Interview par trois fois de la Cotillard Compagnie pour Fin de série
L’occasion était trop belle pour passer à côté ! La Cotillard Compagnie s’est prêtée au jeu de l’interview. Quand Jean-Claude Cotillard, Alan Boone et Zazie Delem répondent, on a droit à 3 interviews autour du théâtre gestuel et visuel, de la place du comédien et du spectacle Fin de série. Fin de série est à découvrir les 20 et 21 avril 2016 au Théâtre des Halles (Avignon).
Interview de Jean-Claude Cotillard (1/3)
Le théâtre gestuel et visuel
Depuis quelque temps, nous assistons au renouveau, ou du moins à la redécouverte, du théâtre gestuel et visuel. Comment expliqueriez-vous ceci ?
Jean-Claude Cotillard : Il y a eu le renouveau du cirque par une préoccupation de la dramaturgie et du jeu d’acteurs des circassiens. Le renouveau de la marionnette par un rapport étroit avec les arts graphiques et plastiques, un travail sur la dramaturgie et un travail sur le manipulateur – acteur. La danse bien avant s’est intéressée au danseur-comédien. Le mime se débarrasse progressivement de l’image de la pantomime anecdotique. Tout cela crée un renouveau du théâtre gestuel avec des groupes de créateurs issus de ces différentes disciplines.
L’écriture dramaturgique semble être plus précise dans l’écriture d’un spectacle de ce genre. Les intentions de jeu différent-elles dans le jeu d’un comédien qui joue un théâtre de texte ?
J-CC : Le théâtre sans texte nécessite pour le comédien un sens rythmique beaucoup plus aigu que pour le texte. Le tempo, la rythmique, la pulsation sont des appuis indispensables. Cela dit, lorsque je monte un texte, je travaille sur ces mêmes nécessités musicales.
Le comédien
Il semble que le comédien incarnant un rôle doit se dépasser dans son jeu pour s’exprimer. Comment arrivez-vous à doser justement la véracité d’un geste sans tomber dans la caricature ?
J-CC : Le corps et donc le geste sont à la base de tout comportement humain. Dans la vie comme au théâtre.
Le corps, par son attitude, ses désirs ou ses blessures précède toute parole. Si aucune parole n’est prononcée, il y a deux raisons :
1 – l’impossibilité de dire, le blocage du corps et du langage,
2 – la fin de l’échange parlé. Les personnages n’ont plus rien à se dire (c’est le cas dans FIN DE SÉRIE)
Nous travaillons sur la vérité du geste émanant des désirs et des interdits. S’il y a une profondeur et souvent une souffrance dans le personnage incarné, son humanité (d’ou vient le rire) sera présente.
La caricature survient si l’on moque le personnage qu’on est en train d’interpréter. Si on le juge et si on le dénonce. Si on le respecte et qu’on le célèbre il n’y aura pas caricature.
Faut-il avoir un « truc en plus » pour se lancer dans le théâtre gestuel et visuel ?
J-CC : Oui, une technique corporelle et un entrainement régulier au mime, à la danse, à la rythmique.
Le corps, le son, la musique, les décors, participent au spectacle, dans votre pratique. Peut-on parler de spectacle total ?
J-CC : Je n’ai jamais compris l’expression « théâtre total ». Il y a le théâtre né de créateurs nés eux-mêmes de leurs apprentissages et nourritures spécifiques.
Le spectacle Fin de série
Le sujet de Fin de série est la vieillesse. Qu’est-ce qui a déclenché son écriture ?
J-CC : L’observation des vieux. Des proches ou moins proches. L’amusement de constater que souvent ils n’ont pas grandi. Bien qu’ils commencent à rétrécir ou se courber. Ils restent de sales gamins.
Comment avez-vous procédé pour son écriture collective ?
J-CC : Le projet est né de mon désir personnel. J’ai construit une trame dramaturgique. L’écriture finale naît de l’improvisation des comédiens et du travail commun de mise en scène.
Vous avez joué un mois au Vingtième Théâtre, à Paris. Quel était votre public ?
J-CC : La salle est dans l’obscurité. Mais selon les amis il y avait toute la gamme de public imaginable
Quelle serait votre définition de la vieillesse ?
J-CC : Envisager l’approche de la mort avec sérénité et amusement
Ultime question : si vous aviez la possibilité de jouer Fin de série dans une maison de retraite, le feriez-vous ?
J-CC : Dans une maison de retraite, non. Il faut tous les moyens techniques d’une salle de spectacle pour que vive le décor et les personnages. Devant un public exclusivement composé de pensionnaire d’une maison de retraite : Oui avec plaisir et gourmandise.
Interview d’Alan Boone (2/3)
Le théâtre gestuel et visuel
Depuis quelque temps, nous assistons au renouveau, ou du moins à la redécouverte, du théâtre gestuel et visuel. Comment expliqueriez-vous ceci ?
Alan Boone : Nous sommes dans une société de l’image et de la condensation de l’écriture (vidéos, selfies, twitter…). Le spectacle vivant visuel, sans texte, rencontre les aspirations d’une nouvelle forme de communication liée à cette « image-ination » de la pensée.
