VU : Lullinight de Florence Bernad (Groupe Noces)

16 février 2017 /// Les retours
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Le CDC Les Hivernales (Avignon) présentait une proposition de Florence Bernad à destination du jeune public, Lullinight, dans le cadre du festival HiverÔmomes.

35 mn, c’est court. C’est justement toute la prouesse de ce spectacle que de réussir à construire un univers aussi fort et enchanteur, à élaborer un monde à part et sa mythologie en ce temps imparti.

Lullinight, c’est tout d’abord un décor. De ceux qui interpellent le public, les parents, les grands-parents et les enfants plus ou moins grands qui se pressent dans la salle. 13 jouets sont disposés dans un coin de la scène. 13 petits personnages qui incarnent tour à tour la masse sociale de la cour de récréation et les individualités du quartier. 13 poupées qui regardent de loin, de haut, et qui constituent l’environnement social de notre héroïne. Pour l’architecture, les tours d’une cité se dessinent à la craie en fond de scène. Celles de la cité de Lulli. C’est ce monde, que l’on découvre à l’aune de son regard et de ses pensées d’enfant – livrées en voix off d’après un texte d’Aurélie Namur.

Lulli, c’est une petite fille incarnée par une grande fille l’une de celle qui sait par ses moues, ses mimiques, ses mots crachés dans le vent et deux coups de pied énergiques, récréer une enfant en proie aux tourments de la solitude. Avec beaucoup d’humour, le texte transcrit cette galerie de portraits stéréotypés, des petites filles modèles à la tête de turc, que nous avons tous connu, et qui tourmente notre héroïne. Car Lulli, dans tout ce petit monde, c’est la « mauvaise herbe ». C’est une véritable tornade d’énergies et d’émotions chaotiques. Sur scène, elle les observe de loin, ces Autres, tente des approches, et prend en pleine face la violence du rejet. La tempête dans sa tête et son cœur éclate au grand jour. La voilà qui court dans tous les sens. On dirait des arts martiaux quand Lulli se débat avec le réel. C’est la crise, la vraie : les personnages-jouets volent dans tous les sens et se métamorphosent en ballon de foot.

« Lullinight » ©Frédéric Frankel

Au milieu d’un champ de bataille où traînent les poupées piétinées, Lulli révèle son secret : elle sait s’échapper de ce monde. Grâce à son Ami. Pour le rencontrer, il faut la suivre sur « son » terrain vague, à elle toute seule. Et ça ressemble à un élégant rite chamanique quand Lulli danse pour appeler son ami si spécial. La scène se nimbe d’un brouillard bien réel, qui dessine les contours flous de la frontière entre le réel et le rêve.

Et progressivement, l’Ami fait son apparition. Et quelle entrée ! Une grande partie du charme de ce tableau réside dans l’astucieuse mise en scène et dans sa simplicité aussi. Dévoiler complètement ce secret serait briser sa poésie. Dans une scène onirique aux allures d’estampes vaporeuses, la retrouvaille entre les deux amis compose un moment de grâce pour Lulli et pour le spectateur. C’est toute la magie de l’enfance et la puissance de son imaginaire qui se retrouvent incarnés sur scène par la danse de Florence Bernad, rythmée par la musique baroque de Dietrich Buxtehude.

La petite fille danse, joue, ondule. Et Lulli, débarrassée du chaos de ses émotions dans ce lieu-refuge, se révèle, comme si « toutes les mauvaises herbes avaient fleuri d’un coup ». En domptant cet ami imaginaire, c’est elle-même que Lulli apprivoise, elle, sa solitude et ses émotions débordantes. C’est cet ami qui l’amène progressivement à se tourner vers les autres, à voir au-delà des apparences. Car « tu sauras me reconnaître dans chaque enfant, sous d’autres formes animales ».

35 mn, c’est court. Et pourtant, quel voyage que cette proposition « jeune public ». Avec Lullinight, Florence Bernad parvient à transcrire toute la beauté et la complexité de la figure de l’ami imaginaire. Mais cette proposition trace surtout les contours d’un univers poétique et puissant qui saisit avec justesse et simplicité les fragilités et les forces nichés au creux des enfants qui nous entourent – et qui sommeillent toujours en nous.

Derrière moi, j’entends un petit garçon et son grand-père « Qu’est-ce qu’elle fait Lulli ? Elle danse pour dire les choses. Qu’est-ce qu’elle dit là ? Elle dit qu’elle est en colère. Et là, qu’est-ce qu’elle dit ? Elle dit qu’elle est bien ».

Camille Vinatier

Photo : ©Frédéric Frankel

Lullinight a été vu dans le cadre d’HiverÔmomes.
Chorégraphie | Florence Bernad et Marie Sinnaeve – Mise en scène | Florence Bernad – Texte | Aurélie Namur – Interprétation | Marie Sinnaeve en alternance avec Ninon Noiret – Assistante | Gypsy David – Lumière | Nicolas Buisson – Illustrateur vidéo | Guillaume Dethorey – Musique | Dietrich Buxtehude – Arrangement musical | Nantho – Accessoire | Romain Taillot – Graphisme | Laurent Xénard

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