Interview : Raphaël Patout pour Città nuova

8 octobre 2020 /// Les interviews
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Le public d’Avignon et d’alentours pourra enfin découvrir Città Nuova de Raphaël Patout au Théâtre de l’Oulle, les 29 et 30 octobre 2020, programmée dans le cadre de la Semaine d’Art en Avignon. 

Raphaël Patout et son équipe artistique animent les projets de la compagnie « La Chambre Noire ». Aujourd’hui, sonne la reprise du projet Città Nuova, né en 2016 lors du Festival des Caves. Entre la tournée et la préparation de ce que sera Città Nuova 2, le metteur en scène a pris le temps de nous parler de cette Cité Nouvelle et de son théâtre. Interview.
1ère parution de l’article 14 janvier 2018.

C’est avec sa précédente création, Au-dessus à jamais de David Foster Wallace, que nous avions fait la connaissance de Raphaël Patout, au Théâtre des Carmes (Avignon). Città Nuova fut créée au printemps 2016 lors du Festival des Caves, et depuis, c’est une belle aventure que connaît ce projet. Ce début d’année est synonyme de reprise dans des lieux atypiques : au sein d’une association altermondialiste à Valence, en usine à Lyon, dans des espaces de coworking à Paris. « On va là où on nous appelle, en quelque sorte, puisque notre espèce d’architecte est un voyageur avec un atelier qui peut être plié, déplié n’importe où » dit amusé le metteur en scène avant d’ajouter toutefois, « mais on peut jouer Città Nuova également dans des théâtres ».

Damien Houssier dans Città Nuova ©jimouzi

Comment est né ce projet autour de la question de la cité ?
L’idée de créer ce texte part de ma lecture des écrits de Charles Fourier, des utopistes socialistes et de mes écrits. La règle du jeu que l’on s’est donné avec Damien Houssier, le comédien, est d’aller puiser là où on voulait. On est arrivé à une sorte de montages de textes entre des écrits personnels, un extrait de la Bible, des textes de Le Corbusier, de Tocqueville.
Ensuite, c’était d’inventer une figure qui se dit architecte, mais qui n’a pas de formation, et qui va créer la CITTÀ NUOVA, une utopie. Peu à peu, cette figure nous parle librement de son aspiration à une nouvelle cité. Elle sent bien que dans le fonctionnement de nos villes actuelles, la cité au sens large, il y a quelque chose qui dysfonctionne.
Avec le large public, nous sommes dans un ton conversationnel et nous avons la même liberté que dans une conversation, qui est celle de de passer du coq à l’âne, parler d’un sujet et rebondir sur autre chose. La figure s’autorise à des balbutiements, à revenir sur ce qu’elle disait. Avec le public, s’instaure ainsi une sorte de dialogue. La figure donne l’idée que le public peut prolonger le spectacle en lisant tel ou tel article. Si le personnage ne s’arrêtait pas, on pourrait continuer pendant 5h00, toujours dans la logique du montage du texte.

Est-ce que Damien Houssier a un cadre pour son discours et s’autorise-t-il à des libertés avec le texte ?
Tout est écrit mais on joue le fait qu’il improvise. Le projet est que Damien s’autorise à réinventer la parole en direct. Il est vraiment en ouverture par rapport au public et se sert de ce qu’il voit dans le regard et des réactions des spectateurs. La figure sollicite le spectateur à venir partager notre pensée.

Quelle est cette pensée ?
On partage tous la pensée que quelque chose dysfonctionne dans la manière de vivre actuellement, à différents degrés et nous sommes tous critiques par rapport à notre système économique, social… On essaie d’ouvrir le dialogue à ce niveau là. Dans notre manière de parler des choses et de la ville, on s’autorise de montrer comment l’économie et les systèmes de pensée, les idéologies, ont façonné la ville telle que nous la vivons actuellement.
En citant Le Corbusier pour qui la société pense la ville comme un système de production, comme l’on fait les sociétés industrielles du 19eme, il apparaît que la ville est organisée autour de la valeur travail. À celle-ci, s’est ajoutée la question de la circulation. On nomme la Bible sur l’esthétique du gratte-ciel. Il y a un rapport à la religion et à la mythologie, vouloir toucher le ciel du bout du doigt en essayant d’aller le plus haut possible.

Città nuova ©jimouzi

Arrive-t-on, en fin de spectacle, à voir se dessiner une ville qui pourrait être idéale pour tout le monde ?
J’ai envie de dire oui quelque part, car l’un des présupposés de la Città nuova est de remettre la question du plaisir au centre de l’existence. Là, je m’appuie complètement sur Charles Fourier pour qui la valeur fondamentale, pour une ville, est de l’organiser de façon que chacun puisse accéder à son plaisir. Ensuite, poser cette équation comme cela pose problème : comment prendre en compte le plaisir de chacun ? Quelque part, on arrive à une forme de non lieu mais on a vécu un moment de théâtre. Donc, est-ce que la Città Nuova ne serait-elle pas un poème en tant que telle ? C’est d’ailleurs à cette chose qu’arrive notre figure : souvent l’architecture à voulu définir les usages, faire des programmes, inventer des formes et des façons de vivre. Notre cité se construit par dérive, élément central de la discussion. La figure s’autorise à dériver, sans être efficace comme le souhaiterait la société capitaliste.

