Rita Cioffi
La rencontre aurait pu se faire au détour d’un plateau de danse, autour d’une led pour être plus précis comme pour mieux se confier. Mais elle s’est faite au téléphone. Retour de nos échanges d’avec Rita Cioffi, danseuse et chorégraphe de la compagnie Aurélia, à l’occasion de sa dernière création Led’s play.
Première question immuable des portraits-interviews : qui est Rita Cioffi ?
Rita est une femme italienne qui vit en France depuis longtemps. Je suis danseuse et chorégraphe.
Comment es-tu devenue danseuse ?
Je suis tombée dedans quand j’étais petite. Rires. Je voulais à tout prix être danseuse. Mes parents m’ont inscrite à des cours de danse à l’âge de 4 ans. Il y a eu une interruption après mes 5 ans, à cause de petits soucis de santé. Mais cette envie de danser ne m’a jamais quittée et quand à 8 ans, j’ai recommencé à prendre des cours de danse à Rome, j’ai été inscrite à l’Accademia Nazionale di Danza.
Parcours danse
Accademia Nazionale di Danza, cela sonne un peu classique ?
Effectivement, j’ai suivi un parcours classique. Il est vrai aussi qu’avec ma morphologie de petit garçon, je n’étais jamais sélectionné pour des rôles dits « romantiques ». J’ai vécu cela comme une véritable frustration. Je tenais toujours des rôles de caractère. A l’âge de 14 ans, je suis repérée par une compagnie de théâtre de Verona grâce à mon parcours en danse classique. Je suis engagée et deviens ma propre chorégraphe dans un cadre théâtral. Je me suis retrouvée à enseigner très jeune la danse : on faisait confiance à la danseuse et non aux diplômes. J’ai pu alors chercher de nouvelles expressions possibles, mener de nouvelles expériences, tenter des nouvelles propositions. C’était en fait une question de survie créatrice, il fallait gagner la liberté de créer. Peut-être que cela vient du fait qu’en parallèle de ma formation de danseuse, je me suis investie dans la vie politique et sociale de mon pays. En tout cas, cela m’a amené à chercher du côté de la danse contemporaine pour exister, car je sentais qu’il y avait des choses à faire de ce côté-là. Je suis alors partie à New-York, à l’âge de 22-23 ans, et là c’est la rencontre avec la danse de Trisha Brown, Merce Cunningham… Ma situation était délicate car sans Green Card aux Etats-Unis, c’est très difficile de vivre. Je rentre alors en Italie et travaille avec des nouveaux chorégraphes, tente de nouvelles expériences scéniques. J’ai vécu le côté un peu underground de la création. Et je décide de partir à Paris au milieu des années 80.
Italie, New-York, maintenant la France… Tu as vécu le début et l’émancipation de la danse contemporaine…
Oui, j’ai eu la chance de goûter à cela. J’ai vécu les prémices de la danse contemporaine. Le concours de Bagnolet remporté par Angelin Preljocaj, les débuts de Maguy Marin, de Régine Chopinot… Mais, le mal du pays me décide à retourner en Italie. Là, je travaille alors avec un chorégraphe italien Enzo Cosimi, mais la situation économique étant très difficile, il y a peu de diffusion… Il faut vraiment se battre pour danser. Je me partage alors entre l’Italie et la France durant deux années. En France, je reprends un rôle pour la compagnie de danse baroque de Francine Lancelot, Ris et Danceries. Entre mes allers et retours, mon chemin croise celui de Dominique Bagouet et nous fréquentons les mêmes endroits.
Dominique Bagouet
Dans ta voix, on ressent une certaine délicatesse quand tu parles de Dominique Bagouet…
Oui car travailler avec Dominique a été un véritable épanouissement. J’ai vécu une véritable évolution en tant qu’interprète. Il m’a permise d’avoir une autre vision de la danse et m’a poussée à chercher l’endroit où j’étais la plus juste, la plus vraie, en tant qu’interprète.
Pour la petite histoire, Dominique Bagouet m’appelle pour passer une audition pour So Schnell. Je suis très contente, je reviens en France, je passe l’audition et par la suite, je reçois un courrier qui m’indique que je ne suis pas retenue. Je rencontre un petit moment après Dominique et là, je lui dis : « J’ai vraiment envie de travailler avec toi. Comment peut-on y arriver ? Si tu as un rôle pour moi, je me mets en forme pour toi, je me plie à tes attentes et j’annule mes contrats en Italie et je viens à Montpellier.» Peut-être qu’il a été surpris par cette attitude… je ne sais pas. En tout cas, je plaque tout en Italie et j’arrive à Montpellier. Sous couvert de Dominique, je me retrouve à donner des cours du soir à l’Opéra. Par un concours heureux de circonstances, je reprends le rôle de Sylvie Giron dans Meublé sommairement (1989), une des danseuses de Dominique. Cette pièce connaît une tournée superbe. Et il y a ensuite la création de Necesito, pièce pour Grenade (1991), un hommage à cette superbe ville, à l’Alhambra, sa dernière pièce.
