[VU] OFF19 : Ma Colombine d’Omar Porras
L’accent colombien d’Omar Porras inonde le spectacle dès l’entrée en salle. Il est là à nous accueillir. Il joue à diriger l’installation en salle. Sa verve est bien là aussi. Comme si les idées se bousculaient pour être dites. Comme un indice d’un trop plein à raconter pour ce spectacle.
La rencontre commence par la géographie : la Colombie, qui doit son nom à Christophe Colomb… On comprend tout de suite qu’il faudrait dire le titre du spectacle Ma Colombine, présenté au 11 Gilgamesh Belleville à 11h45, avec l’accent du comédien, du personnage, du metteur en scène et du co-auteur qui a confié le premier rôle pour l’écriture à Fabrice Melquiot.
« Je suis la Colombie » dit Omar Porras. A tel point que la taille du comédien est située entre le tropique du capricorne et celui du cancer. À tel point que ses deux oreilles, peut-être un peu proéminentes, touchent aux deux océans. La lumière s’éteint progressivement et très lentement sur la salle pour engager au voyage, pour raconter. Un roman ? Une autobiographie ? Une fable ? Un voyage poétique ? Un hymne au théâtre ? Un peu tout ça sans doute.
Omar Porras, crâne chauve, habillé de noir, est là devant nous. Il n’a pas d’âge. Le travail précis de mime et de clown nous le font magnifiquement voir petit, à l’école, honteux devant ses camarades, habillé en robe (lui qui adore jouer les vieilles dames) à la suite d’un pipi qu’il n’a plus pu retenir. On est plongé par bribes dans son enfance à mille lieues de ce qu’il est aujourd’hui. Oui, la distance du temps se mesure en lieues.
Petit Omar regarde la lune
Écoute ta mère qui veut qu’il apprenne à lire, à écrire, à faire des études. Écoute ton père qui pense que ce sont des conneries et préfère qu’il prenne la bêche et arrache l’herbe. Écoute le vent, la pluie. C’est ce qu’il y a sans doute au fond de lui et pour cela il regarde la lune. Il regarde la lune pour rêver mais aussi pour ne pas voir plus bas. La Colombie en guerre notamment. Il aime les histoires. Les plus sordides racontées par son père où le prince zigouille l’amant de la princesse, où on coupe une jambe à la princesse, où on croque les enfants, … laissent des traces. Elles disent que tout est pardonné quand on a le vent dans le dos et la lune devant soi. Le vent lui permettra d’obtenir à 18 ans son diplôme de Clown. Comme un premier rôle de clown, il répondra « À vos ordres mon Capitaine ! » lorsqu’un officier de l’armée colombienne viendra enrôler des jeunes recrues. Aussi improbable que cela puisse paraître, il se retrouve engagé dans l’armée. « Je ne pouvais pas aller sur la lune alors l’armée … » . Le chemin vers la lune passera par l’armée.
Le monde n’est jamais prêt à la naissance d’un clown
À s’interroger où est l’ennemi et qui est l’ennemi, il regarde son fusil et converse avec la lune, Madame la lune. Elle lui dit que le problème, ce ne sont pas ses oreilles proéminentes, mais son nez qui pourrait être celui du clown qu’il est. Elle l’entraîne vers les poètes, vers les philosophes, vers La naissance de la tragédie de Nietzsche qu’il lit clandestinement page après page chez une libraire qui finira par lui offrir la lune, en l’occurrence le livre. Est-ce qu’un clown peut changer le monde ? Peut-être, mais il faut passer à l’action. Il faut être obsédé par l’illusion. Il faut qu’on parte à Paris, dit-il à son frère. On n’y sera pas des migrants, mais des voyageurs, des nomades, des demandeurs de cartes de séjour, des poètes, des exilés, car c’est en Colombie, qu’il est à présent en exil de ce qu’il veut devenir.
Paris et la déclaration d’amour au théâtre
Sans un sou en poche, une rose peut ouvrir des portes à Paris. Tu peux dormir ici l’accueille la belle femme de la rose. Il fera la fête à Paris, mais aussi le clown dans le métro, mais aussi accompagnateur d’un vieux Monsieur vers des films porno. Rocambolesque comme seule peut l’être la vie. Il rencontre le théâtre comme une femme. Cela mérite une déclaration que Omar sur scène nous dévoile avec poésie, authenticité, charme, sincérité. Une déclaration d’amour. Le théâtre devient sa maison. Le théâtre comme un télescope pour comprendre le monde, pour comprendre l’être humain. Le théâtre comme un aigle puissant de la Cordillère des Andes qui connaît les divinités du monde.
La lune le porte encore sur son dos jusqu’en Colombie
Un téléphone portable sonne brutalement en plein rêve dans la salle. On rallume les lumières, étonnés, agacés, irrités d’être sortis du rêve. La grande sœur, Colombine, vient de mourir. Je ferai du théâtre pour ma sœur.
La lune le dépose sur l’aéroport de Bogota. Il revoit tout et peut converser avec le petit Omar de son enfance. Est-ce que tu crois aux miracles ?
C’est l’histoire d’un petit colombien sur le trottoir de Bogota. Il cherche la lune. Il la trouve comme une luciole qui ne s’éteint pas dans un théâtre qui ne se ferme pas, comme un rêve pour la vie.
Daniel Le Beuan
Visuel : Ma Colombine ©Ariane Catton Balabeau
Générique
Ma Colombine de Fabrice Melquiot a été vu lors du Festival Off d’Avignon au 11 Gilgamesh Belleville – Compagnie Teatro Malandro
Mis en scène et interprétation Omar Porras