[ITW] Isabelle Martin-Bridot pour la 44e édition du Festival Les Hivernales
Après une 43e édition ouverte aux professionnels et à la presse durant laquelle nous avions pu assister à de beaux moments, notamment avec le solo d’Arthur Perole, Nos corps vivants, très touchant qui nous permettait de nous retrouver toutes et tous après des périodes d’isolement, débute ce jeudi la 44e édition du Festival les Hivernales avec du très beau monde et des jeunes chorégraphes à découvrir. Interview d’Isabelle Martin-Bridot, directrice du CDCN Les Hivernales.
Une 44e édition sous le signe du désir
Comment a été pensée cette édition qui marque les retrouvailles avec le public ?
Dans un premier temps, il y a le besoin et le désir de se retrouver et de partager qui sont très forts. Je pense que le public a très envie de retrouver la relation aux artistes tout comme les artistes ont besoin de ce contact. Ce qui est au cœur de cette programmation c’est l’espoir de sortir de cette période d’isolement et de se retrouver pour regarder, découvrir et écouter. Nous avons dans cette programmation des pièces où la relation corps-musique est importante, que ce soit à travers des soli ou des pièces de groupe.
Emanuel Gat à l’Opéra d’Avignon
En parlant de pièces de groupe, ce samedi 5 février vous accueillez Lovetrain2020 d’Emanuel Gat. Je crois qu’il y avait un profond désir d’accueillir cette pièce ?
J’ai eu l’occasion de la voir à sa création. Elle a été comme une bouffée d’oxygène au sortir du deuxième confinement. C’était un moment assez magnifique, un peu comme un hymne à la vie et à l’amour. On retrouve de nombreux danseurs au plateau et cela donne une énergie, une puissance qui est assez incroyable. Il y a aussi l’écriture chorégraphique très pointue d’Emanuel Gat avec laquelle il souligne son rapport à la musique. Il propose quelque chose de flamboyant comme une fresque entre baroque et rock avec un support musical du duo iconique Tears for Fears. Je crois que c’est une pièce qui va rassembler à la fois les jeunes et des générations qui ont connu l’époque du duo. Je pense que ça va être un moment formidable. Cette pièce a reçu le prix du meilleur spectacle de danse pour la saison 20-21 et cela donne aussi une petite idée de la qualité du travail d’Emanuel sur ce projet.
Nach par deux fois
Le Festival débute ce jeudi et nous aurons l’occasion de retrouver Wendy Cornu, dont a découvert le travail avec la pièce Effacée(s) en 2017, et l’on croisera également Nach, votre artistes associée, avec sa fabuleuse conférence dansée Nulle part est un endroit que les professionnels ont eu l’occasion de découvrir l’année dernière. C’est une conférence dansée qui est tellement elle, j’aurais tendance à dire, qui est qui est une Nach sans filtre. Comment se sont déroulées ces deux années de pandémie avec cette artiste associée ?
Ça a été très compliqué car au départ avoir un artiste associé, c’est l’histoire d’une proximité avec l’artiste dans un travail avec le public mais aussi sur le territoire. Evidemment le fait que l’on soit confiné·e·s n’a pas facilité les choses. Mais nous allons nous rattraper maintenant que la difficulté de se retrouver est derrière nous ! Nous pourrons voir Nach à deux reprises, avec sa conférence dansée et avec sa carte blanche. Elle sera toute la semaine au Théâtre des Carmes en résidence pour travailler la création lumière de la pièce 7 vies, présentée lors de Vive le sujet dans le cadre du Festival d’Avignon, avec Ruth Rosenthal. Elle a invité Flora Détraz, une artiste avec laquelle elle va collaborer sur sa prochaine pièce qui travaille sur la relation du corps et de la voix. Ce sera un beau trio de femmes pour clôturer le festival le 12 février prochain.
On encourage le public à croiser Nach, si ce n’est pas encore fait, parce que l’on ressort grandi d’une rencontre avec cette chorégraphe. Elle a cette étincelle qui fait que que c’est une belle artiste.
C’est vrai. Elle a à la fois dans la puissance physique du krump, et dans une sensualité et une douceur qui font qu’elle est unique en son genre.
Des expériences à vivre durant le festival
Lorsque l’on regarde la programmation, il faut dire que l’on aime bien les samedis du festival Les hivernales. Cette journée de festival déplace le public, lequel est appelé à cheminer dans des chemins de traverses, à vivre des expériences autres. Ce samedi (5 février), ce sera avec Noé Soulier pour sa proposition Passages à l’Église des Célestins et ensuite le samedi 12 février, Maxence Rey conviera le public pour Passio.Passion à la Collection Lambert. C’est une volonté aussi de la part du cdcn de sortir la danse du plateau. Ce n’est pas nouveau certes mais c’est toujours un réel plaisir de vivre ces expériences proposées comme telles.
