[VU] Le corps plie mais ne rompt pas dans AYTA

6 mars 2024 /// Les retours
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Youness Aboulakoul présentait sa dernière création dans une salle Benoît XII pleine à craquer dans le cadre du Festival les Hivernales. Nous l’avions rencontré avec son équipe pour une interview (à retrouver ici) et avions parié que ce serait un des spectacles à retenir de cette 49e édition. Verdict.

Plonger le public dans l’attente

Le public d’AYTA est ici pour une traversée et cela est palpable dès les premières images qui débutent la proposition du jeune chorégraphe qui a travaillé entre autres avec Christian Rizzo, Olivier Dubois, Bernardo Montet, Ambra Senatore, Radhouane El Meddeb, Filipe Lourenco, Arnaud Saury…

Parqué dans un coin du plateau, un groupe, constitué exclusivement de femmes, se retrouve pris au piège dans un espace matérialisé par des rideaux de fils blancs. Ces barbelés ainsi matérialisés boquent tout espoir de fuite que ce soit par le fond de scène et à jardin. Elles sont donc ici pour aller de l’avant en ordre de marche.

Une mécanique se met en place petit à petit. La lumière se fait de plus en plus présente comme si l’on assistait à un levé de jour. Ce jour sera celui de la traversée, de la fuite, de la résistance et de la résilience.

C’est en substance ce qu’induisent les premières minutes de AYTA.

Un cri, catalyseur des émotions

Ayta, le cri en dialecte marocain confère tout un imaginaire venant percuter les images des populations en fuite d’un pays où les conditions de vie ne sont pas réunies pour assurer survie et paix à ses autochtones.

Notre groupe se déplace d’un seul et même mouvement, d’un seul et même pas. Les directions prises relèvent d’un automatisme et sont conditionnées par l’instinct de survie. C’est une rage intérieure qui s’empare de chacune afin de ne pas lâcher, de s’accrocher coûte que coûte malgré les sévices que le corps va endurer.

Les déplacements resserrés, toujours en ordre bien rangés, se font de plus en plus amples au fur et à mesure de l’avancée que l’on imagine se faire à travers un désert (la moquette de couleur sable y est peut-être pour quelque chose).

Si les premiers pas se font bien droit, la musique vient intensifier la cadence, et le corps commence à se plier sur lui même pour mieux se relever et pousuivre son avancée vers un ailleurs.

Il y a de l’errance dans Ayta. De l’etonnement causé par un choc qui fige, ici celui d’un exode mais il pourrait être autre, à la prise de conscience d’un état s’ensuit la rage de survivre qui se niche jusque dans les entrailles. Le groupe se mue au fur et à mesure en une troupe de guerrières prêtes à aller jusqu’au bout de leur périple pour survivre.

Si l’une d’elle s’égare dans son déplacement, elle est rattrapée par une sœur qui vient lui donner la force de poursuivre. Une sororité émane de nos déplacées, qui ne sont jamais en paix.

Ayta frappe l’esprit et le corps

La musique écrite par Youness Aboulakoul vient souligner les états de corps. Les percussions se marient au rythme électro qui se fait de plus en plus viscéral, marquant de son beat l’intiasable force de vivre. Elle en est démentielle car insaisissable comme l’écriture des mouvements de la piece.

En effet, les déplacements, d’avant en arrière tel un balancement de transe, de gauche à droite, dans son ensemble ou par petits groupes, témoignent d’une écriture aiguisée et d’une écoute profonde entre les interprètes. Si le corps plie jusqu’à la chute parfois, il se ressaisit pour mieux repartir avec l’aide d’une main qui secourre pour ne pas tomber et disparaître.

On devine l’exigence de la composition et du travail de toustes pour faire de cette errance, un spectacle qui frappe l’esprit pour tout ce qu’il sous-tend.

La lumière de Jean François Desboeoufs & Jeronimo Roe vient traduire les jours et les jours de marche pour arriver à un point avant de repartir par la suite.

C’est de dos que nos guerrières, les formidables Nefeli Asteriou, Marie-Laure Caradec, Sophie Lèbre, Cassandre Muñoz, Anna Vanneau, Léonore Zurflüh, finissent leur épopée, en ligne, se tenant par la taille. Elles font face à un mur, droites, prêtes à poursuivre leur chemin. Cette image s’inscrit définitivement dans l’esprit car elle témoigne de la force intrinsèque au groupe dans lequel les individualités ont la place de vivre.

La communauté construite autour du chorégraphe porte une pièce forte qui se fait l’écho de notre monde, celui de tous les tremblements et de toutes résiliences.

Formidablement construit et profondément nourri de questions philosophiques, civilisationnelles et sociétales, Youness Aboulakoul traite du chaos du monde dans son ensemble et invite à la résistance malgré les douleurs que cela engendre car le souffle de la vie est ce qu’il y a de plus beau. AYTA est une œuvre sur la résilience et un appel à la résistance pour toustes. Bravo.

Laurent Bourbousson

Crédit photo : ©Thomas Bohl

AYTA a été vu le 29 février dans le cadre du Festival les Hivernales, Avignon.

Générique

Conception, chorégraphie : Youness Aboulakoul | Interprètes : Nefeli Asteriou, Marie-Laure Caradec, Sophie Lèbre, Cassandre Muñoz,Anna Vanneau, Léonore Zurflüh | Assistante artistique : Pep Guarrigues | Création Son : Youness Aboulakoul | Lumières : Jean François Desboeoufs & Jeronimo Roe | Costume : Audrey Gendre | Création Médias : Jeronimo Roe | Production et diffusion : Kumquat/ performing arts | Administration : Saul Dovin

à voir

13, 14 mars 2024 • Pôle Sud-CDCN, Strasbourg / 26-27 mars 2024 • Le CENT-QUATRE, Paris – Festival Séquence Danse
/ 3 avril 2024 • La Barcarolle, St-Omer dans le cadre du Festival le Grand Bain, Le Gymnase-CDCN / 7 mai 2024 • Espaces Pluriels – Le Foirail, Pau

Production: Cie Ayoun / coproduction: Klap Maison pour la danse à Marseille en co-réalisation avec le Théâtre Joliette, scène conventionnée art et création-écritures contemporaines ; Pôle Sud-CDCN, Strasbourg, Le Gymnase-CDCN Roubaix ; Les Hivernales-CDCN Avignon ; CCN2, Grenoble ; CCN-Ballet de Lorraine ; CCN de Nantes ; La Place de la Danse-CDCN, Toulouse ; Espaces Pluriels, Pau ; Maison de la Danse de Lyon ; Pôle Arts de la scène – Friche La Belle de Mai ; Caisse des dépôts et consignation ; DRAC, Auvergne-Rhône-Alpes  

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