Aujourd’hui, tu recrées d’ailleurs cette pièce avec les danseurs d’une formation…
Oui. Je viens de recréer Necesito, en avril dernier, avec les élèves de la formation Extensions du Centre de Développement Chorégraphique de Toulouse. Cela m’a permis de redécouvrir cette pièce, 23 ans après en avoir été une des interprètes. Mon choix s’est porté sur cette pièce car j’ai déjà donné beaucoup d’interventions sur So Schnell. Par contre, je ne pouvais m’appuyer uniquement que sur les vidéos de la création car au contraire de So Schnell, Necesito n’a aucun support pédagogique, aucun carnet à son actif.
Necesito sera la dernière création de Dominique Bagouet. Que deviens-tu après le décès de Dominique (1992) ?
C’était un peu irréel car nous, les interprètes de Dominique Bagouet, on était les stars du moment, les stars de la danse contemporaine. Après la mort de Dominique, j’ai ressenti un vide total, je ne savais pas vraiment quoi faire. J’ai refusé l’invitation d’intégrer la compagnie de Régine Chopinot… Je décide de faire une pause dans mon parcours d’interprète et me remets à l’enseignement, à la pédagogie, pour la compagnie d’Angelin Preljocaj, pour Découflé… Je pars d’ailleurs en tournée avec Philippe Découflé pour organiser les trainings de ses interprètes. Je leur donne des cours. Ayant pas mal de temps libre lors de la tournée, je travaille sur un solo, comme ça, juste pour moi. Je le présente en studio à des amis mais sans idées précises et c’est Nicolas Barrot, pour le Festival off de Montpellier danse, qui me dit : « Présente-le ! ». Ce solo, qui s’appelait Le temps à peine d’une rose, rencontre un véritable succès. Je le montre au festival de Quissac, Mathilde Monnier vient le voir, le bouche à oreille fonctionne. Je reprends l’enseignement au Centre Chorégraphique National de Montpellier à la demande de Mathilde Monnier et je créais un duo avec Stéphane Mougené. Ce duo connaît un réel succès, la Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon m’aide à la création. La Compagnie Aurélia naît.
Cela à l’air très simple dit comme ça ?
Oui, ma position de chorégraphe me paraissait simple. Je ne me suis pas trop posée de questions : je faisais et après je cherchais les coproductions, les aides. Cela se faisait de façon organique. Aujourd’hui, tout est inversé, tu vas chercher les aides, les copros, et tu créais après, mais là rien n’est sûr…
La compagnie Aurélia en dates
1996 : Temps multiples / 1997 : Deux / 1998 : Dans ta chambre / 2000: Falling backwards moving onwards (1er volet pour une danseuse et un musicien) / 2001 : Falling backwards moving onwards (2ème volet pour 3 danseuses et un musicien) / 2003 : La danza della tigre ; Massacre du printemps / 2004 : Shopping / 2005 : Pas de deux / 2007 : Pomme 33 / 2009 : Passengers / 2010 : ROBOT(E) / 2011 : E2L Entre deux langues ; Nous autres ? / 2014 : Led’s play
Quand on voit tes interprètes sur scène, on ressent comme une filiation entre eux et toi. A quoi cela est dû ?
Cela vient du fait peut-être que mon choix se fait sur des coups de cœur. Il y a de la séduction au départ puis vient le travail autour de la réflexion. C’est vrai qu’il y a une amitié profonde qui me lit à mes interprètes, du respect aussi et surtout aussi la valorisation de l’interprète. C’est vrai que si je choisi l’interprète, l’interprète me choisit aussi, ce qui peut expliquer cette complicité entre eux et moi.
Cette complicité, dont tu parles, tu l’as avec tes interprètes mais aussi avec le groupe Rhinôcérôse, non ?
Oui, en effet. Avec Rhinôcérôse, tout a commencé par le travail chorégraphique que j’ai réalisé sur une de leur tournée. Nous avons très vite compris qu’il y avait de la matière à travailler ensemble. Cela a donné la naissance à Passengers où Claude Bardouil et moi-même partagions le plateau avec le groupe. On retrouve aussi Patou CARRIE, du groupe Rhinôcérôse, dans la distribution de ma dernière création Led’s play, pour la création musicale. Cela a été un travail qui lui a demandé beaucoup d’investissement car au départ, la création était nourrie de musiques de mon baladeur mp3. Quand Patou a vu le rendu, pour elle, il était nécessaire de créer une bande-son propre à la proposition. Ce qui donne aujourd’hui une bande-son travaillée, recherchée et qui colle parfaitement au travail chorégraphique.
