#FDA18 : Story Water d’Emanuel Gat clive le public de la Cour d’Honneur

21 juillet 2018 /// Festival d'Avignon - Les retours
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Deuxième spectacle de la Cour d’Honneur, le très attendu Story Water d’Emanuel Gat ravive les passions du public : prestigieux pour les uns et ennuyeux pour les autres. Retour.

Top chrono

C’est sur un plateau blanc, immaculé, presque vierge de toutes traces, que les danseurs d’Emanuel Gat et les musiciens de l’Ensemble Modern (EM) vont évoluer tout du long de la durée de la pièce. Le temps est mis en avant, il est l’ici et maintenant. Le chronomètre déclenché par l’un des danseurs lance le top chrono pour 73 min 18 secondes (temps de la représentation du vendredi 20 juillet). On sait alors qu’à partir de ce top, le temps est compté.

L’Ensemble Modern commence ainsi à jouer. Les notes de Dérive 2 de Pierre Boulez répercutent leurs dissonance et cohérence, entre la dérivation voulue et la prolifération bourgeonnante, batie sur des partitions précédentes du compositeur (source site Musique Contemporaine). Et c’est ce que traduisent les danseurs sur le plateau partagés en deux groupes, l’un à jardin et l’autre au centre du plateau. Les musiciens de l’EM trouvent place à cour. Les musiciens feront aussi entendre la formidable partition de Rebecca Saunders, Fury II.
L’oeil se retrouve à naviguer de gauche à droite, se perd, s’arrête parfois, décide de laisser de côté un groupe, y revient. La circulation occulaire répond parfaitement aux notes de musique et à la danse. Les mouvements, musicaux et chorégraphiques, commencent, s’arrêtent, redémarrent.

Une danse en chapitres

Emanuel Gat a pris le libre arbitre de décomposer sa proposition en partie. L’épilogue et la première partie, semblables sur certains points, constituent la matière de la danse qui va être exécutée par la suite. Le temps de la recherche et de la répétition correspondent à un laboratoire où la pensée va vite, se nourrit de l’autre. Chaque groupe recherche, tente, essaie. Le mystère de la création se met alors en place.
La deuxième et troisième partie, fortement intéressantes, laissent apercevoir le génie chorégraphique d’Emanuel Gat. Les mouvements prennent ainsi vie sous les yeux du public. Les groupes se resserrent, forment une tribu, une civilisation.
Les lumières signées du chorégraphe subliment les différentes parties de cette partition chorégraphique. Crues par moment, adoucies par d’autres, elles sont autant d’indicateurs de jeu pour le spectateur avide de significations.

Les dernières parties font retomber l’intensité alors approchée. Gaza, titre éminemment politique, fait entrer de plein pied l’actualité dans la Cour d’Honneur. La question est pourquoi ? Lors d’interviews, le chorégraphe dit que cette idée lui est venue il y a peu, lors d’un échange avec les danseurs. Enfermés dans leur bulle créatrice, c’est en regardant vers l’extérieur que ce sujet brûlant les a happés. Comment alors le retranscrire au plateau, sans laisser le goût d’un geste qui pourrait paraître comme opportuniste ? La tâche est ardue et malheureusement met mal à l’aise, voir énerve le public.
L’épilogue finit d’enfoncer le clou avec ce moment ultra récréatif. Les danseurs donnent de la voix sur Folk/Dance inspiré du Dixie’s Land (chanson composée en 1859 par Daniel Decatur Emmett et associée au sud durant la guerre de Sécession – il s’agissait d’une chanson préférée d’Abraham Lincoln) afin de faire souffler un vent de liberté qui aurait pu être jubilatoire pour tous.

Réussi à certains endroits, ennuyeux à d’autres, il faut reconnaître que Story Water a cette force, celle d’animer les conversations du public entre les pro et anti, et démontre, une fois de plus, la complexité de la création dans la Cour d’Honneur et ce que chacun en attend.

Laurent Bourbousson
Crédit photos : Julia Gat

Story Water d’Emanuel Gat, jusqu’au 23 juillet, à 22h, dans la Cour d’Honneur. Renseignements : Festival d’Avignon
Danseurs Thomas Bradley, Péter Juhász, Zoé Lecorgne, Michael Löhr, Emma Mouton, Eddie Oroyan, Karolina Szymura, Milena Twiehaus, Sara Wilhelmsson, TingAn Ying | Ensemble Modern Saar Berger (cor français), Jaan Bossier (clarinette), Paul Cannon (contrebasse, soliste Fury II), Eva Debonne (harpe), David Haller (percussion), Christian Hommel (hautbois), Stefan Hussong (accordéon), Megumi Kasakawa (alto), Michael M. Kasper (violoncelle), Giorgos Panagiotidis (violon), Rainer Römer (percussions), Johannes Schwarz (basson), Ueli Wiget (piano) | Chorégraphie, scénographie et lumière Emanuel Gat  | Musique Pierre Boulez, Emanuel Gat & Ensemble Modern, Rebecca Saunders | Chef d’orchestre Franck Ollu | Collaboration lumière Guillaume Fevrier | Costumes Thomas Bradley
Son Norbert Ommer | Effets électroniques live Felix Dreher

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