Également en vogue, le bien-être est un concept que l’on retrouve désormais un peu partout. Dans la recherche d’une vie meilleure, une large place est aujourd’hui faite au soin du corps pour un soin de l’esprit, de l’âme, selon l’ancienne doctrine « mens sana in corpore sano ».
Enfin, il est tendance de replacer l’émotion au cœur des relations humaines. Or, les récentes avancées dans le domaine des sciences cognitives ont prouvé que les émotions s’expriment de manière plus importante et authentique par le corps que la parole.
Ces trois constats, font que, à mon avis, l’air du temps est totalement propice à la redécouverte du théâtre gestuel et visuel.
L’écriture dramaturgique semble être plus précise dans l’écriture d’un spectacle de ce genre. Les intentions de jeu différent-elles dans le jeu d’un comédien qui joue un théâtre de texte ?
AB : Comme je le mentionnais dans ma réponse précédente, le corps racontant un récit dont nous ne sommes pas toujours conscients, il s’agit donc de choisir chaque geste avec précision pour « écrire » exactement ce qu’il est prévu d’exprimer, de « dire », avec autant de soin qu’on apporterait dans un choix de mots écrits.
Pour le comédien que je suis, ce style de jeu du théâtre gestuel enrichit le jeu du théâtre parlé. Les intentions, pour moi, sont les mêmes. En forme de boutade, au sujet du théâtre parlé, Louis Jouvet disait : « le théâtre, c’est simple… tu écoutes et… tu réponds ». Alors ? Celle ou celui qui « écoute » est bien en train de faire du théâtre gestuel ! Oui ?
Le comédien
Il semble que le comédien incarnant un rôle doit se dépasser dans son jeu pour s’exprimer. Comment arrivez-vous à doser justement la véracité d’un geste sans tomber dans la caricature ?
AB : C’est juste un très très très long et rigolo travail. Chaque geste, chaque attitude est étudiée, décidée, dosée. Juste des mois et des mois de répétitions pour faire le juste choix. J’insiste sur le mot « juste » qui nous préserve de la caricature gratuite.
Faut-il avoir un « truc en plus » pour se lancer dans le théâtre gestuel et visuel ?
AB : Non, je ne pense pas. Il suffit de changer le prisme de son esprit.
Le corps, le son, la musique, les décors, participent au spectacle, dans votre pratique. Peut-on parler de spectacle total ?
AB : C’est un point important : théâtre gestuel, voire muet, ne signifie pas spectacle sans son ! Une théorie incontournable, d’ailleurs : il n’y a pas de gag sans son. Et il faut du rythme dans tout ça. Notre spectacle est une sorte de chorégraphie. La bande son est un véritable design et le régisseur est un acteur à part entière jouant de sa console comme un accompagnateur de son piano. Il en est de même pour le régisseur lumière. Un spectacle total laisse à penser qu’il y aurait de la magie, de la danse… ha ben oui, il y en a ! Bon… mais il n’y a pas de vidéo.
Le spectacle Fin de série
Le sujet de Fin de série est la vieillesse. Qu’est-ce qui a déclenché son écriture ?
AB : Cotillard a l’idée depuis longtemps. Il saura répondre. Cependant, je peux dire en anecdote que nous travaillons ensemble depuis 40 ans… alors forcément… comment dire ?… y a comme un « vieillissement » !
Comment avez-vous procédé pour son écriture collective ?
AB : Cotillard amène son cahier bourré d’idées, de gags ; on prend point par point ; on improvise ; on joue les uns à la place des autres pour que les autres puissent corriger, s’inspirer ; on trie ; on précise ; on devient obsessionnel dans la vie ; on retourne en répé ; on recommence ; tout ça avec le concepteur son qui devient dingue aussi ; et le light man et la costumière et la déco et tous les autres qui entrent aussi dans le tourbillon du « juste » bruit, du « juste » accessoire, de la « juste » ampoule , du « juste » bouton, du « juste » cheveux ; heureusement qu’il y a une date butoir pour présenter tout ça car ça nous aide à arrêter de cogiter… quoique…
Vous avez joué un mois au Vingtième Théâtre, à Paris. Quel était votre public ?
AB : On imagine que les personnages ont autour de 70 ans, tout à fait utilisables… genre « fin de série » ! Alors, les jeunes se marrent ; les 50 ans pleurent (de rire ou pas) ; les vieux se « pissent dessus » de rire.
Quelle serait votre définition de la vieillesse ?
AB : [initialement, Alan Boone a envoyé un dessin humoristique en anglais, en voici la traduction] Ça sonne bien aussi en français : « En prenant de l’âge, j’ai compris qu’il était impossible de faire plaisir à tout le monde …mais faire chier tout le monde, c’est du gâteau. »
Ultime question : si vous aviez la possibilité de jouer Fin de série dans une maison de retraite, le feriez-vous ?
AB : Ha ouais…. mille fois… à fond… on l’a déjà fait pour un groupe de gériatrie de l’hôpital de Villejuif !
