Vu : Charles Gonzalès devient
Charles Gonzalès opère un étonnant voyage métaphysique avec sa Trilogie. Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane sont bien présentes sous ses traits. Du théâtre rare. Retour.
Ecrire sur le spectacle porté par Charles Gonzalès donne du fil à retordre car il faut dépasser le style de faire uniquement état du jeu du comédien. Il est seul en scène et ici de reconnaître que sa puissance interprétative est remarquable. Charles Gonzalès devient sous nos yeux, se métamorphose, se glisse serait le verbe le plus juste, dans la peau, ou plutôt les âmes, de celles qu’il incarne. Il est Camille Claudel. Il est Thérèse d’Avila. Il est Sarah Kane. Il reste seul, sur le plateau nu, seul sans sortir, durant 3h40. On pourrait apparenter ce jeu à une performance. Il n’y a plus que lui est nous, ou plutôt elles et nous durant cette traversée. Tout ceci dépasse la notion de jeu. Il fait oublier qu’il est Charles Gonzalès. Il y a un cran supplémentaire qui est franchi dans l’acte de l’interprétation. Camille, Thérèse et Sarah transcendent leur hôte. Elles se matérialisent.
Ecrire sur le spectacle pourrait donc se limiter à faire un minutieux déroulé de ces trois portraits dans l’ordre très précis, qui est le suivant : Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane. Le noir se fait et une voix off contextualise la vie de celle qui va faire son apparition sous les yeux du public. L’ordre souhaité, par le comédien, n’est pas chronologique mais savamment réfléchi afin de faire communiquer les époques entre elles. Chacune répond à l’autre. Camille Claudel, pieds et mains liés à son Auguste Rodin et à sa famille, Thérèse d’Avila, la plus contemporaine de toute, liée à Dieu pour l’éternité mais plus libre qu’il n’y paraît, et Sarah Kane, aliénée à elle-même. Avec l’aide de la vidéo, qui trouve ici toute sa place, Charles Gonzalès ouvre le champ du possible. L’écran est une fenêtre sur l’extérieur, il nous montre le monde. Faire écho de notre monde à travers les siècles (XVIème, XIXème et XXème siècle) démontre la porosité de nos histoires, de l’Histoire.
Car oui, Charles Gonzalès fait bien plus que d’interpréter les rôles de ces femmes. Il nous raconte l’état du monde à travers ces trois portraits. Il les fait parler, les convoque tel un chamane et son corps les exprime. C’est bien plus qu’un spectacle auquel assiste le public. Il est convié à une communion par le comédien qui est passeur d’âme. Il tend à rendre sacré l’acte théâtral et y arrive merveilleusement bien.
La Trilogie, Charles Gonzalès devient a cette force, celle de rendre visible l’invisible à nos yeux. Bravo.
Laurent Bourbousson
Charles Gonzalès devient a été vu au Théâtre des Halles (Avignon). Photo : ©Jean-Didier Tiberghien