Interview : Daniel Cling pour Une aventure théâtrale
Réalisateur de films documentaires, Daniel Cling propose en ce début année, dans les salles obscures, Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation. En 100 minutes, c’est une double histoire qui se déroule sous nos yeux, d’un côté celle du théâtre et de l’autre celle de la société française dans l’après-guerre. Interview de cet amoureux du vivant en trois temps.
Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation, le film
Sort sur les écrans le 10 janvier, votre film Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation. Comment le présenteriez-vous ?
Le personnage principal du film est le comédien Philippe Mercier. Il a débuté très jeune à la Comédie de Rennes. Il va rencontrer les différents protagonistes de cette aventure, qu’il connaît pour avoir travaillé avec eux. Ils échangent soit sur leur expérience mutuelle, soit sur l’idée du théâtre, ou encore sur leur histoire personnelle que chacun entretient avec le spectacle vivant. C’est un film qui est fait essentiellement de rencontres.
Est-ce que l’on pourrait imaginer un autre film, ou une suite, de cette aventure théâtrale avec les échanges qui ne figurent pas dans le film ?
Votre question est intéressante car le film raconte 34 ans d’histoire, de 1947 à 1981. C’est vrai qu’une histoire de 1980 à nos jours mériterait d’être racontée.
L’histoire du théâtre est très riche et celle de la seconde moitié du XXe siècle en France est extrêmement féconde. D’un côté, il y a une histoire du théâtre d’art à l’entre-deux-guerres avec le Cartel, Jouvet, Pitoëff, Dullin et Baty, qui pour deux d’entre eux sont dans le sillage de Jacques Copeau, grand pionnier du théâtre d’art en France ; et de l’autre, on a également une histoire du théâtre populaire qui est extrêmement riche depuis Firmin Gémier, et si on remonte un peu plus en avant, avec André Antoine. Ces deux versants de la longue histoire du théâtre se rejoignent grâce à la décentralisation théâtrale. Donc, ce que le film raconte est l’enthousiasme de l’immédiat après-guerre de ces comédiens, metteurs en scène ou de troupes qui sont partis sur les routes pour conquérir un public qui n’allait soit pas au théâtre ou qui n’avait pas l’habitude de voir un répertoire moderne. C’est aussi l’histoire d’une décentralisation qui a évolué progressivement pour devenir le lieu de l’expérimentation théâtrale et de l’excellence. Aujourd’hui en France, le théâtre privé représente un théâtre moins à l’avant-garde que le théâtre public, alors qu’à l’entre-deux-guerres, c’était le contraire. Le film s’arrête en 1981, et à partir de cette date, on pourrait évidemment raconter une nouvelle histoire.
Vous connaissez le monde du théâtre. Quel regard portez-vous sur celui-ci ?
Mon regard est celui d’un homme de 50 ans, avec une certaine expérience du théâtre. Je vais au théâtre depuis plus de 40 ans. J’avais 7 ans pour mon premier spectacle, au Festival d’Avignon. C’était une pièce mise en scène par Mehmet Ulusoy, sous un chapiteau (metteur en scène turc décédé en 2005). J’étais familier du Festival d’Avignon, mes parents m’emmenaient énormément au théâtre à Paris. J’ai donc une longue histoire et c’est pourquoi j’ai répondu à la commande de l’Union des Artistes pour réaliser ce film.
Il m’est difficile de vous donner mon point de vue. D’un côté, il y a celui sur le théâtre en général, sur la qualité indiscutable de l’activité théâtrale en France qui me semble être unique au monde. Ensuite, il y a mon intérêt particulier pour la décentralisation théâtrale qui raconte une partie de l’histoire de France et qui témoigne de certaines valeurs auxquelles je suis très attaché telle que la démocratisation de la culture. Aujourd’hui, je pense que les théâtres publics ne jouent plus bien leur rôle et qu’ils ont tourné en partie le dos à ce qu’avaient fait les pionniers. Pour résumer ma pensée, je reviendrais sur ce que dit dans le film Pierre Vial, ce comédien magnifique qui a oeuvré pour Antoine Vitez. Il raconte comment il est venu au théâtre : » J’aimais beaucoup Jouvet, et j’aimais beaucoup Dullin, mais peut-être plus Dullin car si ses spectacles étaient moins bons, c’était plus généreux que Jouvet ». J’aime beaucoup cette idée du théâtre qui est un art généreux avec cette dualité : plus il est artistique, plus il risque d’être moins généreux, plus il est généreux et plus il risque d’être moins artistique. Je pense que la décentralisation théâtrale a prouvé que l’on pouvait faire un théâtre exigeant pour le plus grand nombre de la façon la plus généreuse qu’il soit.
Lorsque l’on voit les salles des théâtres aujourd’hui, se pose la question de la fréquentation. Certaines salles de spectacle sont désertées…
Alors ça c’est une question. La démocratie a besoin du théâtre. Il est un outil essentiel de la représentation du monde, de questionnements, de production du mythe dans la société. A l’Antiquité, le théâtre était un grand moment où la société se retrouvait pour que l’homme repense sa place dans le monde. A l’immédiat après-guerre, quand Jeanne Laurent a pensé que le théâtre pouvait jouer un rôle dans l’est de la France mais aussi un peu partout afin de recréer du sens, un avenir à ce pays, si elle a pensé au théâtre, c’est que seul le théâtre permet aux gens de se retrouver devant des comédiens vivants qui, grâce à la parole du poète, représentent les questions essentielles auxquelles nous avons à faire face. De ce point vue, le théâtre occupe une double fonction éminemment politique et sociale. Sans les pouvoirs publics, le théâtre s’étiole ou ne s’adresse plus qu’à une élite.
