Rencontre : Thomas Bohl ou l’art de photographier les histoires

26 février 2016 /// Les interviews
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Les photographies de Thomas Bohl ont ce quelque chose de particulier qui vous saisi. Il invite à entrer dans son image et permet de développer son propre imaginaire à l’intérieur de ce qu’il nous offre à regarder, à observer et à nous rendre curieux. Rencontre.

Les nuits barbares ou les premiers matins du monde ©ThomasBohl

Les nuits barbares ou les premiers matins du monde ©ThomasBohl

Il y a des rencontres qui se font dans la simplicité, celle d’avec Thomas l’est. C’est lors du spectacle de Georges Appaix, durant le festival les Hivernales, que nous nous sommes croisés. 1h00 avant, un de ces clichés m’avait totalement stoppé dans la frénésie du web. Nous ne nous connaissions pas jusqu’alors, et voici qu’au moment du début du spectacle, nous échangions et parlions comme si nous étions des amis d’enfance. Oui, car il y a de cela chez Thomas Bohl, cette facilité à tisser des liens. Cette discussion devait se poursuivre autour de son travail photographique et pour tenter de déceler « le » petit truc en plus de ses photographies.

Lorsque vous lui demandez ses premiers souvenirs photographiques, Thomas vous parle d’odeur : On avait une pièce dans la maison, dont mon père se servait de labo. Il travaillait uniquement la couleur sépia. Et mon premier souvenir est non pas une photo mais l’odeur d’œuf pourri des mélanges de sépia.
Il est la figure de ces passionnés qui tombent dedans lorsqu’ils sont petits. Et le virus de la photographie ne le quitte plus. De l’appareil photo pour faire des photos souvenirs avec des copains, durant son enfance, jusqu’à la récupération du vieux boitier de son père, un Nikon F Reflex, qu’il utilise lors de son voyage en Ethiopie, il parfait son regard. Et son regard aime se poser sur les gens, sur la vie. Certainement que la clé de réussite de ces photos est là.
Son voyage en Ethiopie, un voyage d’étude dans le cadre de son cursus universitaire en ethnologie, lui permet de faire ses « réelles premières photos ». Puis un jour, tout bascule, il se procure un reflex numérique et voit le champ des possibles s’ouvrir à lui.
C’est à ce moment précis qu’il décide de réunir tout ce qu’il aime : ses études d’ethnologie, son métier d’éducateur et sa passion pour la photo. Il crée l’entité Laboratoire de photographie sociale et populaire, à Avignon, et devient photographe indépendant et encore plus éducateur qu’auparavant. Il développe des ateliers auprès des écoles, des colonies de vacances, des crèches, des missions d’insertion, dans un souci constant, celui de faire avec au lieu d’accompagner. Il partage sa technique et demande au photographe amateur à ouvrir son regard pour ne pas prendre des photos en rafale. Il définit ainsi ses photo, je fais des photographies sociales qui racontent.

Sa rencontre, avec le milieu de la danse, il la doit à Emmanuel Serafini, croisé au hasard sous le pont de Monclar, lors du collage de son projet « Les portes d’Avignon ». Alors directeur du CDC les Hivernales, Emmanuel l’invite à un spectacle. Et là, le spectacle d’Hervé Koubi, Ce que le jour doit à la nuit, lui donne une claque énorme.
Il se retrouve à photographier les spectacles de danse et développe aussi, avec Emmanuel Serafini et Isabelle Martin-Bridot, le projet Déclenche !, ateliers animés permettant à 17 jeunes avignonnais une première rencontre avec la danse et les métiers gravitant autour (extrait de la présentation sur le site du CDC Les Hivernales). Les photographies seront exposées (la dernière en date à l’ESPE d’Avignon) et ce dispositif sur 3 ans aura permis de faire 3 sessions extraordinaires avec une qualité grandissante.
Son regard d’ethnologue, il arrive à le poser sur des spectacles de danse même si l’enjeu de la photo est différent : ici, c’est la composition de la photo qui est importante. Je recherche à faire la belle photo. Quand je suis assis dans la salle, je me dis on me propose une histoire et quel point de vue je vais pouvoir offrir sur cette histoire.

Thomas Bohl aime faire des photos brutes, sans les retoucher. Il travaille aussi comme cela lors d’un spectacle : saisir l’instant, ce moment si éphémère qui parfait à la danse. Même si certains clichés nécessitent une recoupe, qu’il arrive à s’autoriser, il souhaite laisser le cliché le plus vrai possible. Et c’est ici que tout fonctionne. D’un flou dont on distingue une forme, un élément du décor, ou bien la couleur qu’il n’enlève pas au cliché car il lui donne de la force, ses photographies sont le résultat de son amour à photographier les gens.

Je pose alors la question du nombre de clichés faits sur un spectacle. Pour les Hivernales, j’ai vu 12 spectacles… là où il n’y avait pas de musique, je ne prenais pas ou très peu de photos pour ne pas déranger les artistes et le public. En règle générale, ça se situe à 120 clichés. De ces 120 clichés, pour un pro, il y en aura 4 de bons ; pour les compagnies, une dizaine ; et pour les amis, 50 !

Et je profite de l’occasion pour revisiter le festival par la focale, à travers un questionnaire laissant place à un voyage pictural.

Tu as une image à sauver, quelle est-elle ? Sans hésiter le spectacle de Georges Appaix, Vers un protocole de communication ? Je suis tombé amoureux de ce spectacle. Voilà un spectacle où on a un croisement entre du théâtre, de la danse. Je les ai trouvé tellement beaux tous les trois. L’image dont je te parle est floue et va bien avec ce que j’ai vu. C’est aussi peut-être laisser une part d’imaginaire à celui qui la regarde.

Vers un protocole de conversation ? ©ThomasBohl

Vers un protocole de conversation ? ©ThomasBohl

Le spectacle qui t’a offert de faire des photos pures, à savoir la belle photo : Le spectacle d’Hervé Koubi. Il propose un spectacle à 12 danseurs et je sais que ce sera le bonheur. Il y a une telle possibilité de composition graphique, de choses qui s’entrecroisent.

Les nuits barbares ou les premiers matins du monde ©ThomasBohl

Les nuits barbares ou les premiers matins du monde ©ThomasBohl

Un spectacle que tu as aimé photographier : Florence Caillon pour le cirque. J’ai bien aimé son propos engagé. J’ai discuté avec elle après le spectacle. Peut-être aussi parce que j’ai grandi à côté du Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne et que je trouve les corps des circassiens beaux.

Florence Caillon - Flux tendu ©ThomasBohl

Florence Caillon – Flux tendu ©ThomasBohl

Le visage d’une danseuse : Mélanie Venino, la danseuse du spectacle de Georges Appaix, toute en muscle mais avec une telle grâce.

Vers un protocole de conversation ? ©ThomasBohl

Vers un protocole de conversation ? ©ThomasBohl

Le visage d’un danseur : Hamdi Dridi. Il a un côté charismatique.

Tu Meur(s) De Terre Egal=E ©ThomasBohl

Tu Meur(s) De Terre Egal=E ©ThomasBohl

Faire un choix dans la multitude des photos fut compliqué. Je peux attester qu’il y en a beaucoup d’autres et que toutes ont cette touche personnelle, celle de son œil avisé.
Thomas conclue notre rencontre avec cette phrase J’aime quand les danseurs nous offrent une énergie. Et nous, public de ces photographies, nous pourrions lui retourner J’aime quand Thomas Bohl photographie l’humain.

Laurent Bourbousson

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