Interview : Nosfell pour Echo Zulu Tour
Il a signé l’un des meilleurs albums de l’année dernière. Son titre, Echo Zulu, résonne comme un mantra. Nosfell revient sur scène, entouré de sa formation. À l’occasion de son passage à l’Auditorium Jean Moulin – Le Thor le 12 janvier, interview.
Photographie : Frank Loriou.
Lorsque l’on lit ou écoute vos différentes interviews, on sent que vous avez une certaine jouissance à être sur scène pour l’Echo Zulu Tour, entouré par votre groupe.
J’ai travaillé pendant 5 ans avec Philippe Découflé. Il y avait beaucoup de technique, voir de technologie pour synchroniser de nombreux éléments ; là j’avais envie de revenir à mes premières amours : monter sur scène, jouer et chanter sans que le temps soit découpé par un métronome, de façon précise. Pour cela, j’avais envie de jouer avec les meilleurs musiciens. Ça m’a pris un an pour rencontrer les bonnes personnes. Je voulais prendre le temps pour monter l’équipe artistique et qu’elle soit solide. L’idée était de se retrouver avec un groupe de copains. Oui, je prends vraiment beaucoup de plaisir et c’est comme ça que je voulais vivre ma musique sur cette tournée. Je crois que ce dernier plaisir d’être sur scène avec des musiciens remonte à 2009 pour mon opéra, Le Lac aux Vélies, pour lequel j’avais tout un orchestre philharmonique derrière moi. Je dis cela mais ce n’est pas pour paraître prétentieux.
Echo Zulu est un miroir que vous tendez à chacun de vos auditeurs. On retrouve des titres politiques tels que Les gorges, Les rois. La Blessure l’est tout également, le tout que ce soit sur des airs pop ou rock.
Pour moi, il était important de créer une dichotomie entre ce qui est dit et la manière dont la musique allait porter tout cela. J’avais envie de proposer des formes moins méandreuses, avec moins d’arrangements harmoniques que sur les précédents albums.
Je trouve que nous traversons une période de chaos qui nous échappe un petit peu. Nous sommes un peu protégés par rapport à d’autres âmes qui sont laissées à la dérive et blessées par nos sociétés incapables de donner de l’amour.
Dans le titre La Blessure, la mère est une métaphore et c’est d’actualité malheureusement. Sans rentrer dans des poncifs trop chrétiens, je crois que le mal que l’on fait aux migrants en ne les accueillant pas convenablement, c’est à nous mêmes que nous nous le faisons. De cette incapacité à ne pas savoir les recevoir, c’est une véritable gangrène que l’on crée. L’Histoire que nous sommes en train de créer est très complexe. Ensuite, il y a certainement des choses plus personnelles qui doivent m’échapper aussi un peu. Il y a de mon rapport à mon jeune frère. Je n’ai pas voulu être impudique, mais il y a cette impossibilité à communiquer que j’ai articulé dans les paroles sans m’en rendre compte.
Je crois que cette idée de miroir que vous proposez est nécessaire afin de se sentir en communion avec d’autres. La chanson Les Rois traite de cela. Depuis un certain temps, on vit des évènements, tels que les attentats, qui sont les dommages collatéraux des guerres qui se passent ailleurs. J’ai demandé à Anne-James Chaton d’écrire un texte sur la guerre car pour moi il était difficile d’écrire sur quelque chose que je n’avais pas vécu. Il a trouvé les mots plus justes, plus froids. Cet abattage de noms propres et d’événements historiques est une véritable réussite. Cela a été sa proposition et c’était idéal pour moi.
Vous exposez également des moments de vie personnelle comme avec The party ou Ricochets. Si on s’arrête sur les paroles, l’humain est une véritable bête pour lui-même.
Cette dichotomie, que l’on vit tous, noircit une partie du tableau. C’est quelque chose que j’ai vécu ces derniers temps car je suis retombé dans une forme de dépression, où je ne savais pas trop où j’allais, où j’étais porté par le spectacle vivant et par des choses qui m’échappaient. Je me demandais vers quoi je voulais aller. J’ai souhaité reprendre une psychanalyse avant la tournée de Contact (ndlr spectacle de Philippe Découflé). Je vivais une crise car je perdais pieds entre les deux projets, Amour massif, le spectacle de Philippe, et un décés dans mon entourage que je n’ai pas su gérer. Ça faisait beaucoup.
