Interview. Sabrina Bus et Natascha Rudolf : Looking for Lulu
Looking for Lulu ouvre la saison du Théâtre des Halles (Avignon), ce jeudi et vendredi. Sabrina Bus et de Natascha Rudolf nous parlent de la mystérieuse Lulu. Interview.
Le point de départ de Looking for Lulu est l’oeuvre La boîte de Pandore de Frank Wedeking. Sabrina Bus, comédienne et directrice artistique de la Compagnie Véhicule, la fait découvrir à Natascha Rudolf, metteuse en scène. Elle en signe une adaptation sur la figure des femmes.
Le rapport à l’œuvre de Frank Wedekind
Après la lecture de La boîte de Pandore, quel procédé avez-vous utilisé pour vous distancier du recueil ?
Natascha Rudolf : Se distancier du recueil nous a été nécessaire pour accéder à ce qui nous semblait important. L’oeuvre originale est très moderne mais comporte aussi des aspects très 19ème qui nous intéressaient moins.
Sabrina Bus : La pièce de Wedekind s’étale sur 3 villes, plus de 20 rôles 5 actes et plus de 3 h de spectacle! C’est ainsi que nous n’avons pas retenu l’acte qui se déroule à Paris qui met en scène une soirée mondaine avec un krach boursier.
NR : Nous avons donc choisi de précipiter l’action et de resserrer les enjeux en nous concentrant sur l’entourage proche de Lulu, à savoir son père, son père adoptif, son amant, son mari, son frère adoptif… Et ces « statuts » sont interchangeables dans la pièce, ajoutant à la perte et à la confusion.
SB : Et puis Wedekind fait mourir Lulu sous le coup de Jack l’Éventreur ce qui était un fait divers contemporain à son époque. Dans Looking for Lulu, nous proposons une autre issue.
Looking for Lulu
Pour construire le personnage de Lulu, vers quelles figures féminines vous vous êtes retournées ?
SB : Pour la figure de Lulu, nous ne nous sommes pas inspiré de figures féminines existantes, comme Louise Brooks. Non ! On dit que Lulu est un animal. C’est une de nos amies, une belle golden rootriver, qui a été la principale source d’inspiration! Pleine, entière, et naturelle !
NR : Plus sérieusement, en travaillant sur Lulu nous avons dû nous confronter à la représentation de la « femme fatale ». Ce que l’on désigne comme la femme fatale c’est une projection sur une femme, voire une appropriation d’une femme. Pour Hitchcock ce sera une blonde platine, pour Almodóvar un autre type… La femme fatale ne le sera pas pour tout le monde. Ce concept de femme fatale piège à la fois le personnage, la comédienne et les femmes en général.
C’est subjectif et enfermant. Dans la mise en scène, on a tué dans l’œuf, c’est à dire traité et évacué la question de la femme fatale.
Lulu est-elle une ou plusieurs ?
NR : Dans le texte de Wedekind, il y a en fait très peu d’éléments sur Lulu. Elle parle peu d’elle. Ce qu’on sait d’elle, c’est par les autres. Elle est mystérieuse, et donc elle est comme une surface lisse, un miroir sur lequel chacun projette ses fantasmes.
SB : Mais elle échappe sans cesse et c’est en ça qu’elle peut être fatale.
Lulu se fond-elle dans les attitudes que l’on attend d’elle ?
NR : Lulu est dans une sorte d’absence à elle même. Mais aussi elle va loin, s’ennuyant et testant les limites en permanence. Chacun se croit dans une relation singulière avec elle et projette sur elle ce dont il a besoin. A l’instar de notre scénographie, une surface de jeu réfléchissante qui prend des nuances différentes sans changer elle-même.
Comment cela se traduit-il sur le plateau pour la metteuse en scène et pour la comédienne ?
NR : Dans la direction d’acteurs, je me suis attachée à être très proche du texte, à écouter ce qu’il me dit vraiment. Il y a des mystères dans le texte que j’ai acceptés. Les éléments de jeu sont très simples, le plateau est plutôt dépouillé. Mais j’ai pris ces personnages très au sérieux malgré tous leurs excès, je leur ai fait « confiance ». Et c’est donc le texte qui est premier, le texte brut.
SB : J’ai laissé résonner ce texte physiquement en moi. Car c’est une écriture très particulière, entrecoupée de tirets, de respiration. Et le laisser respirer en moi m’a conduite vers un jeu très corporel. Nous avons cherché la liberté, absolument : une liberté de mouvements et de ton. Parce qu’elle a une force de vie rare qui invite à ça. Et qu’elle pousse les limites. Elle joue avec. Et elle jouit d’en jouer.
La femme aujourd’hui
Dans le quotidien, on a l’impression que le clivage masculin/féminin se durcit…
SB : C’est une ligne mouvante. Elle se durcit d’une part quand de l’autre et dans le même temps elle s’assouplit. Mais de fait, la différence sexuelle entraîne des distinctions qui dépassent largement cette différence.
Quel combat la femme doit-elle mener pour se libérer des préjugés dont elle fait l’objet ?
NR et SB : Le premier travail est sans doute soi-même de ne pas s’enfermer dans le regard d’autrui et dans des préjugés. Pour les femmes comme pour les hommes. Un travail sur sa liberté. Mais les désirs des femmes sont aussi multiples que les femmes elles-mêmes. C’est pourquoi la femme n’existe pas et qu’il convient toujours de parler des femmes.
Le coin info :
Looking for Lulu d’après Franck Wedekind, adaptation et mise en scène Natascha Rudolf, avec Brice Beaugier, Olivier Boudrans, Sabrina Bus, Benoît Hamelin, Alexandre Jazédé
Jeudi 22 et vendredi 23 septembre à 20h. Tarifs de 5 à 21 euros.
Théâtre des Halles, rue du roi René, Avignon. Renseignements : 04 90 85 52 57
Laurent Bourbousson