L’avenir
Jusqu’à présent, tu étais sur scène à chacune de tes créations. Led’s play annonce-t-elle le retrait de Rita Cioffi du plateau ?
Pour Led’s play, je ne pouvais pas être sur le plateau, cela aurait très compliqué pour cette création visuelle. Ce travail me demandait d’être en-dehors, d’avoir le recul nécessaire pour la construction de cette pièce. Ils sont déjà 5 superbes interprètes à se partager l’espace, à se partager le jeu des lumières.. J’aurais eu du mal à voir le rendu et à interpréter mon rôle. En tout cas, je ne suis pas prête à quitter le plateau. Je travaille actuellement sur un duo avec une comédienne, Stéphanie Marc, autour de l’ouvrage de Michel Houellebecq, Configuration du dernier rivage. Même si aujourd’hui, on entend Jean- Louis Aubert chanté Houellebecq, et que Houellebecq est l’auteur du moment, j’avais déjà cette envie à la lecture de ce recueil.
La compagnie Aurélia a alors de beaux jours devant elle…
Oui, elle a de beaux jours devant elle, même si la vie économique d’une compagnie n’est pas évidente à mener. Il faut avoir un véritable esprit d’entreprise. Aujourd’hui, une compagnie est beaucoup plus jugée sur la rentabilité d’un spectacle par les programmateurs que sur les risques que la compagnie prend pour défendre son travail. D’un côté, tu as les institutions qui te soutiennent et de l’autre, les coproductions qui sont de plus en plus dures à trouver. Dans l’absolu, je rêve d’un lieu pour la compagnie afin de d’approfondir le travail avec mes interprètes, de faire des recherches sur du long terme, de permettre la pratique d’ateliers, de vivre en groupe et développer sa cohésion… Tout cela relève de l’utopie… mais qu’est-ce que c’est bon d’être utopique…
Entretien réalisé le 24 avril 2014.
Mon point de vue autour de Led’s Play
Rita Cioffi est toujours présente là où on ne l’attend pas. Avec Led’s play, si la chorégraphe prend place dans la salle, elle danse de tout son être avec ses interprètes, comme si elle était en communion avec le groupe.
Led’s play est un véritable livre d’histoires, comme celui que nous lisaient nos parents pour mieux nous endormir le soir, dans la pénombre d’une chambre. Ici, notre chambre sera le plateau ; notre lit, l’assise. Mais il sera difficile de s’endormir, même si tout se passe dans le noir…
Les premières notes de musique distillées accompagnent les premières images qui agissent comme une véritable boîte de pandore. On tourne les pages de ce livre qui nous conte l’humain avec toute sa panoplie qui s’étend du réel à l’irréel, en passant par le fantasmé. On se dit que c’est beau, que c’est marrant, que c’est un peu moins risible que toute à l’heure, que cela fait peur, que c’est effrayant…
Avec pour seul accessoire des lampes à led, les interprètes talentueux de cette proposition (Azusa Takeuchi, Yuta Ishikawa, Waldemar Kretchkowsky, Antoine Hostein et Charles Essombe) mettent à nu leur propre corps. Mais c’est avec une certaine habileté que Rita Cioffi fait glisser notre ressenti de ces corps à nos propres chairs. Et c’est en ce sens que cette proposition gagne en profondeur. De la naissance au départ, tout y passe, avec pour démonstration que nous sommes les propres acteurs de notre existence.
La musique de Patou CARRIE se révèle être une interprète à part entière. Elle embrasse tout l’univers chorégraphique de cette proposition et donne à Led’s play cette aura mystique des imbrications religieuses auxquelles les sociétés recourent pour mieux vivre.
C’est dans le noir que l’on se raconte les meilleures histoires, paraît-il. Rita Cioffi aime le noir, et cela tombe bien.
Ici, pas d’artifices superflus, juste l’audace de vouloir entraîner le public à la recherche de sa propre réponse autour de la cruciale question de l’existence. « C’est dans la fragilité de l’être que je montre sa force » m’a-t-elle glissé lors de cet interview. Peut-être est-ce un début de réponse…
Led’s play a été vu au Théâtre Le Périscope – Nîmes – 27 février 2014
Prochaines dates : 27 mai : Théâtre de l’Archipel – Scène Nationale de Perpignan – 20h30 / 2 décembre – Chai du Terral – Théâtre municipal St Jean de Védas
Rita cioffi sur scène : 14 juin : Uzès danse – Mauvais genre d’Alain Buffard – pi:es pour Alain Buffard
Le site de la compagnie : www.ritacioffi.com