VU : La Règle du jeu, Jean Renoir/Christiane Jatahy

8 mars 2017 /// Les retours
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LA RÈGLE DU JEU, de Jean Renoir, dans une mise en scène de Christiane Jatahy est une proposition entre Cinéma français et Comédie Française. Le tout en deux Parties : un film et une pièce de théâtre. Retour.

Déconcertante représentation pour les spectateurs de la Comédie Française.
On commence par vingt cinq minutes de cinéma. Pas de théâtre dans ce lieu sacré. Un comble, même une gageure que d’aborder ainsi un film culte.
Une provocation que de se confronter à un film AVEC un autre film.
Christiane Jatary avait déjà, l’année dernière, adapté cinématographiquement Les Trois Soeurs de Tchekhov au Théâtre de la Colline.Théâtre filmé ou film théâtralisé ? C’était un exercice passionnant. Elle réitère et c’est jouissif.

La Règle du Jeu est une totale immersion dans la bourgeoisie contemporaine. C’est une vision des conflits, voire le chaos vers lequel se dirige l’aristocratie d’avant la Guerre mondiale.
Il y a cette fête organisée par Robert de la Chesnaye (Jéremy Lopez) dans son château . Il y a André Jurrieux (Laurent Lafitte) dont on célèbre le retour – un retour différent de celui du film. Il y a ces histoires qui se nouent et qui se dénouent. Il a Schumacher (Bakary Sangaré) qui devient un Black vigile et gardien des lieux, il y a Christine (Suliane Brahim) l’épouse de Robert qui aujourd’hui est Arabe, il y a cette volonté de replacer l’histoire maintenant. Il y a ce château remplacé par le Lieu de la Comédie Française, l’entrée, les escaliers, les coulisses… On est immergé dans ces pierres, ces marches, ses couloirs, ses rideaux…

Christiane Jatahy change La Règle du Jeu. Elle l’adapte, la transpose en l’actualisant.

C’est Robert qui filme et c’est à travers ses yeux que l’on voit. Mais on ne peut s’empêcher, en voyant sa caméra de penser à Patrice Chéreau qui filme à bras le corps, les visages, les sourires et les yeux comme s’ils étaient partie prenante des joutes verbales. Les comédiens sont sur l’écran, mais à vrai dire on bouge avec eux, on s’immisce dans leur conversation, tellement proches qu’on en devient les invités.

Au temps du Masque et la Plume, Jean-Louis Bory avait une passion pour le film de Jean Renoir. Il le considérait comme un chef d’oeuvre. Il comparaît la célèbre séquence de la levée des lapins avant la chasse comme la symbolisation des problèmes sociaux qui s’apprêtaient à exploser.
Et c’est là que l’on s’aperçoit que Christiane Jatahy a saisi l’importance de cette scène en prenant les lapins comme fil conducteur de cette comédie dramatique.
Les lapins, leurs oreilles et leur fourrure comme symbolique image de la société qui s’affronte : les lapins de la « haute » et les lapins de « la basse ».

On oublie la caméra lorsque les comédiens arrivent sur le plateau. Ce ne sont plus les yeux de Robert qui filment. La caméra est devenue indépendante. On quitte le cinéma de Renoir. On quitte La Règle du jeu que Robert vient de tourner. Les acteurs sont là, comme arrivant de la Place Colette. Ils ont quitté l’écran pour revenir en chair et en os devant nous.
Les acteurs sont maintenant ce qu’ils étaient sur l’écran. Mais sont-ils réels ou sont-ils acteurs de leur propre jeu ?

Seconde partie : Robert, organisateur de la fête donnée en l’honneur de Durieux aime passionnément le cinéma et la Comédie. C’est différent du film de Renoir où il collectionne les automates, (comme les pantins de la tragédie).
« Cinéma français et Comédie Française » ?
Les convives se lâchent. Il y a parodie, amusement, chansons « Dalidadelonesques », cabaret, on vit en direct la vie de la Règle du Jeu.
Sous-jacent, un drame se trame et tout devient lourd et pesant. N’est épargnée aucune classe de la société. Jalousie et haine sont les armes de leur violence. Les comédiens sur scène jouent en même temps qu’ils sont filmés. Suivis remarquablement par une vidéo-caméra dirigée soit par Laurent Lafitte, soit par Jéremy Lopez qui utilise habilement un drône… Les décors se chevauchent. Ils deviennent miroirs et écrans. Les allers et retours salle/plateau se succèdent. Geneviève (Elsa Lepoivre) devient une saoule hystérique, Marceau (Eric Génovèse) émigré taciturne devient acteur/spectateur, angoissé, paniqué presque prostré, le Maître devient violent et tendre à la fois… On pense à Dalio, à Carette et à Paulette Dubost. Laurent Lafitte est un peu frêle, moins intense que dans les films où l’on a l’habitude le voir? Jérôme Pouly et Jérémy Lopez à la fois puissants et raffinés. Une troupe homogène qui bouscule les habitudes du lieu. Unisson.

Cette folie sociale, conflictuelle et meurtrière traverse les époques. C’est là, les mérites de cette mise en scène qui revisite les classiques. Après la programmation des Damnés de Ivo van Hove, Eric Ruf change nos habitudes et redonne à la Comédie Française un souffle différent qui ne laissera personne indifférent.

Un bémol cependant : l’artifice classique et récurrent de haranguer les spectateurs, de les faire participer est un procédé un peu facile et trop présent. Surtout quand il n’a pas la force et la folie déjantée de Vincent Macaigne .
Ce n’est qu’un léger reproche pour un moment de Théatre qui bouscule sans heurter.

Un conseil néanmoins : voir le film de Jean Renoir avant.

Francis Braun

La Règle du jeu
Équipe artistique :
Version scénique, réalisation, mise en scène : Christiane Jatahy
Directeur de la photographie, cadreur : Paulo Camacho
Scénographes du spectacle : Marcelo Lipiani et Christiane Jatahy
Collaborateur artistique : Henrique Mariano
Costumière : Pascale Paume
Créatrice lumières du spectacle : Marie-Christine Soma
Concepteur du système vidéo : Júlio Parente
à voir jusqu’au 15 juin 2017, à la Comédie Française
Renseignements : 01 44 58 15 15

Dessin : Francis Braun

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