Interview : Raphaël Patout, la liberté de créer
Le Théâtre des Carmes a la très bonne idée de programmer Au-dessus, à jamais de David Foster Wallace, en ce début d’année. Son metteur en scène, Raphaël Patout, met en garde : « Même si le personnage est un clown, il ne s’agit pas d’un spectacle pour enfant » et nous promet un écrin dans lequel sera entendu ces mots. Interview avec celui qui met en scène les fragments qui composent l’humain.
Vous mettez en scène une nouvelle de David Foster Wallace, Au-dessus, à jamais, au Théâtre des Carmes-André Benedetto. Qu’est-ce qui a guidé le choix de ce texte ?
J’ai accéder à la lecture de David Foster Wallace par un livre qui a été publié avec l’ensemble des discours qui ont été prononcés lors de son enterrement. C’est un livre qui ne se trouve pas, il était uniquement à destination des libraires, et un ami libraire me l’a prêté. On pourrait croire que cet auteur est inscrit dans la littérature noire américaine dans une forme de pessimisme ou de cynisme. En fait, ce que je sentais déjà en première lecture, c’est qu’il y a véritablement chez lui une forme d’amour des personnages, d’amour des gens. Il est vrai qu’il décrit des fois des situations horribles mais il arrive à nous faire parvenir la beauté et l’humanité des situations. Il ne regarde cela pas uniquement du côté de la misère. Pour moi, c’est un nouveau baroque, et il nous transmet quelque chose de très vivant, une forme d’amour de la vie formidable.
Dans son oeuvre, je suis très attiré par ses nouvelles. Je trouve qu’il a une capacité à saisir, avec toute sa méticulosité et sa préciosité, des formes d’états d’âmes qui me touchent personnellement. Cette nouvelle est une des moins noires qu’il ait écrite.
Lorsque l’on regarde l’ensemble de vos mises en scène, vous orientez vos choix pour les textes qui mettent en lumière la complexité de l’être humain…
L’un des penseurs qui m’inspire beaucoup est Aby Warburg, historien de l’art allemand du début du XXème siécle (1). A l’issue de la Première Guerre Mondiale, il se croit responsable de sa cause et est interné en hôpital psychiatre suite à la tentative d’assassinat sur sa famille pour les protéger des atrocités de la guerre. Son journal médical décrit la vie difficile d’un homme qui met en parallèle des choses très éparses, très hétérogènes. Et on ne sait à quel moment c’est de l’ordre du génie et de la démence. Ce qui m’intéresse, c’est le rapport à ces humains qui vivent dans une forme de marge, dans le sens où ils sont révélateur de mouvement typiquement humain, qui met en lumière que nous sommes faits de fragments et non d’une chose linéaire et continue, c’est de raconter la discontinuité de nos existences, la pluralité des planches, entre les soucis d’une hyper pragmatique avec des questionnements métaphysiques, des aspirations spirituelles, et le champ poétique me permet de construire l’orgue que compose notre existence.
Avec la pièce Joseph, d’après les journaux de Joseph Gobbels, c’est essayer d’aller au cœur de l’humain et de comprendre toutes les strates de l’existence de cet homme qui le mènent à un moment donné de faire le choix de l’ignominie.
Je procède de la même manière pour monter mes pièces, pour Tennessee William par exemple (Soudain l’été dernier, 2015), c’est de questionner le lien entre de tous ces fragments qui composent nos vies et de chercher à travers l’imaginaire des réponses. L’imaginaire devient un endroit d’exploration formidable. Quels sont nos imaginaires ? Comment nous imaginons-nous ?
La source est inépuisable, en effet, par le prisme de l’imaginaire.
En 2011, vous créez votre compagnie La chambre noire. Vous développez vos projets lors du Festival des caves. L’existence de ce festival pose la question sur la nouvelle économie du spectacle.
Les formes présentées lors de ce festival vont très rarement au delà de 3-4 comédiens sur le plateau et pour des questions de place, et bien sûr d’économies. Le festival tient par la multiplicité des ressources. On a de gros financeurs en Franche-Comté, la ville de Besançon, par exemple, des financements de grosses collectivités et de villages, commee Vert-le-petit qui nous donne quelque centaines d’euros. Et notre capacité à être tout terrain, de présenter les mêmes spectacles à Paris et dans de tous petits villages, nous permet d’aller à la rencontre d’élus ou de particuliers, de toutes personnes qui auraient envie de nous soutenir. Notre festival c’est cela. Nous sommes tous professionnels et nous sommes tous dans les réseaux traditionnels le reste de l’année et en mai-juin, nous nous consacrons à ces créations souterraines.
Le Festival est dirigé par Guillaume Dujardin, il y a maintenant 10 ans.
Avec ce festival, est-ce que l’on ne touche pas du doigt ce pourquoi le spectacle vivant existe : aller rencontrer les gens ?