La base des matériaux pour la construction du texte est féconde. Continuez-vous ce travail de lecture pour venir nourrir ce projet ?
On projette un spectacle de plus grande ampleur d’ici deux ans, avec plusieurs partenaires. On continue nos lectures en ce sens. On a envie de faire grandir cette Città Nuova. Ça nous arrive encore de venir nourrir le texte avec des extraits de nos lectures. Dernièrement, nous avons ajouté un écrit de Marguerite Duras dans lequel elle raconte comment elle est effrayée dans l’organisation de nos plaisirs dans nos sociétés, des loisirs de masse, notamment celui où toutes les personnes vont s’entasser sur les plages du sud pendant les vacances. Elle est horrifiée par cette idée là. Elle se demande comment est-ce possible que tout le monde veuille la même chose, au même moment. On vient la citer car notre personnage est pour la diversité des plaisirs. L’une des choses qu’il combat est la standardisation du plaisir dûe à la société de consommation et l’un de ses projets est de diversifier un maximum les sources de plaisir dans sa cité nouvelle.

C’est une belle aventure que vous partagez avec votre équipe artistique autour ce projet qui se développe depuis 2 ans, maintenant.
L’équipe artistique est formidable et de travailler sur la suite est très excitant. Nous ne sommes pas dans un travail au coup par coup par projet mais plutôt dans une sorte de travail continu. Je crois beaucoup à ça : le spectacle suivant naîtra dans deux ans, mais on peut déjà travaillé sur cela. Nous nourrissons cette forme de travail avec toute l’équipe artistique.

Justement, comment travaillez-vous avec elle ?
Artistiquement, je suis à la tête d’une équipe constituée de rolls (Sigolène Pitey, Géraldine Trubert, Damien Houssier). rires. Nous essayons de penser les choses par arborescence. Il y a des branches qui apparaissent, nous allons voir de ce côté là, une nouvelle chose peut en naître, une ramification se propose. On essaie de faire grandir le projet comme ça, en se disant que l’on ne sait pas au final ce qui va se passer. Je vais vous donner un exemple de cette arborescence. Je fais de la formation pour des apprentis costumier et des étudiants en design textile. J’ai mobilisé ces deux formations autour du projet nommé Bâti. Les designers travaillent sur des objets scénographique en textile et tissage, les apprentis costumiers réfléchissent à la question du Bâti au niveau du vêtement. Tout ceci donnera lieu à une exposition photo dont le modèle sera entre autres Damien Houssier, au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement à Rhône Métropole. A cette occasion, il y aura un programme de performances, la reprise de Città Nuova et le début de Città Nuova 2.
Dès la semaine prochaine, l’éclairagiste, la scénographe, la costumière sont en travail avec nous pour la suite du projet alors que rien n’est écrit. Costumier et scénographe participent à l’écriture du projet à la naissance. On pourrait désigner cela comme étant une forme d’écriture collective, on pourrait parlait de collectif, mais je trouve le terme galvaudé. La compagnie essaie de trouver une nouvelle façon de travailler. C’est militant.

De travailler sur du long terme, avec des chemins de traverses, invente également un nouveau système économique pour la compagnie ?
Je regrette ce qui se passe dans la culture dans le cadre du service public, avec la diminution des moyens de création. Pour autant, j’essaie d’être dans une démarche qui combat cette fatalité avec l’envie de se réinventer, de montrer que l’on existe. Pour certains administrateurs, qui regardent mon travail de loin, ça paraît aberrant car ce n’est pas la manière de faire. Moi, en tout cas, c’est ce qui me permet de créer, de rémunérer les comédiens et de continuer à exister. Tout en ayant le maximum de liberté possible. Cette multiplication des formes d’action et d’émergences, je n’en souffre pas du tout. Avec l’artiste qui a mis en place la scénographie de Citta Nuova, on développe des objets en vue de publications. Tout ceci est multiple et participe à se diversifier pour essayer d’arrêter de séparer les arts. Au départ, mon projet artistique n’était pas dans l’interdisciplinarité. Mais avec le temps et l’expérience, j’en reviens à cela.
Par rapport à ce qui se passe au mode de fonctionnement commercial de vente et d’achat, on nous demande d’apparaître avec des objets finis, verrouillés, qui se vendent bien. J’ai envie de revendiquer aujourd’hui, une équipe, des modes d’action, des démarches et ne pas vendre des produits finis. Le terme produit lorsque l’on parle de spectacle est terrifiant. De même lorsque l’on parle d’exploitation, cela prouve que l’on a fait entrer le marché de l’offre et de la demande dans le spectacle vivant. Alors, naïvement ou je ne sais pas, j’essaie de m’émanciper de cette démarche là en disant que c’est plutôt une démarche, une progression et non des objets manufacturés que nous proposons.

Est-ce que ces formes ne vous éloignent pas du théâtre, lieu de diffusion aujourd’hui ?
Ce sur quoi je communique, c’est sur une démarche et non sur des objets finis. C’est ce qui m’est reproché. Vu que les contours ne sont pas déterminés, on peut me reprocher mon manque de clarté. Je crois à la nécessité de rebattre les cartes donc je peux comprendre cela.

Avez-vous trouvé votre place dans le paysage théâtral ?
Le sens que prend le théâtre que je fais est qu’il est fait pour aller partout. J’ai beaucoup exercé au Festival des caves et j’ai été éduqué théâtralement dans le sens de la décentralisation, et le fait d’aller jouer dans des lieux improbables a du sens. En septembre dernier nous avons joué à Paris chez un couple de comédiens, ce qui nous a permis de rencontrer un autre public dans une ambiance, autre que celle des salles de spectacle. On propose un objet exigeant construit autour de textes d’auteurs partout. On va là où on nous appelle.
Pour faire évoluer les mentalités, il faudrait poser la question suivante : Qu’est-ce que l’on espère de la chose artistique aujourd’hui ?

CITTÀ NUOVA avec Damien Houssier / Mise en scène de Raphaël Patout / Scénographie de Géraldine Trubert / Costumes de Sigolène Petey

Informations de la compagnie ici.

À retrouver au Théâtre de l’Oulle – La Factory les 29 et 30 novembre 2020 à 20h. Tous les renseignements ici.

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