou à le transposer. Tout ceci sera sans doute retravaillé par la suite.

Avec les adultes, le groupe « femmes » nous étions plus dans ce que l’on pourrait appeler « les Paroles du réel ». Dans ce temps si particulier, elles ont eu plus de mal sur l’aspect poétique. Elles ont consolidé leur relation entre elles, se sont données du courage durant toute la période, car cela a été très difficile pour elles, particulièrement pour les mères isolées.

Il faut que l’on retrouve les espaces propices à l’invention, à l’exploration.

Il est vrai que les réseaux sociaux ont été d’une grande utilité durant cette période, et encore aujourd’hui, pour continuer de créer. Mais je pense que vous avez hâte de voir en personne tout ce monde dans votre lieu ?
Nous avons tous besoin du regard de l’autre, de sentir l’autre, de l’espace du plateau, de sortir de chez soi. Il faut que l’on retrouve les espaces propices à l’invention, à l’exploration. Nous en sommes là aujourd’hui.

Je me suis convertie à Whatsapp pour l’occasion. Cela nous a tous permis de nous projeter sur la suite, car s’il y avait eu une rupture de contact, tout aurait été à recommencer, et on sait à quel point c’est difficile de repartir de zéro. Nous avons profité de cette dynamique de relation permanente. Des petites choses nous sont parvenues et nous allons essayer, avec l’aide de la réalisatrice Camille Morhange, d’en faire quelque chose.

Vous êtes habitué à des projets pharaoniques, résultats d’ateliers dirigés par les intervenants. Avec ces vidéos reçues durant le confinement, vous allez poursuivre la démarche entreprise et donner une suite à Ligne 14 ?
Oui, parce que la relation ne s’arrête pas avec le projet encours. Nous sommes en recherche permanente. ICI LOIN, la dernière création de la compagnie (émanant du processus LIGNE 14) qui devait être jouée pendant le festival, va être retravaillée et nous nous disons que cette création va devoir être traversée par ce choc incroyable que l’on a tous vécu personnellement et collectivement. Ce que vous appelez projet pharaonique est un assemblage de bulles créées à différents endroits et que l’on essaie de relier. Ces bulles relèvent de l’intime, nous ne sommes pas dans de l’extraordinaire.

Mais ça le devient…
C’est vrai qu’avec Ligne 14 lorsque nous avons rassemblé toutes les propositions sur 10 jours, c’est devenu extra-ordinaire. Il faut savoir que ce sont des choses très petites qui se tissent lentement, prennent forme dans le temps et se relient.

Question d’avenir à L’Entrepôt

Pour vos structures, l’avenir se dessine de quelle façon ?
Il y a eu l’annulation du festival qui a été difficile. Nous étions heureux de diffuser les artistes que l’on allait accueillir ! Les compagnies ont été remboursées et nous nous sommes engagés à les recevoir l’année prochaine. Il y a donc une partie de notre auto-financement qui s’est volatilisée.

À Mises en Scène, nous défendons un projet d’intérêt général avec la participation des citoyens, avec un montant minime de l’adhésion à l’association, ainsi que nos entrées à prix bas pour nos spectacles…
Pour cette année, l’ensemble de nos partenaires (DRAC, CGET, Région Sud, Conseil départemental de Vaucluse, Ville d’Avignon, Grand Avignon, CAF de vaucluse, Hôpital d’Avignon et notre mécène la Fondation Abbé Pierre) a conforté les financements. Je me pose la question pour l’année prochaine. J’ai bien peur que nous soyons dans une grande fragilité. Si la culture devient, et je l’espère, un des maillons essentiels pour faire en sorte que le monde aille mieux, nous serons moins aux abois. Nous l’espérons tous.