Je vais vous donner un point de vue interne : la manière dont sont mises au point les productions à l’heure actuelle sont très longues et très complexes. Ce n’est pas une nouveauté, mais il se trouve que des projets ont du mal à exister en rapport au souci de la rentabilité des salles et de devoir plaire au grand nombre. Certains auteurs sont mis de côté. A l’origine, la création de ce festival est de pouvoir proposer ce que nous ne pouvons pas proposer dans le cadre traditionnel. Même un Wallace, et je peux vous le dire car j’ai essuyer cela de la part de certains théâtres, ne se vend pas. Les directions disent « mon public (car les directeurs de salle emploient l’adjectif possessif) ne sera pas intéressé par ça ».
L’enjeu de ce festival est de trouver la liberté de création. Ce n’est pas qu’il y en ait nulle part ailleurs, mais nous ce que nous vendons aux tutelles qui nous suivent, aux personnes qui nous prêtent des caves, aux spectateurs, c’est un concept. Et à partir là, les metteurs en scènes sont libres. Il n’y a aucun regard sur la programmation. Et quand un metteur en scène extérieur à la structure du festival est invité, Chantal Morel en 2015, Jean Lambert Wild, c’est de leur dire : « Venez faire dans nos caves ce que vous ne pourriez pas proposer ailleurs ».
L’un des plus beaux compliments que l’on ait eu de spectateurs est celui-ci : « je ne sais jamais si je vais aimer ce que je vais voir dans les caves mais je suis sûr que l’on va y prendre des risques ». Pour nous c’est un facteur de qualité du festival. Nous sommes aussi conscients qu’il y ai des ratés, mais il y a des réussites. L’une des hypothèses que l’on dresse est de se dire qu’en prenant des risques on peut faire sortir de très beaux objets.
D’ailleurs Au-dessus, à jamais a été créé lors de ce festival en 2015. Comment passe-t-on d’une cave à un théâtre ?
Ça n’hésitera quelques adaptions. On va utiliser le Théâtre des Carmes dans une configuration particulière, mais je ne dévoilerai rien. Ceux qui connaissent la salle savent très bien toutes les possibilités que ce lieu peut offrir. On accueillera 40 personnes par soirée. Je peux ajouter que c’est dans un écrin que l’on donnera à écouter les mots de Wallace.
Vos créations sont pour la plupart des seuls en scène. Quelle est votre relation au comédien et est-ce que vous n’avez jamais eu envie de monter sur scène ?
J’ai fait le choix de la mise en scène très vite et ce qui me plaît dans mon métier, c’est de trouver les mots et la manière pour accompagner le comédien afin qu’il soit le meilleur possible. J’ai un réel plaisir dans ce rôle d’accompagnement. J’ai besoin d’être dans une relation dialoguée, et de le regarder travailler pour pouvoir sentir là où il sera le meilleur.
J’ai rencontré Maxime Kerzanet, le comédien de Au-dessus, à jamais, il y a 6 ans. Je l’ai vu dans d’autres mises en scène, notamment de Guillaume Dujardin. Et lorsque j’ai décidé de monter cette nouvelle, j’ai pensé à lui directement. Il se trouve qu’en plus, j’avais lu la nouvelle il y a quelques années, sans avoir en tête d’en faire quelque chose, et je lui avais fait lire le texte et nous en avions parlé comme de simples lecteurs.
La question de la fidélité est quelque chose d’intéressant car cela permet de voir à quel moment mon désir de metteur en scène rencontre son désir d’être acteur.
Vous adaptez l’ensemble des textes que vous montez. Est-ce que la suite logique de cela est de devenir auteur de vos textes ?
Oui, tout à fait. C’est l’une de mes prochaines ambitions. J’ai un texte en cours actuellement que je vais créer en mai-juin, ce sera encore entre l’adaptation et l’écriture. Mais petit à petit, je m’achemine vers l’écriture théâtrale. J’ai beaucoup adapté car j’aimerai trouver dans mon écriture ce que je pense avoir trouvé dans mon travail de mise en scène, le rapport à la langue et à l’imaginaire.
Nous sommes en début d’année et quels sont vos vœux pour 2016 ?
Ils sont très orientés sur le professionnel. Je souhaite que mes producteurs potentiels pour mon nouveau projet déclenchent ce qu’ils pourraient déclencher. Je suis autodidacte et à 31 ans, j’aimerai prendre de l’ampleur.
Au-dessus à jamais, de David Foster Wallace, mes Raphaël Patout, au Théâtre des Carmes-André Benedetto (Avignon), est à découvrir du 15 au 17 janvier 2016. Renseignements : 04 90 82 20 47
Interview réalisé le 4 janvier 2016.
Laurent Bourbousson
Photo : Au-dessus, à jamais ©Patrice Forsans
(1) : Cet historien a fait un travail sur l’image et les représentations. Il a mis en parallèle des images issues de tous les continents, de toutes les époques. C’est un des premiers à casser l’histoire de l’art en s’intéressant aux canons esthétiques en faisant des passerelles sur des choses totalement hétérogènes. Il est le fondateur de l’iconologie.
Pour en savoir plus sur le Festival des caves : ici