Interview de Zazie Delem (3/3)
Le théâtre gestuel et visuel
Depuis quelque temps, nous assistons au renouveau, ou du moins à la redécouverte, du théâtre gestuel et visuel. Comment expliqueriez-vous ceci ?
Zazie Delem : Mes camarades sont plus à même d’expliquer ce renouveau étant tous deux pédagogues dans ce domaine, donc, en contact permanent avec de nouveaux talents. Les raisons qu’ils donnent me semblent fort intéressantes. Cependant, personnellement je trouve qu’on ne donne pas encore assez de visibilité au théâtre gestuel et visuel, un comble !!!
L’écriture dramaturgique semble être plus précise dans l’écriture d’un spectacle de ce genre. Les intentions de jeu différent-elles dans le jeu d’un comédien qui joue un théâtre de texte ?
ZD : En effet, sans le support d’un texte, le langage corporel doit être extrêmement précis pour se faire « entendre ».
Le comédien
Il semble que le comédien incarnant un rôle doit se dépasser dans son jeu pour s’exprimer. Comment arrivez-vous à doser justement la véracité d’un geste sans tomber dans la caricature ?
ZD : Le théâtre reste le théâtre quel que soit le « style » ! Plutôt que le dépassement de soi, je parlerais d’intériorité, être au plus près de la vérité du personnage. La sincérité, bien sûr !
Pour ne pas tomber dans la caricature, trouver le juste dosage, nous nous regardons beaucoup les uns les autres, lors des répétitions, bien sûr, puis lors des représentations, nous restons très attentifs les uns aux autres. Pour ce spectacle, en particulier, Alan, qui est moins souvent sur le plateau, nous observe depuis les coulisses et bien souvent, nous faisons des raccords, sur de « petits » gestes, justement. C’est un vrai travail d’équipe !
Le tempo est primordial, mais là encore, dans tout spectacle, s’il y a un manque de rythme, le spectateur s’ennuie !
Faut-il avoir un « truc en plus » pour se lancer dans le théâtre gestuel et visuel ?
ZD : Trouver son clown !
Le corps, le son, la musique, les décors, participent au spectacle, dans votre pratique. Peut-on parler de spectacle total ?
ZD : Je ne sais pas ce que vous entendez par théâtre total, tout spectacle n’est-il pas total ? Disons qu’en effet, pour nous, la bande sonore, créée par notre merveilleux Franck Combe, est une partenaire à part entière ! La scénographie de Charlotte Smoos, nous apporte également un supplément d’âme, et les accessoires sont tout aussi importants.
Le spectacle Fin de série
Le sujet de Fin de série est la vieillesse. Qu’est-ce qui a déclenché son écriture ?
ZD : C’est un sujet dont Jean-Claude me parle depuis longtemps. Plus que la vieillesse, il s’agit plutôt de la relation d’un vieux couple, eux-mêmes étant, comme le dit justement Jean-Claude, des vieux « débutants », avec ses habitudes, ses travers, son ennui… tout cela étant traité bien entendu avec beaucoup de dérision ! Nous-mêmes formant un vieux couple de théâtre !
Comment avez-vous procédé pour son écriture collective ?
ZD : Comme toujours dans les spectacles burlesques que nous avons fait avec la Cotillard Cie. Jean-Claude arrive avec un thème, et quelques idées tournant autour, puis nous développons un travail à la table, sur toutes les situations auxquelles nous pensons, ou avons pu observer, ensuite, on se lance sur un travail d’improvisations, on garde, on garde pas, on creuse, on construit, on modèle, c’est en constante évolution jusqu’à la dernière représentation ! Et, pour la première fois, sur la conception de ce spectacle, nous avons utilisé la vidéo, qui est un outil merveilleux, et offre un vrai confort !
Vous avez joué un mois au Vingtième Théâtre, à Paris. Quel était votre public ?
ZD : Toute génération confondue, notre plus jeune spectatrice ayant été une de mes nièces de 3 ans et demi (la demie étant très importante à cet âge !)
Quelle serait votre définition de la vieillesse ?
ZD : Il n’y a pas Une vieillesse, ni Une jeunesse, de même qu’on ne sait pas comment nommer l’entre-deux, qui est quand même une assez longue période, et puis, il y a des jeunes qui sont déjà vieux, et des vieux, qui sont toujours jeunes ! Quoi qu’il en soit, il y a toujours une crainte, je pense, de mal vieillir, alors, moi, je préfère en rire !!!
Ultime question : si vous aviez la possibilité de jouer Fin de série dans une maison de retraite, le feriez-vous ?
ZD : Pas besoin d’aller dans une maison de retraite, nous avons eu, le dimanche en particulier, un public essentiellement composé de têtes blanches, qui n’étaient pas les derniers à rire !
Je remercie Alan Boone, Jean-Claude Cotillard et Zazie Delam pour le temps précieux qu’ils m’ont accordé.
Fin de série, les 20 et 21 avril 2016, au Théâtre des Halles. Renseignements : ici
Laurent Bourbousson
Photo : © Ifou pour le Pole media