Pouvons-nous vraiment y croire ?
Je suis une optimiste lucide, de combat. On peut y croire si on fait en sorte et si on agit. Ce n’est peut-être pas gagné, mais il faut faire en sorte que les gens se relient. Il faut que l’on se rassemble tous. C’est de cela qu’est fait le projet de Mises en Scène.
Je trouve que l’on s’est rendu compte que l’économique pouvait se mettre en retrait, au service de l’humain. Un nouveau monde fugace a pu naître : la nature allait mieux, une certaine douceur de vivre était même présente. On a tous découvert cela, nous nous sommes retrouvés dans une « communauté de destins ».
Tous ceux qui peuvent nourrir cette réflexion, les scientifiques par exemple, doivent venir éclairer nos débats. Je veux que l’on continue de penser que l’on a la possibilité d’agir et que collectivement on est plus fort. Il faut penser à cela parce que sinon, nous n’avons qu’à baisser les bras et attendre la prochaine catastrophe.

Il est temps de commencer à débattre, réagir, penser, partager, imaginer, explorer collectivement.

Est-ce que la situation que nous avons collectivement vécue ne nous permet pas d’impulser le débat démocratique nécessaire entre les personnes pour penser l’avenir tous ensemble ?
Absolument. Je voudrais revenir au théâtre car c’est de cet endroit-là dont je parle. Je regardais une interview d’Emmanuel Demarcy-Mota dans lequel il disait que le théâtre est au sens étymologique « l’endroit d’où l’on regarde ». Je me suis sentie très en proximité avec ses propos. Je trouve que le théâtre peut donner de la perspective.
Avec le spectacle Chroniques des funambules que j’ai créé en 1995, j’avais croisé des écrits théâtraux avec La misère du monde, un recueil de témoignages sous la direction de Pierre Bourdieu. Pour lui, il fallait que la sociologie devienne accessible au plus grand nombre. Ce livre devait vraiment servir à cela. Il a pensé un temps qu’il fallait que ça passe par les artistes, par l’artifice, pour provoquer de l’émotion et que cela devienne universel.
Ce débat dont vous parlez, qui est absolument nécessaire, doit être composé de connaisseurs qui peuvent raconter à d’autres afin d’alimenter notre culture commune. Avec les artistes associés à la compagnie, nous travaillons avec la parole, le mouvement, la musique, le chant, l’écriture, l’improvisation, les textes d’auteurs et tout écrit susceptible de nourrir notre recherche.

En juillet et août, l’équipe va travailler avec un ensemble de personnes de tous âges, et avec l’auteur Jean Cagnard, invité à nous rejoindre ponctuellement, en espérant que l’on puisse le faire… Nous nous sommes équipés en masques !
Il est temps de commencer à débattre, réagir, penser, partager, imaginer, explorer collectivement. Depuis toujours à Mises en Scène, nous tentons de mettre la pensée en action, et après cette phase d’anéantissement, il faut que le délire de l’un alimente le délire de l’autre. Nous avons cruellement besoin de bouffées d’oxygène, d’imagination, de beauté, du texte, du monde… de poésie !
Même si ce n’est pas l’enjeu, peut-être que de là, naîtront de petites formes théâtrales, musicales, des formes de création partagées, des formes à inventer…

Pour vous, quelle serait la définition du Vivant ?
Pour moi, c’est la fragilité et la beauté du monde. J’ai relu Michaux durant le confinement. C’est un de mes auteurs privilégiés !
Je retiens 3 phrases. La première est issue de Lointain intérieur, que nous avons repris dans ICI LOIN à travers la voix enregistrée d’une personne âgée : « Autrefois, quand la terre était solide, je dansais, j’avais confiance. À présent, comment serait-ce possible ? On détache un grain de sable et toute la plage s’effondre. Tu le sais bien ? »
Il y a cette autre citation : « Quand le malheur tire son fil, comme il découd, comme il découd » .
Et pour finir, cette dernière qui pour moi reste très mystérieuse et très vivante, on sent comme un frémissement, comme quelque chose qui se prépare : « Par-dessus les marais, les oiseaux ne chantent pas à gorge déployée. Mais dans le bocage, quel ramage !« 
Cette chose frémissante, j’espère que nous la saurons la faire exister en juillet et août à l’Entrepôt avec la compagnie.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Visuels : Portrait Michèle Addala ©Jeanne Biehn
Photos spectacles ©Christian Milord

Infos pratiques

L’adhésion à la compagnie Mises en Scène est de 5 euros. Toutes les informations utiles sur le site misesenscene.com

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