Interview : Thomas de Pourquery
Depuis le 16 octobre dernier, le saxophoniste-chanteur Thomas de Pourquery est l’Artiste de l’année des Victoires du jazz 2017. Un trophée qui pourra trôner sur la cheminée à coté du premier, celui de la Victoire du meilleur album en 2014 !
Il est actuellement sur les routes pour une série de concert avec ses différents groupes, et sera au Grand théâtre de Provence (Aix-en-Provence) en Avril 2018 avec le Red Star Orchestra.
Ouvert aux Publics a rencontré ce personnage aussi fantasque qu’émouvant pour un interview qui se transforme en un InterLOViEw.
Thomas de Pourquery n‘est pas uniquement musicien. Parce que si la musique est son arc, la passion est la flèche qui traverse tous les arts vers lesquels il tend.
Auteur, compositeur, chanteur, acteur, il est le couteau Suisse de la scène : indispensable, multifonction et par dessus tout un zélé ouvreur de voies, d’horizons cloisonnés, de portes blindées de préjugés, de bouteilles à messages, de bals à impros sonores pops, psychédéliques, planantes ou résolument free jazz, et un développeur de projets aussi séduisants que barrés. Ce saxo non picolo au physique tout en force et rondeurs confirme ce profil de « demi d’ouverture » qui ne fait rien à moitié et sort de la mêlée en privilégiant la compagnie.
En effet ses groupes successifs : Zimmermann-de Pourquery , Rigolus , DPZ & The Holy Synths, VKNG… et maintenant l’incontournable Supersonic, sont autant d’essais transformés que réussis. Play Sun Ra, le premier album de Supersonic, a d’ailleurs été élu meilleur Album de l’année au 12e Victoires du Jazz en 2014.
Coté cinéma, Thomas est le barde attitré de la famille Borleteau (Fidelio)/Peretjatko (La loi de la jungle) dans lequel il joue également. Bien que ce soit Jean-Christophe Meurisse des Chiens de Navarre qui lui ait offert son premier rôle avec Il est des nôtres et poursuivi avec Apnée. Il sera dans le prochain film de Vianney Lebasque « Les beaux esprits ». L’amour de son prochain le guide sans qu’il en fasse religion mais plutôt le leitmotiv de tous ses projets et le thème de ce nouvel album avec Supersonic, Sons of love.
Résultat de son insatiable soif d’expérimentation, de mixage de genres, de rencontres improbables, de fusion de talents musicaux hors pairs, Supersonic est primordialement un groupe de scène dans lequel de Pourquery excelle.
Actuellement en tournée internationale, ne laissez pas filer votre chance de connaître un moment unique de partage, d’énergie fulgurante et de délire musical.
Sacré, le 16 octobre dernier, Artiste de l‘année aux Victoires du Jazz 2017, Thomas de Pourquery infiniment pudique s’épanche peu sur ce prix. Si ce n‘est pour souffler, visiblement très ému, que « C‘est un très grand honneur ». Par contre le créateur de Sons of love a longuement et malicieusement répondu à notre InterLOViEw!
Être né un 7.07.77 est-ce être enfant de la chance ou un love des Dieux ?
Merci à mes parents Sylvie et François qui ont si bien visé car le sept m’a toujours porté chance.
D’où venez vous ? De quelle planète ?
Je suis né à Bondy dans le 93, où je vis toujours. C’est ma terre. La banlieue est l’avenir de l’humanité. Et aussi du tramway j’espère.
Début août vous avez joué au Tremplin jazz festival à Avignon, un lieu chargé de souvenirs forts pour vous. Pouvez vous nous dire pourquoi vous aimez tant ce festival ?
C’est dans ce festival, au sublime Cloître des Carmes que j’ai joué pour la première fois avec le Big Band lumière de Laurent Cugny juste après qu’il ait dirigé l’Orchestre National de Jazz. Laurent est le premier à m’avoir donné ma chance en m’embauchant dans son fabuleux orchestre. J’étais presque encore ado et j’y jouais aux côtés d’immenses musiciens comme Pierre-Olivier Govin, Stéphane Huchard, Frédéric Monino, Claude Egea…. Ce jour là à Avignon, sur scène avec nous il y avait Stefano Di Battista, qui était littéralement mon Dieu. Laurent m’a offert un duo avec Stefano. Je me souviens qu’en descendant de scène j’ai appelé mon père, en larmes, un rêve se réalisait. Un de mes plus forts souvenirs.
