VU #OFF18 : Par deux fois, l’écriture d’Alexandra Badea explose notre monde
Europe Connexion et Pulvérisés d’Alexandra Badea racontent notre monde asservi à celui du capitalisme et de ses dérives. Retour sur ces deux propositions portés par deux compagnies : la Compagnie Souricière et L’Arcade. À découvrir de toute urgence.
Europe Connexion par la Compagnie Souricière
Vincent Franchi fait un travail remarquable en région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 2008. Remarquable par le choix de ses engagements artistiques et peu montré, la première action étant de toute évidence le résultat de l’autre. Avec Europe Connexion, il met en scène les déboires d’un assistant parlementaire devenu lobbyiste au service l’industrie des pesticides dans l’agroalimentaire.
Nicolas Violin interprète cet homme avide de pouvoir, pris dans une machine qui broie tout sur son passage, jusqu’à lui-même. Il prend possession du plateau, comme il prend possession de son parcours. L’interprète est à la hauteur de l’enjeu sur la première partie du texte. Il montre les dents affûtées des arrivistes pour se frayer un chemin sûr au pays de ceux qui font les lois. En arrière plan, les vidéos de Guillaume Mika illustrent les pensées du lobbyiste et permettent de créer un trouble et une mise en abîme nécessaires à ce texte.
Mais tout ne va pas se passer comme le souhaiterait notre jeune lobbyiste. Un appel de son grand-père agira comme un électro-choc et c’est petit à petit qu’il perdra pied dans cette course au pouvoir au détriment des individus. Sur cette partie, l’écriture d’Alexandra Badea demande une attention particulière, ce qui semble échapper au comédien. Mais il retrouve de son mordant, avec une pointe d’amertume, lorsqu’il porte un regard lucide sur sa trajectoire professionnelle.
En portant son choix sur ce texte, le metteur en scène Vincent Franchi met au plateau un sujet brûlant d’actualité (voir son interview réalisée lors de la création ici).
Pulvérisés par la compagnie L’Arcade
Vincent Dussart met en scène Pulvérisés dans un dispositif immersif. Le public prend place autour de la croix sur laquelle vont évoluer les comédiens de cette danse macabre qui dit le monde déshumanisé du travail. Patrice Gallet, Tony Harrisson, Simona Maicanescu et Haini Wang incarnent à merveille cette carte géopolitique dont le récit nous mène de Lyon à Bucarest, en passant par la Chine et Dakar. Ils évoluent dans un espace de jeu contraint faisant ressortir les mots de l’auteure, ceux de la désorganisation et de la dérégulation du monde professionnel, que l’on soit dans un immense atelier globalisé à Shanghai – où le seul moment à soi est le temps de la toilette – ou encore à Dakar, dans un centre d’appel. Il en est de même pour les postes à responsabilité qui appellent les cadres à une certaine médiocrité de la vie au travail, troublant aveu de la part l’ingénieure de Bucarest recalée par le responsable qualité français.
Le monde du travail ainsi décrit est celui de l’annihilation de l’être, celui du sacrifice de la pensée au profit de la mondialisation et de l’exploitation. Les individus présents sur le plateau sont autant d’identités croisées au gré des pages des revues économiques, relatant la réussite des plus influents, ou des faits divers, on pense à ces incendies dans des ateliers de confection où les conditions de sécurité sont inexistantes.
La lumière froide et crue colle parfaitement aux dires de chacun et la scénographie permet à cet ensemble de faire voler en éclats les relations humaines qui n’en gardent plus que le nom.
Laurent Bourbousson
Crédits photos : pour Europe Connexion ©R.Samperiz – pour Pulvérisés ©Cie Arcade
Europe Connexion d’Alexandra Badea, jusqu’au 27 juillet, à 19h05, au Théâtre Artéphile.
Mise en scène Vincent Franchi | Interprète Nicolas Violin | Assistante Roxane Samperiz | Sons et vidéos Guillaume Mika | Création lumières Léo Grosperrin | Régie lumières Leïla Hamidaoui
Pulvérisés d’alexandra Badea, jusqu’au 29 juillet, à 16h40, à la Présence Pasteur.
Mise en scène Vincent Dussart|Interprètes Patrice Gallet, Tony Harrisson, Simona Maicanescu, Haini Wang | Lumières Jérôme Bertin, Alexandrine Rollin | Costumes Lou Delville