Vu : Democracy in America de Roméo Castellucci

10 décembre 2017 /// Les retours
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Esthétique, beau, ennuyeux parfois, Democracy in America de Roméo Castellucci questionne nos démocraties. Retour.

© Guido Mencari

On passera rapidement sur le fait que Roméo Castellucci soit un faiseur d’images. Oui, il l’est et c’est tant mieux. Ses trouvailles peuvent être parfois d’une simplicité désarmante (le simple fait de tirer un rideau noir pour laisser apparaître un sol blanc) mais emmènent illico presto le public dans une béatitude parfaite.
Le son est également d’une grande importance chez ce créateur. Composée par Scott Gibbons, la musique de Democracy in America pourrait être la bande son d’un discours dystopique, ce qu’est au final cette proposition.
En s’inspirant du livre d’Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Roméo Castellucci place son nouvel objet théâtral autour de deux axes de pensée : la démocratie et la religion, comme si l’une nourrissait l’autre et inversement.

© Marie Clauzade

Tout commence par une glossolalie, enregistrée dans une église pentecôtiste. La définition du mot est projetée à même les rideaux de tulle en bord de plateau (Définition Larousse : Phénomène extatique, constaté dans de nombreuses religions et sectes religieuses anciennes et modernes, dans lequel le sujet émet une série de sons ou de mots dont les auditeurs ne peuvent saisir le sens sans le concours d’un autre sujet possédant le don de l’interprétation).
Puis les tableaux s’enchaînent, derrière ce flou dû aux rideaux. Le premier semble divertissant : des majorettes, à moins que ce ne soient des soldats d’une bonne nation qui se respecte, s’amusent avec les lettres du nom du spectacle Democracy in America pour en écrire des mots tels que : cocaine, decay in crime, camera demoniac cry, medicare…. et finissent par des noms de pays : Canada, Romania, Macedonia, Armenia, Yemen…

Ensuite, vient le tableau de la mère troquant son enfant pour des outils et des semences dans lequel le sublime tempère la cruauté du geste. Ou encore, celui du dialogue entre les deux Indiens Ojibwés qui dissertent autour de la réelle valeur du langage et des mots : doit-on ne plus parler sa langue au profit de celle du colon ? L’un d’eux demande : « Mais est-ce que leurs mots disent la même chose que les nôtres ? »

Se pose ainsi la question de savoir si la démocratie n’est pas plus un outil d’oppression que de libération. Au nom de quoi devrions-nous subir tel ou tel choc si ce n’est au nom de la démocratie, comme le démontre ce (trop) long moment de théâtre où la religion dicte la raison et finit par pousser à la démence ?
Religion et sacrifice vont de concert tout au long des tableaux, comme celui où toutes les danseuses transforment les danses folkloriques en marches militaires, sacrifiant l’une d’entre elles. Un vent de Sacre du printemps se fait sentir. L’ombre de Kubrick plane sur certaines scènes, celle de Caravage également, mais n’empêchent pas une certaine errance narrative de s’installer chez le spectateur.

Toutefois, Romeo Castellucci replace le débat de la démocratie au centre des discussions. En guise de conclusion, le metteur en scène installe le Léviathan, composé de graphèmes de l’alphabet hébreu, dans le ciel. Le « Je suis » de la bible est saisissant, hypnotique et endort la conscience avec ses lettres qui se déplient. Cependant, le monde continue de tourner : les amérindiens se suicident au Canada (voir ici ), on assiste à des dérives sectaires au nom de la religion (en France comme partout ailleurs dans le monde) et un certain retour à l’ordre ultra-moral se fait sentir, … et tout ceci au nom de la démocratie.
Même si l’ennui côtoie des salves créatrices, ce Democracy in America permet d’interroger notre propre rapport aux valeurs démocratiques d’un monde en totale déliquescence.

Photo de couverture : © Guido Mencari

Democracy in America a été vu à la scène nationale Théâtre les Salins (Martigues), le 16 novembre. Générique du spectacle et dates de tournée sur le site de la compagnie Societas : ici

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