Vous dédiez vos albums et votre récente victoire à votre père mélomane et musicien. Vous avez déclaré votre grande admiration pour Sun Ra dans votre premier album Play Sun Ra, des reprises de son répertoire puis avec We Travel de Spaceways, sorte de morceau relais inclus dans votre récent opus Sons of love. Andy Elmer, avec qui vous avez débuté dans le groupe Megaoctet, a fait la première partie de votre concert avignonnais. La musique se donne-t-elle en héritage ?
Oui, le jazz t’enseigne ça particulièrement : l’amour de la musique nous a été transmis par nos aînés et on se met alors à le transmettre à notre tour. On ne fait que passer, dans tous les sens du terme.
Comment avez-vous attrapé l’amour de la musique qui sort des sentiers battus ?
J’aime tous les sentiers, battus ou non. J’ai découvert Gainsbourg, Nougaro, en même temps que Monteverdi et Sun Ra. Et ce après un premier shoot de nostalgie à 6 ans avec le morceau Wuthering Heights de Kate Bush. Delphine, ma petite copine de CP, m’a quitté pour Lior, qui lui même m’éclatait au tennis… Heureusement Kate m’a sauvé. Je suis depuis passé au Rugby et en CE1.
Les membres de Supersonic (Laurent Bardainne (saxophone), Fredérick Galiay (basse), Fabrice Martinez (trompette), Edward Perraud (batterie) et Arnaud Roulin (claviers)) sont des musiciens que vous connaissez depuis longtemps. Pouvez vous nous dire ce qui vous lie, et pourquoi les avoir choisis pour vous accompagner dans l’aventure Supersonic ?
Laurent Bardainne est mon héros de toujours, nous nous sommes rencontrés au Studio des Islettes, rue des Islettes à Barbès. Puis nous avons croisé le fer presque tous les soirs dans notre Squat « Les Falaises », fait le conservatoire ensemble avant de monter tous les deux la fanfare punk Rigolus avec laquelle nous avons beaucoup tourné. Il a un des plus beau son de ténor ici bas, et c’est un immense compositeur. Malgré son rapport obsessionnel avec le chou de Bruxelles, il restera mon idole à tout jamais. Fabrice Martinez a commencé à me bouleverser avec ses solos de trompette quand il jouait dans Le Sacre du Tympan du non moins chou et obsessionnel Fred Pallem .J’avais envie de jouer avec lui depuis longtemps, quand soudain le festival Banlieues bleues m’a donné une carte blanche pour créer un nouveau projet, en 2011. C’est ainsi que Supersonic a vu le jour. La rythmique c’est le duo BIG : Edward Perraud et Frédérick Galiay. La paire la plus dangereuse et douce du continent. Ces mecs sont des mercenaires, des chirurgiens, des amoureux stars. Le proprio du monde parallèle, c’est Arnaud Roulin, aux commandes du Steinway et des synthés analogiques. Un Génie, un vrai. Tous les six, on partage le même amour pour la chanson et l’improvisation totale, pour la pop et le freejazz, le fromage et le dessert. On navigue quelque part par là, entre Vénus et le jour de l’an.
Supersonic est il un love-Collectif ou un groupe ?
Supersonic est surtout une province autonome. Qui autoproclame son indépendance tous les soirs.
Le live c‘est le love ?
Oui, et le lièvre c’est le lierre.
Vous êtes qualifié de musicien progressiste, attaché à réunir les genres et à faire exploser les frontières des styles, de passionné forcené, de doux dingue fantasque de la musique… Vous reconnaissez-vous ?
Hahaha… Je suis très qualifié c’est vrai. Je me sens simplement musicien, mu par autant d’amours qu’il y a de musiques, d’étoiles, de paysages et d’humains. En ce sens je suis un jazzman, le jazz étant la musique qui se nourrit de toutes les autres. En même temps, les autres styles ne sont pas cannibales et se nourrissent aussi d’autres musiques, voire de soupe végétarienne. J’imagine donc que je suis comme tout le monde, un genre de gigot de carotte narcissiquo-altruiste.
Vous dites qu’avant d’écrire Sons of love, vous avez rêvé d’une énergie, d‘ondes où se lover… Rêvez-vous en notes ou en images ?
Je trouve la vie si belle à chaque fois que je me réveille.Car je fais des cauchemars presque toutes les nuits. Sauf cette nuit de février 2016 où j’ai rêvé que j’étais une petite souris volante au milieu de Supersonic qui était en train de jouer dans un immense hangar, je pouvais rentrer dans le son, me poser sur une cymbale ou sur le pavillon du saxophone, c’était fabuleux, féerique. Ça m’a ouvert la porte de l’écriture de notre deuxième album Sons Of Love. Il ne fallait en fait qu’écrire des prétextes, des terrains de jeu pour improviser et faire sonner le groupe.