La place du film documentaire dans l’industrie cinématographique
Je vais poser une question au réalisateur que vous êtes. Il semble que le documentaire retrouve une certaine place dans l’univers du cinéma ?
Quelques documentaires arrivent à avoir une vie exceptionnelle en salles, dernier refuge pour ces films. Je pense au film de Christian Rouaud, Tous au Larzac, ou bien à celui François Ruffin, Merci patron !. Mais il faut se dire que la plupart des documentaires ont une vie très courte en salles et plus du tout de vie à la télévision nationale. La télévision publique, France Télévision, et Arte s’en désintéressent manifestement. Il y a encore des cases dans leurs programmations mais ce sont des cases d’alibi. Si on ajoute que même au Centre National du Cinéma, il y a une guerre qui est faite aux films pauvres dont fait partie le documentaire…
Le documentaire se meurt en France car la télévision ne produit presque plus de documentaires d’auteurs et s’ils se tournent vers les salles de cinéma, c’est qu’ils cherchent à exister. Pour vous donner une idée, il y a 5 ans, un documentaire avait plusieurs séances par jour en salle, aujourd’hui, ce sera une séance par jour. On estime qu’un documentaire va faire 3 000 entrées. Nous nous trouvons donc dans une période sombre pour ce genre de film, mais aussi pour tout ce qui questionne la société car nous sommes dans un unanimisme de pensée.
Est-ce que le développement des chaînes telles que Youtube pourrait être envisagé comme moyen de diffusion ?
Oui, Internet donne une visibilité exceptionnelle, mais cela ne preprésente des années de travail. Le financement public est essentiel pour le cinéma, tout comme pour le théâtre, essentiel pour la fiction, le documentaire. Le financement public se détourne de ces économies fragiles, donc on ne se retrouve plus qu’avec des productions industrielles, les blockbusters à la française, au détriment des films qui font la richesse du cinéma français, au détriment du documentaire qui fait la richesse d’une réflexion sur le monde et qui est un outil de connaissance assez inestimable. J’en prends pour preuve qu’Il y a énormément d’universités où l’on apprend le cinéma documentaire ce qui montre bien qu’il s’est imposé comme un genre majeur.
Les soirées documentaires à Robion
Vous enseignez le cinéma à l’Université d’Aix-Marseille et au CRR de Douai, vous animez des soirées projections à Robion. Comment conciliez-vous ces deux activités ?
J’anime effectivement des soirées documentaires à Robion, depuis 5 ans maintenant. Nous avons poursuivi ces soirées avec la nouvelle municipalité. Elles ont pour but de fédérer un public de fidèles curieux de films qui n’étaient pas forcément diffusés à la télévision ou qui ne sortaient pas forcément en salle. Ce public d’une soixantaine de personnes vient, 2 fois par an, voir un documentaire dans le cadre du Mois du film documentaire et tantôt un premier film des étudiants de l’université d’aix-marseille. Les projections sont suivies de débats passionnants. Les gens sont heureux lorsqu’on leur montre des choses qui les font penser.
Ces soirées sont réalisées avec les médiathèques de la communauté d’agglomération Luberon Monts de Vaucluse, l’association Les Passeurs de mots, et plusieurs associations partenaires.
Nous arrivons au terme de notre échange. Je vous poserai deux questions. La première est celle-ci : est-ce que vous regardez beaucoup la télévision ?
Non, mais je la regarde régulièrement pour voir ce qui se fait. Je regarde des choses car ça m’intéresse de savoir où l’on en est.
Et la seconde : quels sont les films qui constitueraient votre cinémathèque personnelle si vous deviez partir sur une île déserte ?
Un film ce n’est pas comme un roman. Lorsque vous en lisez la dernière page, vous pouvez le relire une semaine après. A moins d’être un enfant qui regarde 10 fois de suite Le Roi Lion, on regarde un film pour un plaisir particulier. J’aurais beaucoup de plaisir à revoir Le Sacrifice de Tarkowski. Mais je ne pense pas que l’on puisse être sur une île déserte avec des films car on ne pourrait pas les regarder, tout simplement.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Photo : François Vila
UNE AVENTURE THEATRALE, 30 ans de décentralisation est à découvrir en salle à partir du 10 janvier 2018.
Projection au Clap à Bollène. Renseignements ICI. Dans le cadre des 20 ans de la compagnie Éclats de Scènes.
UNE AVENTURE THEATRALE, 30 ans de décentralisation
Un film documentaire de Daniel Cling (100’) Avec (par ordre alphabétique) Robert Abirached, Françoise Bertin, Roland Bertin, Emile Biasini, Catherine Dasté, Jean Dasté, Sonia Debeauvais, Pierre Debauche, Général de Gaulle, Aristide Demonico, Jacques Fornier, Gabriel Garran, Hubert Gignoux, Georges Goubert, Jean-Louis Hourdin, Evelyne Istria, Jacques Kraemer, Jean-François Lapalus, Jacques Lassalle, Jeanne Laurent, René Loyon, André Malraux, Philippe Mercier, Gabriel Monnet, Guy Parigot, Roger Planchon, Jack Ralite, Guy Rétoré, Isabelle Sadoyan, Maurice Sarrazin, Christian Schiaretti, Bernard Sobel, André Steiger, Arlette Téphany, Pierre Vial, Jean Vilar, Hélène Vincent, Jean-Pierre Vincent, Antoine Vitez.
Montage : Anne Marie C. Leduc Image : Guillaume Martin, Jacques Besse, Damien Fritch
Musique : Jonathan Harvey Son : Nicolas Joly, Thomas Perlmutter, Emmanuelle Sabouraud, Éric Tayné, Samuel Mittelman
Productrice : Céline Loiseau coproduit par : Josiane Schauner, Olivier Bourbeillon Producteurs associés : Miléna Poylo & Gilles Sacuto