
Vu : H&G de Christian Ubl
Christian Ubl présentait la semaine dernière, dans le cadre des HiverÔmomes, sa nouvelle création tout public, H& G. Retour sur une proposition dansée enthousiasmante.
H & G, deux lettres qui sonnent comme le nom d’un duo de superhéros, deux initiales pour Hansel et Gretel. Le chorégraphe s’empare d’un monument de la culture occidentale – et surtout allemande – pour le réinventer, le réactualiser, et en faire un ovni drôle, intelligent et jubilatoire, pour les plus jeunes comme les plus grands.
La danse s’est peu – ou pas – emparée de conte traditionnel qui raconte les aventures d’une sœur, Gretel, et d’un frère, Hansel, qui, abandonnés par leur père et belle-mère, s’aventurent dans la maison-friandise d’une sorcière. Dans sa forme originelle, le conte évoque la pauvreté et la famine. Christian Ubl le transpose dans notre époque et notre culture, pour révéler avec humour et discernement notre rapport à la nourriture, dans toute sa complexité et ses vices.

H&G ©Fabienne Gras
Ambiance dépouillée au départ, puisque sur le plateau blanc, on ne retrouve que les 4 danseurs. Ce sont la création lumière et la création musicale qui donnent forme aux décors de cette aventure. Rapidement pourtant, la proposition s’inscrit résolument dans une culture pop contemporaine, aux couleurs acidulées. Des bouées géantes en forme de donuts au t-shirt imprimé burger, au dénouement surréaliste en clin d’œil à la culture du net et ses fameuses licornes, on a un peu l’impression de voir un spectacle sous acide par moment.
La création sonore est incarnée par un 5e personnage, placé en bord de scène, sorte de narrateur, fabricateur de sons en direct et musicien électro. L’histoire se tisse ici, entre les jeux sonores de cet être et les danseurs. Ses respirations, ses cris rythment le conte et les changements de tableaux. La musique fait vivre, vibrer la dramaturgie. On ne peut que souligner combien cette fabrication en simultané de l’ambiance sonore donne à cette création une tonalité toute particulière, au cœur d’une ambiance hypnotisante, où tous les repères semblent disparaître.
Les jeux entre les sons et les couleurs contribuent grandement à rendre lisible ce conte pour tous les plus publics, laissant aux plus jeunes la possibilité d’accueillir cette sorte d’initiation à la danse contemporaine, portée par les danseurs. Là, le chorégraphe articule des tableaux abstraits et poétiques, à des temps où la trame narrative est davantage palpable. On assiste à une sorte de conte dansé et de danse contée, et c’est certainement la force de cette proposition auprès du jeune public.
Les danseurs déroulent leur aventure, et progressivement leurs mouvements s’emmêlent, leurs corps s’enchevêtrent. Bientôt, on s’associe aux danseurs dans l’acte de manger. Puisque manger, c’est répéter les mêmes mouvements, inlassablement. C’est sentir son corps assimiler, évoluer, se modifier. De l’énergie pure et dynamique, on glisse à une forme de langueur. Petit à petit, un curieux rapport au corps et à la chair se dégage. Les gestes répétés donnent l’impression d’un univers débordant de nourriture, pourtant absente. Les bras, les bouches, les langues n’arrêtent pas de bouger, de se goinfrer. Spectateur, on ne mange rien, et pourtant on a l’impression de gober cette nourriture imaginaire qu’avalent les danseurs, à force de gestes, à la manière des enfants, qui jouent. On joue à manger, mais manger quoi ? manger qui ? manger pourquoi ?
Christian Ubl nous confronte à notre société bien évidemment, à la surconsommation, à la surproduction. Un questionnement salutaire à une époque où se multiplient les scandales de l’industrie agroalimentaire ou encore les maladies liée à notre alimentation quotidienne, tandis qu’ailleurs, d’autres manquent. Le paradoxe de la maison-friandise comme piège mortel nous met face-à-face avec nous-mêmes. Le chorégraphe interroge enfin ce rapport intime que chacun entretient à la nourriture, esquisse ce lien émotionnel, trace les contours de ce qui lie notre bouche, à notre estomac, à notre cœur. Il révèle par là le changement majeur par rapport au XIXe siècle d’Hansel et Gretal : aujourd’hui, la nourriture n’est pas simplement un inconditionnel à la vie physique, c’est aussi une aide à la gestion de nos émotions, comme rempart aux maux de notre monde ?
Que ce soit pour son humour ou pour les questionnements qu’elle soulève, H & G est une proposition jubilatoire dont on ne ressort pas complètement épargné.
Camille Vinatier
Photo : Fabienne Gras
H&G a été vu dans le cadre du festival HiverÔmomes, le samedi 17 février 2018, au CDCN Les Hivernales.
À voir, samedi 19 octobre 2019, au Théâtre Le Sémaphore.
Conception et chorégraphie Christian Ubl / Interprétation Hannah Le Mesle, Bruno Maréchal, Martin Mauriès, Marion Peuta / Composition musicale Fabrice Cattalano / Dramaturgie Fabienne Gras / Costumes Pierre Canitrot / Regard extérieur Ingrid Florin et Claudine Bertomeu / Création lumière Jean-Bastien Nehr
Découvrez l’interview de Christian Ubl ici.