Quel est votre rapport au spirituel ? Croyez-vous comme Sun Ra à un autre monde ?
Je crois, jour après jour.
Croyez vous que l‘amour peut sauver le monde ?
L’amour sauve déjà le monde. Il n’y a jamais eu aussi « peu » de guerres sur Terre qu’en ce moment, sauf qu’aujourd’hui on est au courant de tout et tout de suite . C’est pourquoi nous sommes si désespérés de voir en temps réel ces atrocités en tous genres à l’œuvre. « Darkness cannot drive out darkness, only light can do that » disait Martin Luther King. Ça ne sert à rien de se résigner; partout où il fait noir, il faut allumer des torches, des feux, par milliers, sans relâche, avec joie. La musique est un soleil.
Le 7éme art vous ouvre de plus en plus ses portes. Qu’est ce que vous aimez dans le cinéma que vous ne trouvez pas dans la musique ?
Mon premier rôle c’était en 2013 avec Jean-christophe Meurisse qui réalisait lui aussi son premier film. Avant celui-ci, je n’avais jamais joué ni au théâtre ni au cinéma. Et voilà que j’ai découvert cette sensation d’être joué, de devenir moi même un instrument. C’était quelque chose d’incroyable, je devenais mon saxophone, mes cordes vocales,dirigé par un cerveau et un cœur étranger aux miens, dont le but était de faire parler ma tête et faire vibrer mon cœur. Depuis je tourne souvent, et toujours avec des gens que j’aime. Je viens de finir le tournage du prochain long métrage de Vianney Lebasque, dans lequel j’ai eu la chance de jouer aux côtés de l’immense Jean-pierre Darroussin, un acteur et un être sublime, un vrai ange avec des ailes qui vous emportent.
Avec quels réalisateurs rêveriez-vous de tourner ?
Avec Bruno Dumont et Quentin Tarentino dans un film qu’ils co-écriraient pour moi. C’est généralement là que je me réveille .
Vous avez une voix de lover qui prend toute son ampleur dans From Planet to planet ou Slow down. Vous passerez en avril au Grand théâtre de Provence entouré d’un autre ensemble : le Red Star Orchestra. Dans cet album Broadways vous interprétez des chansons du grand répertoire américain. À l’avenir, souhaitez-vous devenir de plus en plus un crooner façon Sinatra ?
Merci pour le compliment. Je suis tellement fan de Sinatra, Nougaro, Scott Walker, Johnny Hartman… J’ai eu la chance d’être invité à chanter l’an dernier par Johane Myran et son Red Star Orchestra pour enregistrer l’album Broadways, que je vous conseille vivement. Ne serait-ce que pour entendre les arrangements de Johane et le son de Philippe Teissier Du Cros. C’est vrai que le chanteur n’y est pas dégueu non plus (Smiley cœur miroir). Et puis ce sera un immense plaisir pour moi de retrouver le Red Star Orchestra au Grand Théâtre de Provence le 20 avril 2018.
Dans vos interviews vous aimez citer des auteurs, aimez-vous les mots autant que la musique ?
J’aime chanter des chansons, pour raconter leur histoire. Je suis fou des poèmes d’Audiberti, de Philippe Muray, Verlaine, Élise Caron, Dylan Thomas, Jean-luc Le Ténia …. et tant d’autres géni.e.s dont je suis si jaloux.
En septembre vous avez enflammé le Cabaret sauvage à Paris et récemment le Panonica de Nantes où Edward Perraud jouait à domicile. Quel genre d’amour y a-t- il circulé ?
De l’amour physique pour sûr !
De nos jours, en raison des attentats, aller à un concert_devient presque un acte héroïque, doit-on de fait y distribuer encore plus d’amour ?
Distribuer encore plus d’amour je suis d’accord. Toujours et encore, chaque jour et encore plus, pour tout le monde. C’est le meilleur placement pour soi avec le plus haut taux d’intérêt rétroactif !
Quand savez-vous que vous êtes in love avec le public ?
Je le sais depuis toujours.
What would you do for love ?
Foreplay for 7 hours.
Un love word pour la fin…
Propos recueillis par Marie Anezin
Photo : Thomas de Pourquery ©Flavien Prioreau
Red Star Orchestra & Thomas de Pourquery en concert au Grand Théâtre de Provence, le vendredi 20 avril 2018. Renseignements ici.
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