VIVANT ! Interview de Marie Molliens, metteuse en scène et directrice de la Compagnie Rasposo (2)

1 mai 2020 /// Les interviews - VIVANT !
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Les Rasposo font partie, depuis 30 ans, des compagnies qui dynamisent le cirque contemporain. Cette année Marie Molliens, sa directrice, devait présenter sa nouvelle création -quasi prophétique- Oraison au festival Villeneuve en scène, dans le cadre du Off d’Avignon 2020. Elle se confie sur ce qui la préoccupe et l’anime durant cette période d’immobilité forcée.
Marie Molliens fildefériste, acrobate, enfant de la balle et de l’itinérance, défend le cirque, le chapiteau, l’humain et les sensations fortes. Elle réagit à la crainte d’un avenir virtuel que l’arrivée du coronavirus et du confinement a accéléré.


Retrouvez ici la première partie de l’interview (incluant celui de Marie Anezin pour le livre anniversaire Les 20 ans des élancées Scénes et Cinés).


Durant cette période de confinement, les captations de spectacles offertes au public se sont multipliées sur internet. Plusieurs grandes compagnies de cirque ou de théâtre de rue comme XY ou Royal de luxe… ont mis en ligne certains de leurs spectacles. Que pensez-vous de ce mode de diffusion ? Envisagez-vous de l’utiliser?
Nous faisons du spectacle vivant, pour nous, ça n’est pas un système de diffusion mais de la publicité.

Sentir agir un corps en chair et en os, au plus près, qui ose affirmer une scabreuse communion avec le spectateur ; c’est là, la puissance de l’exactitude du geste circassien.
Donc, pour moi, le cirque n’a rien à faire avec le virtuel.

La vidéo et le cinéma ont ponctuellement participé aux créations circassiennes, alors que pour la danse, le théâtre et la musique, ils s’y sont largement développés. Face à la situation actuelle le cirque devra-t-il, par obligation, accepter cette nouvelle alliance avec les arts visuels ?
Le cirque est un art vivant. Le spectateur doit le vivre physiquement et émotionnellement.
Le cirque est une mise en situation violente du corps et de l’esprit. 
Devant un spectacle de cirque, selon moi, le spectateur est face à une prise de risque, une mise en danger, réelle, concrète, et au présent, du corps de l’artiste de cirque. L’art du cirque peut être mortel. 
Cette sublimation de l’onde nerveuse du geste circassien, atteint, viscéralement le spectateur et questionne quelque chose qui tient de l’expérience spirituelle, authentique, une exactitude, une sensation vraie, brute, un rituel, une provocation à la mort, le partage d’une expérience vécue, un sacrifice archaïque et ancestral.
Sentir agir un corps en chair et en os, au plus près, qui ose affirmer une scabreuse communion avec le spectateur ; c’est là, la puissance de l’exactitude du geste circassien.

«  Dans un contexte désillusionné où l’action sur le spectateur par des moyens intellectuels est inopérante, il faut que la représentation devienne viscérale c’est-à-dire vécue physiquement par le spectateur. » Artaud

Donc, pour moi, le cirque n’a rien à faire avec le virtuel.

Pour le cirque ou le théâtre itinérant, le lieu de représentation (chapiteau, lieu atypique…) tout autant que l’atmosphère qui s’en dégage font partie intégrante de l’œuvre produite. Pour X raisons, certaines critiques ou programmation de spectacles se faisaient déjà à partir de captation. Si ces exceptions se généralisent, vos pratiques artistiques ne vont-elles pas être sous-évaluées ?
Comme vous le soulignez, le chapiteau fait partie intégrante de l’œuvre. Et essayer de comprendre un spectacle virtuellement, c’est oublier la communion et le vivant qui se dégagent lors des représentations « live », cette pensée est pour moi applicable à tous les arts vivants et ce ne serait que leur mort annoncée !

Pensez-vous que nous devrions craindre que des habitudes prises durant le confinement perdurent ? Par crainte de la transmission du virus ou pour des raisons économiques, le public ne va-t-il pas délaisser les lieux culturels au profit du visionnage de spectacles sur des plateformes de SVoD, spécialisées dans le spectacle vivant comme Opsis TV ?
Le public ne fait que ce que les médias leur disent de faire, à plus forte raison quand ceux-ci utilisent la peur ! 
Mais, le public retournera voir des matchs de foot parce qu’il a besoin de vivre et de partager des émotions vraies. Donc le public, si on ne lui interdit pas, retournera voir des spectacles vivants.

La piste la plus importante pour nous, est de ne surtout pas arrêter l’itinérance en chapiteau. Il faut aller chercher le public, chez eux, les sortir de leurs écrans, créer l’événement.

L’art c’est : inventer, réinventer, proposer, expérimenter… Pensez-vous que cette période de crise va encore plus fragiliser la culture ou générer une force nouvelle, un souffle d’inventivité dans la contrainte ; être un booster d’énergie créative ?
Peut-on même rêver que cela puisse libérer les impertinences et que nous vivions une autre aire semblable à ce qui s’est passée avec l’émergence du Théâtre de rue à partir de 68 ?

La culture et la sensibilité sont déjà bien en danger, c’est ce que je m’évertue à dire dans le spectacle Oraison. On ne peut qu’espérer une libération si toutefois elle est insolente et audacieuse :

« Une fois que la violence éclate, le sang a besoin d’un chant.
Mais les réflexions des moralistes étouffent le chant.
Et il faut être mythique, et non moraliste, pour accepter la relation de l’homme avec le sacré. 
Une culture qui cesse d’être mythique meurt. » 
Angelica Liddell
(Que ferai-je, moi, de cette épée ?)

Avez-vous envie de lancer quelques pistes de réflexion sur l’avenir du spectacle vivant et plus particulièrement du cirque en chapiteau ?
La piste la plus importante pour nous, est de ne surtout pas arrêter l’itinérance en chapiteau. Il faut aller chercher le public, chez eux, les sortir de leurs écrans, créer l’événement.
Une grande partie de la population est privée de spectacle vivant, ils ne vont pas dans les théâtres. Mais, ils vont dans les salles de fête, les brocantes, les matchs de foot, pourquoi ?
Grâce au chapiteau, le cirque est un art populaire et doit le rester. Mais il doit, pour garder son titre d’ART, être en perpétuelle évolution vers une exigence artistique et bousculer les consciences.

Propos recueillis par Marie Anezin
Visuel : Ryo Ichii

Site de la Compagnie Rasposo
Facebook de Villeneuve en scène

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