VU : Du chaos naissent les étoiles de Nabil Hemaïzia
Nabil Hemaïzia, directeur artistique de la compagnie 2 temps 3 mouvements, présentait sur le plateau du Théâtre Benoît XII, dans le cadre du festival Les Hivernales, Du chaos naissent les étoiles. Retour.
Cette pièce, créée pour cinq danseurs à l’occasion du Festival Montpellier Danse 2016, offre une plongée au cœur du langage chorégraphique du hip hop, déployé ici dans toute sa richesse, pour traduire et donner à voir le chaos. Nabil Hemaïzia nous conte en effet l’histoire de l’humanité et celle des hommes, celle des sociétés et de leurs métamorphoses.
Au départ était l’état premier. Le chaos. Sur le plateau, ce dernier prend la forme d’un magma de corps en fond de scène. Un bras, une jambe, se détache dans un rai de lumière, des bleus, des violets, comme au cœur d’une galaxie. La matière première se meut en douceur, au rythme des basses de la musique, comme une respiration. Puis vint le Big Bang. Les atomes-danseurs tressaillent, s’agitent, se distinguent, se figent, s’éloignent et se détachent progressivement, traversés par leur énergie, désormais propre. Et c’est bien de cette énergie, de l’étincelle originelle du chaos, dont il est question tout au long de cette proposition.
Les danseurs déploient leur langage élaboré, tantôt personnel, tantôt collectif, au cœur d’un décor à mi-chemin entre le monde post-apocalyptique et le rêve vaporeux. La mise en lumière joue avec la poussière-mousse qui vole au gré des mouvements, recouvre le corps et tombe en neige sur le plateau. Une scénographie poétique qui nimbe la proposition d’une aura atemporelle. Car bientôt on ne sait plus si les êtres sur scène sont d’hier, d’aujourd’hui ou de demain.
Le plateau prend des airs de creuset du monde où les éléments se croisent, s’affrontent, s’unissent, comme des atomes, par deux, puis trois, enfin tous ensemble. Lorsqu’il émerge, l’ordre ne dure jamais bien longtemps. Tandis que les danseurs – le regard vide – font des allers-retours dans la poussière qui s’échappe sous leur pas, traçant des sillons mécaniques, certains résistent mus par la passion et la violence qu’ils portent en creux, et les voilà à l’origine de l’introduction du désordre dans cet univers oppressant. L’électricité finit toujours par s’infiltrer dans les muscles, accélérant les gestes puis se propageant au voisin. Il est bien question ici de libérer le corps, et la parole sans doute, de trouver sa place dans la société et de laisser jaillir les émotions qui bouillonnent au creux de soi.
Mais bientôt, les cinq êtres s’effondrent, affalés dans la poussière. La scène n’a jamais autant ressemblé à un champ de bataille. Comme après un grand incendie, la nature reprend ses droits et l’énergie retrouve son chemin. Bientôt une étoile se démarque, s’élève au-dessus des autres qui s’inclinent. Mais c’est pour aussitôt assister à la naissance d’une nouvelle révolution. Après avoir été portée au sommet, elle chute bas, laissant sa place.
La proposition s’achève sur le regard défiant et le menton levé des cinq danseurs – Jeanne Azoulay, Nacim Battou, Santiago Codon Gras, Farrah Elmaskini, Andréa Mondoloni. On sent bien que le chaos n’est pas achevé, qu’il affleure, qu’il peut recommencer à tout moment. Je repense alors à Nietzsche qui écrivait dans Zarathoustra « Il faut encore avoir du chaos en soi pour enfanter d’une étoile qui danse ». La création de Nabil Hamaïzia réussit à montrer la force ambivalente de ce chaos, tout à la fois créateur et destructeur, tout en révélant l’immuable mouvement du monde et de la nature humaine. La fierté des étoiles sur laquelle finit la proposition laisse entrevoir malgré tout l’espoir, de nouvelles fins et de nouveaux recommencements quoiqu’il arrive.
Camille Vinatier
Photo : Nabil Hemaïzia
Du chaos naissent les étoiles a été vu dans le cadre du 39ème festival Les Hivernales (Avignon)
Direction artistique et chorégraphie | Nabil Hemaïzia
Interprétation | Jeanne Azoulay, Nacim Battou, Santiago Codon Gras, Farrah Elmaskini et Andréa Mondoloni
Conception décor | Christophe Beyler
Création lumière | Thomas Falinower