Que dites-vous aux fans de la première heure, charmés par votre langue, le klokobetz, et qui aujourd’hui se retrouvent avec un album anglais-français ?
Sur mon premier album, Pomaïe Klokochazia balek, on a beaucoup parlé de cette langue alors que l’anglais est majoritaire. Dès le deuxième album, Kälin Bla Lemsnit Dünfel Labyanit, j’ai cultivé une sorte de syncrétisme autour du français, de l’anglais et du klokobetz. Sur le troisième album, Nosfell, je ne chante que dans cette langue. Daniel Darc et Brody Dalle chantent en anglais. Le Lac aux Vélies (ndlr album sorti en 2009, avec le musicien Pierre Le Bourgeois) résume tout ça car on retrouve des titres en anglais des deux premiers albums traduits dans ce langage. Pour moi, cette symphonie lyrique résout quelque chose, elle mettait un point final aux violences vécues durant mon enfance. Le muscle d’écriture qui va puiser dans l’arrière sombre de mon enfance me fait du mal. Je ne vais pas me faire du mal indéfiniment en écrivant tout le temps dans cette langue et ronronner un style. Ce qui m’intéresse est de trouver des choses afin de me renouveler.
Pourtant, votre album Echo Zulu se referme sur un titre caché chanté en koklobetz, Babel, que vous venez d’illustrer d’une lyrics vidéo ? Était-ce une volonté de mettre ce titre caché et est-ce que vous en avez écrit d’autres ?
Ce qui m’a fait plaisir avec cette lyrics vidéo, c’était de faire cela dans une langue que personne ne connaissait. Ce qui a motivé cela est Jérémy Barrault qui m’a écrit il y a un an en me disant : « je m’intéresse à votre langue. Je l’ai étudié car j’ai compris que c’était une langue qui fonctionnait. Je suis typographe et je souhaiterais vous aider à créer une typographie de votre langue. »
Nous nous sommes rencontrés et il m’a montré son travail par lequel j’ai été ébloui. Avec l’aide de logiciels, il a créé les signes. Nous avons travaillé durant un an. Et aujourd’hui, je peux transcrire ma langue à l’écran. Il y a 180 combinaisons ! Je lui ai transmis ce système d’écriture. Aujourd’hui, il y a une deuxième personne qui sait comment écrire cette langue.
Nous avons fait ce clip en photographiant les cartons typographiés, sans réel budget.
Pour la chanson elle-même, c’est la seule qui est venue à moi dans le processus d’écriture. Je l’ai vu comme un reliquat dont il fallait prendre soin. J’avais envie de l’enfouir dans le disque. C’est pour cela que l’on entend le bruitage d’une cassette que l’on introduit dans un lecteur pour l’écouter.
Je pense que je reviendrai à cette langue, de façon beaucoup plus fraîche, plus détendu. Ce qui est important pour moi, d’un album à un autre, est de sortir de ma zone de confort en permanence et de trouver qui est cette personne qui transmet cette création. Il y aura toujours du Nosfell d’un album à un autre, mais de façon différente.
Est-ce que vous envisagez d’autres collaborations avec des artistes du spectacle vivant ?
J’avais envie de traverser au moins une fois dans mon parcours cette idée de monter un groupe avec lequel la musique était jouée en direct, ce qui se fait avec Echo Zulu. Je suis toujours très ouvert pour des rencontres artistiques. J’ai adoré travaillé avec Philippe Découflé, même si cela était contraignant sur le plateau. Mais nous allons prendre une petite pause car nous avons travaillé durant 5 ans ensemble, c’était long et intense. Maintenant, il se tourne vers le spectacle jeune public.
Justement, puisque vous avez un enfant en bas âge, cela ne vous intéresserait pas de travailler sur un spectacle jeune public ?
Pas nécessairement, mais en même temps, je ne vous cache pas que depuis quelque mois ma petite fille refuse que je lui joue de la musique car cela signifie pour elle que je m’éloigne quand je suis en tournée. Donc, trouver un subterfuge pour lui donner envie d’en écouter, pourquoi pas ! (rires)
Propos recueillispar Laurent Bourbousson
ECHO ZULU TOUR à l’Auditorium Jean Mouin – Le Thor le vendredi 12 janvier 2018 à 20h30. 1ère partie : Flangers
Réservations et renseignements : 04 90 33 96 80 Tarifs : de 12 à 15 euros.
Bonjour Laurent !
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