[ITW] Pierre Notte pour L’effort d’être spectateur
On s’est entretenu avec Pierre Notte pour L’effort d’être spectateur, qui est repris au Théâtre de l’olivier (Istres), le 10 décembre. On a parlé de la création de cet opus, du fait d’être spectateur, de la famille du théâtre et des Filles de Simone. Interview.
Vous reprenez L’effort d’être spectateur, en tournée, qui a rencontré un vif succès durant les festivals Off18 et OFF19 d’Avignon.
Oui, tout à fait. C’est un spectacle que j’ai pu créer grâce à Alain Timár (directeur du Théâtre des Halles ndlr). Il m’a donné, d’une certaine manière, carte blanche car je n’avais pas de projet très précis à lui proposer. Il m’a invité à y faire ce que je voulais. J’avais fait des lectures dans d’autres festivals de ce texte et j’ai décidé d’en faire un spectacle. J’ai dirigé, écrit et mis en scène L’effort d’être spectateur.
La création du spectacle
Est-ce que cette carte blanche vous a permis de créer librement ?
Bien sûr. C’est un formidable accident parce que très imprévu. Cette invitation a été très spontanée de la part d’Alain. Il avait mis en scène, un de mes textes, Pédagogies de l’échec dans son théâtre. Je crois que l’on s’aime beaucoup tous les deux. On travaille à des endroits très différents, il est metteur en scène et scénographe, je suis metteur en scène et interprète.
L’effort d’être spectateur est l’histoire d’une rencontre fortuite avec les moyens qu’il m’a donné pour présenter ce projet dont je ne savais rien. Je pensais que c’était un machin impossible à réaliser car c’est à la fois une conférence, une performance, un spectacle. C’est à la fois tout ça et rien de tout ça. De la part d’Alain, c’était très risqué de me laisser faire n’importe quoi. Et je l’ai fait et on a été très surpris dès la première représentation.
Ce spectacle a été créé dans la Chapelle, cet été, et vous le reprenez dans la salle du Chapitre et son grand plateau. Comment appréhendez-vous ce passage ?
Je suis absolument terrifié. J’ai pu tourner le spectacle dans des configurations totalement différentes. C’est un spectacle que l’on peut jouer dans des appartements, dans des salles de classe, dans des salles de 100, 150, 300 places. C’est un spectacle qui dépend strictement de la présence du public. Si nous sommes 20, 200 ou 300 dans la salle, le spectacle ne sera pas le même car je ne fais que dialoguer avec le public. Je prends en compte la dimension de l’espace, de la place du public. Je découvre toujours cela le soir de la représentation et le spectacle est modifié en conséquence.
L’acte de la représentation
C’est donc un numéro de haute voltige pour vous à chaque représentation ?
Le spectacle repose sur cet inconfort et sur cette fragilité. Je prétends, et c’est l’une des théories de ma démonstration, que le spectateur ne supporte pas le confort, c’est-à-dire qu’il est là pour se sentir vivant et qu’il a besoin d’éprouver quelque chose qui aurait avoir avec le danger. Donc, j’ai choisi de me mettre moi-même en danger puisque je le démontre. Je m’expose sous toutes mes coutures et mes formes pour assumer mes points de vue. Je dois, à chaque fois, prendre en compte la diversité des spectateurs, leur nombre, leur personnalité, leur réaction. Évidemment, j’ai une base solide. C’est un risque mesuré.
Quand on lit la présentation du spectacle, on l’impression que vous faites un constat sur votre parcours.
C’est mon expérience de spectateur qui m’a permis de mieux comprendre ce que je voulais faire en tant qu’écrivain, metteur en scène ou comédien. D’être spectateur m’a permis de comprendre ce que j’attendais du théâtre. Tout ça se nourrit considérablement. La force du théâtre est la relation que le comédien met en place avec chaque spectateur dans la salle. Je tente de comprendre ce que j’attends moi-même du théâtre, en tant que spectateur, puis en tant que comédien, en tant que metteur en scène. Ce spectacle me permet de retrouver les fondamentaux de ma nécessité d’être sur le plateau. C’est d’une grande banalité, mais je trouve que quand la nécessité d’être présent sur le plateau et de faire des choses se perd, la nécessité d’être spectateur démissionne totalement. Donc la relation s’éteint.
La famille du théâtre
Vous présenterez à nouveau L’effort d’être spectateur durant l’été prochain à Avignon. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
J’ai toujours très peur du moment où j’aurais épuisé tous les publics. Alain Timár ne souhaite pas faire de reprise pour le festival. Avec son accord, je reprends L’effort dans un autre lieu. Ses directeurs sont très passionnés, très entiers et ils ont une programmation exceptionnelle. J’espère que je ne vais pas me casser la gueule ! mais j’y vais surtout pour participer à l’aventure de ce lieu après celle des. Je vais côtoyer des comédiens qui me sont chers. Je rejoins une sorte de famille, où je vais faire mon petit numéro. Toute l’année, on règle des problèmes de logistique et le mois de juillet, c’est un grand moment de bonheur de retrouvailles que d’aller à Avignon.
Vous avez évoqué la famille du théâtre. Quelle est-elle ?
C’est une question complexe, très complexe… La famille du théâtre est une immense famille à l’intérieur de laquelle il y a des familles opposées, qui ont toutes, à peu près, le même projet dont je fais état dans L’effort d’être spectateur. Le projet que nous avons en commun, quoi qu’il arrive, c’est de nous mettre en demeure de penser une représentation du monde, au moment précis où des vivants s’adressent à des vivants. Quel que soit le projet, il y a une représentation du monde et c’est ceci qui nous rapproche tous, mais personne à la même façon de le faire. On le voit avec le nombre de propositions durant le festival à Avignon, il y a une profusion de raconter le monde et il n’y a qu’au théâtre que l’on trouve cette diversité.
En guise de dernière question, quel a été votre dernier effort d’être spectateur ?
J’ai vu la dernière création de la compagnie Les filles de Simone, Les secrets d’un gainage efficace, il y a 4 jours. Ce spectacle fait état du rapport des hommes au corps de la femme, du rapport des femmes à leur propre corps, et aborde la question du corps de la femme dans notre société contemporaine. L’effort a été de remettre en cause tous les clichés et les ignorances dans lesquelles je me vautrais jusque-là et de remettre en cause mon ignorance. J’ai été ébloui par leur travail. J’espère qu’elles seront à Avignon cet été.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
L’effort d’être spectateur, de, mise en scène et interprétation Pierre Notte
Regard extérieur Flore Lefebvre des Noëttes | Création lumière Éric Schoenzetter |Régie lumière et son Anaïs de Freitas
Texte publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs
Retrouvez L’effort d’être spectateur au Théâtre de l’Olivier – Istres, le 10 décembre 2019. Renseignements ici.