FDA et OFF20 annulés : Alain Timár, directeur du Théâtre des Halles, répond à nos questions
Alors que les annonces d’annulation de festivals tombent en cascade suite à l’allocution du Président de la République, Ouvert aux publics donne la parole aux directions de théâtre d’Avignon suite à l’annulation du festival d’Avignon.
Alain Timár, directeur du Théâtre des Halles et metteur en scène, répond à nos questions.
Dans quel état d’esprit êtes-vous depuis l’annonce de l’annulation du Festival d’Avignon ?
Après la décision d’Olivier Py et Paul Rodin, l’annulation du Festival d’Avignon sera certainement entérinée par le C.A. qui se tiendra par visioconférence le 20 avril. Je pense depuis toujours que le festival est une manifestation unique : unique dans le monde du spectacle vivant, unique également par son double aspect In et Off, unique enfin par le lien historique qui lie ces deux composantes. Je comprends de moins en moins le distinguo opéré et entretenu entre le In et le Off. Je préfère donc parler d’un Festival à Avignon dans son ensemble et sa pluralité. L’un des aspects et pas des moindres, c’est bien sûr la programmation officielle mais qui reste intimement soudée à l’activité et au dynamisme de l’ensemble du Festival Off. L’annulation de l’une des parties fragilise l’ensemble et nous place de fait en situation de crise.
Compte tenu du contexte sanitaire et de la dernière déclaration du Président de la République, stipulant notamment que les manifestations culturelles ne pourraient pas se tenir avant le 15 juillet, cela entraînait de facto l’annulation de l’ensemble du Festival. En ce qui me concerne, j’avais pris la décision il y a quelques jours déjà, en concertation avec mon équipe, d’annuler la participation du Théâtre des Halles au Festival 2020.
Vous pensiez donc à cette annulation depuis un petit moment ?
La situation sanitaire, le contexte psychologique, évidemment, n’étaient pas bons, c’est le moins qu’on puisse dire. De plus, au Théâtre des halles, nous avions cette année plus de 80% de créations (11 spectacles sur 14 programmés). La plupart des compagnies répétaient, d’autres allaient démarrer quand l’annonce du confinement est intervenue (le 13 mars). Impossible donc d’assumer une programmation digne de ce nom ou de présenter des spectacles inachevés. Le double impact sanitaire et psychologique de cette crise aurait fait peser trop d’incertitude tant du côté des artistes que du public.
Pensez-vous que ce double impact aura des répercussions sur l’après-crise ?
J’espère que l’on pourra en tirer les leçons adéquates d’un point de vue politique, économique, social et artistique. Aborderons-nous l’avenir avec un peu plus de solidarité, un regard et des actes plus précautionneux ou soucieux de l’autre, des autres dans notre société ?
Cette annulation du festival aura un impact économique important pour les théâtres ouverts à l’année sur Avignon. Le mesurez-vous aujourd’hui ?
L’impact économique sera évidemment très important. Secours et aide des pouvoirs publics sont absolument essentiels : il en va de la survie d’une grande partie des artistes, des compagnies et des lieux de diffusion et de ce qu’on appelle « l’exception française ». Je pense avec beaucoup d’émotion aux difficultés à venir : matérielles mais aussi mentales. Que dire également des pertes financières de la billetterie, des contrats signés auprès des compagnies ? Tout cela représente beaucoup d’argent et des déficits en perspective. La question du futur immédiat se pose dès à présent : comment retrouver les moyens humains et financiers d’assumer, d’assurer les créations et les programmations ? Devant le gouffre de la perte économique, le risque également de la perte humaine, et si on ne veut pas que la situation s’aggrave inexorablement, il faut que l’ensemble des secteurs touchés soit soutenu, aidé par les pouvoirs publics. Comment pourrions-nous nous en sortir autrement ?
Sur les aides des pouvoirs publics, les collectivités territoriales s’emparent plus du problème de la Ministère de la Culture et de la communication. Cela semble étonnant ?
La Ville d’Avignon est affectée directement, la Région également. Il ne faut pas oublier que nous sommes une terre de festivals. Le tourisme culturel contribue fortement à l’équilibre économique du territoire. Je rejoins la volonté de Madame le Maire d’Avignon Cécille Helle de demander une aide exceptionnelle à l’État. J’aurais aimé par ailleurs, une ou plusieurs prises de parole directes de la part du Ministère de la Culture. Devant la gravité de la situation, le soutien verbal et moral me paraissent plus que nécessaires, avant même de parler argent. Il est vrai que le Ministre de la Culture, Monsieur Frank Riester, a été lui-même touché par le coronavirus, ce qui explique certainement et excuse son silence.
J’imagine que vous êtes en relation avec l’ensemble des compagnies depuis l’annulation ?
Nous n’avons cessé d’être en contact avec les compagnies, bien en amont de l’annulation du Festival In. Tout le monde a reçu un énorme coup sur la tête. Nous ne sommes pas encore en phase de résilience, pour paraphraser Boris Cyrulnik, nous restons toujours sonnés. Mais nous essayons malgré tout de palier aux urgences, comme on peut et en toute responsabilité vis-à-vis des compagnies que nous devions accueillir cet été.
Est-ce que l’on peut envisager que la programmation de ce festival soit reportée sur le festival 2021 ?
Au regard du nombre de créations prévues, nous aimerions autant que possible reporter tout ou partie ces spectacles à l’occasion du prochain Festival ou en saison d’hiver. Nous réfléchissons sur le comment organiser au mieux ce chamboulement.
Vous étiez vous-même en pleine création.
Oui. Ce matin, je recevais au théâtre des journalistes pour une interview. Ils ont notamment filmé l’intérieur du théâtre, mais un théâtre… vide. Je m’explique : un théâtre longtemps, trop longtemps resté vide, sans la présence de spectateurs et d’artistes. Un vide vidé de sa substance, un peu comme une rivière ou un cours d’eau asséchés. Car il existe des vides « pleins » de résonance, de vibrations, de senteurs et d’autres vides… sans plus rien. C’est ce dernier que j’ai et que nous avons ressenti en pénétrant sur le plateau. Quelle tristesse ! Tout était en place pour la reprise des répétitions d’un nouveau spectacle : Sosies de Rémi De Vos. Nous avions commencé à répéter au Théâtre Montansier à Versailles en février et l’ensemble de l’équipe était enthousiaste à l’idée de continuer le travail. Nous voilà à l’arrêt, stoppés net dans notre énergie, solitaires dans nos confinements et quelque peu désœuvrés…
Nous attendons jour après jour les annonces qui permettront de nous organiser dans le lieu après le 11 mai. Si les conditions sanitaires sont requises, nous accueillerons en résidence plusieurs compagnies, 3 en principe, afin qu’elles puissent créer leurs spectacles. Pour Sosies, 16 dates sont déjà vendues (début 2021) à travers la France et la Suisse ! Les deux compagnies régionales que nous soutenons ont également des tournées à honorer… Nous tenterons de maintenir tous les apports en coproduction et toutes les cessions engagées.
On sent que vous conservez votre énergie…
Qui me me connaît et qui connaît l’équipe avec laquelle je travaille et à laquelle je tiens, sait que nous sommes des combattants engagés, si je puis m’exprimer ainsi. En tout cas, en dépit de la gravité de la situation, on essaie d’avancer et de construire. Mais sans le public, nous ne sommes pas grand-chose. Nous l’attendons avec fébrilité, dans l’espoir de ressentir à nouveau et ensemble ces temps uniques de partage qu’aucun réseau social ne pourra égaler.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Visuel : ©TDH
Site du Théâtre des Halles.