[ITW] Ana Abril pour Chaos : « Je suis préoccupée par un ensemble de choses sociétales »

4 juillet 2024 /// Festival d'Avignon - Les retours - OFF
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Pour définir ton travail, je dirais que tu es une colleuse de textes. C’est-à-dire que tu pars d’une idée qui va s’appuyer sur un texte précis puis à partir de là, tu déroules un fil pour raconter ton histoire à partir de différents matériaux textuels ce qui fait de tes pièces, des objets singuliers. Est-ce que j’ai raison ? 
Tu es complètement dans le bon. J’ajouterais que je fais cela par nécessité, pour parler de moments intimes et collectifs. Cela dépasse la simple idée. Je suis préoccupée par un ensemble de choses sociétales que je vais mener à bien avec une équipe artistique.

Une de tes caractéristiques est de travailler sur le long cours. Je me demande si tes pièces auraient la même saveur si tu travaillais sur un temps resserré ? 
Lorsque j’ai débuté, on s’enfermait avec une équipe artistique pendant 2 mois. On travaillait durant tout ce temps et tout se faisait d’un coup. Depuis une quinzaine d’années, le temps s’étire. Cela permet de montrer un travail en cours et les intervalles de temps de travail permettent de réfléchir et de creuser un peu plus en profondeur. Le travail n’est pas le même.
L’urgence de créer sur un temps plus court me plaît énormément. Être dans l’urgence est intéressant car le fondamental surgit d’un seul coup.  

Chaos est ta troisième création. Pourquoi ne pas monter un texte ?
J’aurais peur de décevoir l’auteur”, c’est Jean-Christophe Meurisse (Chiens de Navarre) qui dit cela et je me retrouve là-dedans. Peut-être que pour ma 4e création, je travaillerai avec un auteur et que nous aurons besoin de dire certaines choses et que nous travaillerons sur un texte.  

Le point de départ de Chaos est la crise de la Covid 19 ?
Ça part de là mais je ne parle pas de cela. J’ai trouvé extraordinaire le fait que la planète entière soit enfermée, isolée. Cela relève de la science-fiction. Je me suis retrouvée isolée en France, je ne pouvais rendre visité à ma famille en Espagne. Lors d’un appel au Consulat, j’étais autorisée à aller en Espagne seulement si quelqu’un de ma famille devait être enterré. Durant cet enfermement forcé, j’ai repensé au texte de Shakespeare, Le Roi Lear. Je le relis alors et l’étudie. Je voulais traiter du vieillissement et je me suis dit que Le Roi Lear était la pièce parfaite comme point de départ. Puis, d’autres auteurs arrivent. 

Parmi les auteurs qui arrivent, on retrouve Henri Michaux avec La nuit remue, Pascal Rambert et son Race et Lear et son fou d’André Benedetto.
Absolument. Dans Le Roi Lear, il y a plusieurs intrigues qui galopent à toute vitesse. La pièce commence par l’héritage dans lequel Lear, le père, met en rivalités ses trois filles. Ceci déclenche une guerre. Tout le monde meurt à la fin, tout est chaotique. C’est ce chaos qui m’impressionne. Pour moi, Le Roi Lear est une pièce monde qui traite du vieillissement, de la folie, de beaucoup d’amour mais de l’amour malmené… Il y a énormément de sujets qui racontent notre humanité, sa complexité dans ses relations et comment cela peut tout dévaster. Comment le patriarche, par une décision folle, peut conduire à la guerre et à la destruction ? On retrouve cette figure-ci au travers de dirigeants de certains états. Je m’interroge sur le fait de savoir qu’est-ce qui active une sorte de folie furieuse consciente chez eux qui va forcément déclencher un désastre total.

Au plateau on retrouve Marion Bajot, Karine Flavigny Salvan, Julie Palmier, Lambert Angeli et toi-même. Quand tu leur amènes toute cette matière, comment se traduit le travail au plateau ? 
La pièce s’est construite au départ par les idées que je transmets. Pour les mettre en pratique et au plateau, il y a le son, les corps, les mots. On teste, on fait des mises en situation physiques et on part sur une écriture au plateau. C’est absolument fait avec eux. 

Tu te sers de toutes les matières ?
On élimine au fur et à mesure. Par exemple, pour la musique, Lambert Angeli propose beaucoup de choses. On travaille ensemble. Pour les textes, j’ai un dialogue en permanence avec les acteurs. Nous gardons avec pertinence ce qui nous semble important pour la pièce. J’arrive avec énormément de textes. Il y a un choix précis au fur et à mesure que je fais en solitaire.

Dans le dossier de presse, il y a cette très belle phrase : “Trouver la beauté dans la tragédie pour éclairer nos vies”. On a l’impression que c’est ce que nous recherchons au quotidien ?
Je répondrais par cette question : est-ce que poser un acte artistique au plateau doit permettre de poser des choses profondes ? Le côté obscur me paraît plus intéressant à travailler que des choses légères. Petite, je regardais “Au théâtre, ce soir” et j’aime Louis de Funès, mais pour partager un acte créatif, je préfère travailler sur des choses plus lourdes pour mieux comprendre notre monde aussi. 

Pour nous présenter Chaos, quel serait ton pitch ?
Il y a quelque chose de très narratif dans Chaos. D’ailleurs, c’est ma pièce la plus narrative jusqu’à présent. On suit les personnages. Si je devais dire quelques phrases, je dirais : Qu’est-ce qu’amènent les non-dits et les tensions dans une famille ? Je m’arrête ici car je ne dévoilerai pas la fin. 

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit Photo : ©Delphine Michelangeli

Générique

Chaos, du 18 au 20 juillet à 20h45 à L’Entrepôt – Cie Mises en Scène. Tous les renseignements ICI.

mise en scène et adaptation Ana Abril / collaboration artistique Karine Flavigny Salvan / avec Marion Bajot, Julie Palmier, Karine Flavigny Salvan, Lambert Angeli, Ana Abril / composition sonore : Lambert Angeli / création lumière : Michèle Milivojevic / régie son : Jean-Louis Larcebeau avec la participation artistique de Silvia Cimino

Inspiré du Roi Lear de W. Shakespeare (traduit par Jean-Michel Desprats) et du conte populaire Cendrillon
extraits de textes : La nuit remue d’Henri Michaux © Éditions Gallimard, Race de Pascal Rambert, Lear et son Fou d’André Benedetto

coproducteurs-soutiens : Ville d’Avignon, Conseil Départemental de Vaucluse, Été culturel 2023-Rouvrir le monde-DRAC PACA, Dispositif DRAC PACA résidence tremplin,
Théâtre des Halles-Avignon, Théâtre des Carmes-André Benedetto, L’Entrepôt/Cie Mises en Scène, La Distillerie-Aubagne

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