Vu : Au-dessus, à jamais, l’écriture de David Foster Wallace à l’assaut de nos 13 ans.
Raphaël Patout (Cie La Chambre Noire) est amoureux de l’écriture de David Foster Wallace. Il convoque un clown pour introduire un récit acide sur l’adolescence. Les mots de David Foster Wallace sont portés par le remarquable Maxime Kerzanet. Hypnotique et vertigineux. Retour.
Seules les rampes de spots séparent le public de lui. Lui, c’est le clown, personnage autant inquiétant qu’amusant, qui fait vaciller le réel sous nos pieds. Il est celui qui réveille l’enfant de 13 ans qui sommeille en vous. Appuyé contre le mur dans un coin du plateau, il attend. Il attend le moment de déballer ce qu’il a sur le cœur et nous voilà prêt à l’écouter, tous autour de lui.
En s’appropriant le texte de David Foster Wallace, le metteur en scène, Raphaël Patout, fait chanter les mots, leur donne des couleurs, les signifie. Il dissèque le texte, le distord pour mieux le faire entendre et trouve en Maxime Kerzanet un interprète formidable. Celui-ci s’amuse, durant l’heure, à nous tendre un miroir à la fois hypnotisant, déformant et terriblement réel de l’adolescence. Il saisit le public pour une escalade qui culmine sur le haut d’un plongeoir de piscine.
Vertige de l’adolescence pour un requiem de l’enfance.
C’est le jour de son anniversaire et il a décidé d’emmener tout le monde à la piscine. Sa serviette de bain Winnie l’Ourson, le bonnet à fleurs de sa petite sœur, le blanc blafard des peaux, ses poils, tout passe à la moulinette dans son esprit. Sorte de règlement de compte intérieur, avec sa famille, avec lui-même, cet enfant étouffe dans l’american dream, dans la peau du pas encore adulte et du plus tout à fait enfant.
Il est le grand frère d’une petite sœur sur qui il doit veiller, ses parents, il ne les aime pas vraiment. Il aimerait se rebeller. Dire qu’il existe. En a marre d’être ce que l’on attend de lui : le gentil petit garçon.
C’est pour cela qu’il décide de monter sur le plongeoir de la piscine. Nous montons avec lui sur l’échelle qui mène au plus haut point. Le plongeoir prend des allures de machine capitaliste qui broie les gens. Les mots de cette nouvelle ont tous un sens bien particulier. On voit les chevilles de celui du dessus, on arrête sa respiration sur la langue du plongeoir. On ne sait pas si on doit sauter. On ne sait pas si on doit s’écraser sur le sol. L’emploi du tu renvoie les auditeurs à leurs propres sensations d’adolescent, moment de bascule dans l’âge d’après, celui des transformations sociales et physiques.
Maxime Kerzanet joue toutes les variations d’état. Les modulations de la voix et les sons permettent des respirations dans ce monologue. Oscillant entre souvenirs et instants réels, il est le guide dans les méandres de l’adolescence. Il entraîne son petit monde dans un jeu de piste impressionniste.
L’écriture plante le décor. Le public pourrait être en maillot, que cela n’en serait pas perturbant. Les mots de David Foster Wallace et la puissance du jeu du comédien nous font sentir la chaleur d’un bord de piscine, le petit vent sur la peau à l’abri du soleil.
La mise en espace de ce texte ajoute une dimension brute, sans fard. En resserrant l’espace de jeu autour du comédien, Raphaël Patout joue sur l’idée de graver les mots de son auteur fétiche dans l’esprit du public, ce qui est largement réussi.
Au-dessus, à jamais a été vu au Théâtre des Carmes-André Benedetto (Avignon)
A voir à Lyon au Lavoir Public, du 26 au 28 janvier 2016 à 20h00.
Laurent Bourbousson