Oui, c’est vrai que l’idée dans cette programmation est de proposer des moments de danse pure comme peut le faire Emanuel Gat, par exemple, mais aussi de partager des expériences dans des endroits différents comme l’Église des Célestins ou comme à la Collection Lambert. Mais cette année, nous allons avoir aussi le plaisir de vivre une expérience particulière avec Frank Micheletti à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Nous avons l’habitude d’aller à la Chartreuse dans la salle du Tinel, mais là Franck a rassemblé des danseurs et des musiciens, notamment une batteuse japonaise, et il nous invite dans le spectacle No Mundo, à traduire par « en ce monde » non par « pas de monde », à faire et défaire l’unicité du lieu. Le public visitera les lieux à proximité de la salle de spectacle et découvrira la Chartreuse dans une déambulation où la danse s’invitera. C’est vraiment pour lui une façon de lier l’esprit du lieu avec le mouvement. Les spectateurs vivront la danse autrement au cours de cette déambulation où nous irons dans des lieux que nous n’avons pas forcément l’habitude de visiter. Puis, nous gagnerons la salle du Tinel pour 30 minutes de danse pure. Je vous invite vraiment à vivre cette expérience particulière au cours de la belle journée annoncée pour dimanche car le mistral ne soufflera plus (rires).
Frank Micheletti propose également la Balade anthropocène, une nouvelle expérience qui amènera le public de la porte de l’Oulle jusqu’à l’île de la Barthelasse pour regagner le Théâtre Golovine. C’est marrant comme proposition ?
C’est toujours dans l’idée de travailler sur la question de l’environnement avec des univers différents. Frank a rencontré Michel Lussault qui est un géographe, professeur d’université et directeur de l’École Anthropocène de Lyon. Tous les deux se sont liés d’amitié sur des questions qui les intéressent. Ils vont mener tout un groupe de public à cheminer sur l’île de la Barthelasse effectivement, et chacun avec leurs outils vont commenter, nous aider à regarder le paysage et l’environnement différemment. Je n’en dis pas plus parce que je pense que ça va être un moment assez étonnant et au retour de cette promenade on sera avec eux au Théâtre Golovine pour continuer les échanges et poser des questions aussi à l’un et à l’autre pour nourrir cette expérience un peu particulière.
Des sensations et des retrouvailles
Parmi la programmation, on aura la joie de retrouver Anna Massoni qui avait été accueillie aux hivernales pour Notte, en 2019, et également Julie Nioche avec la récréation de Nos Solitudes.
Nos Solitudes (ci-contre ©Agathe Poupeney) est un très beau solo avec cette danseuse, Lisa Miramond, suspendue comme dans un rêve d’envol. C’est quelque chose de très poétique, et nous verrons cela à Vedène à L’Autre Scène. Ce sera un très bon moment.
Il y a des sensations que l’on attend durant la programmation avec notamment Olivia Grandville qui sera présente avec Débandades, du côté de La Garance, et Jan Martens qui a signé l’une des plus pièces chorégraphiques cet été durant le Festival d’Avignon.
Jan Martens est un artiste que l’on suit depuis depuis quelques années et qui revient cet hiver avec le solo Elisabeth Gets Her Way, qui pourrait presque être en duo. Il rend hommage à la claveciniste Elisabeth Chojnacka, une artiste majeure du 20e siècle. Sa physicalité et son humilité face à cette artiste sont assez incroyables. C’est un moment d’une pure beauté et d’une intensité physique inouï que nous propose de vivre Jan.
On aura aussi l’occasion de découvrir Guérillères de Marta Izquierdo Munoz, chorégraphe que vous avez reçue en résidence en début de saison pour son futur projet. Cette chorégraphe vient un peu bouleverser notre perception de la danse.
Elle est très étonnante effectivement, avec un univers très humoristique, très décalé. Elle est très sensible à l’univers de Pedro Almodovar, à toute cette mouvance. Ici, elle s’attache à la figure de la guerrière découverte lors d’un voyage en Colombie. Marta aborde son sujet de façon très décalé, très drôle avec une scénographie assez incroyable. C’est un objet assez inclassable. C’est une jeune chorégraphe assez étonnante qu’il faut venir découvrir.
3 jeunes chorégraphes à découvrir le temps d’un plateau partagé
J’évoquais en préambule les jeunes chorégraphes à découvrir. Nous aurons l’occasion le mercredi 9 février, d’assister à 18h à un plateau partagé, avec Ana Pérez, Alexandre Fandard et Maxime Cozic. Peux-tu nous les présenter ?
Ana Pérez est une jeune chorégraphe qui travaille surtout le flamenco extrêmement contemporain. Son travail est vraiment au contact de la danse contemporaine. C’est une jeune chorégraphe de notre région, qui est étonnante et puissante. Sa proposition Répercussions sera suivie par Comme un Symbole d’Alexandre Fandard, qui nous vient du hip-hop tout comme Maxime Cozic, avec Emprise, que l’on a pu voir chez Fouad Boussouf. Tous deux proposent un hip-hop nourrit d’autres influences.
Il était très important de leur donner un plateau afin que le public avignonnais puisse les rencontrer. La danse sera très présente durant ce plateau partagé.
Le sensible au plateau
S’il fallait donner à la programmation du jeudi je dirais que ce serait la teinte du sensible avec à 18h avec le solo de Meytal Blanaru, Rain, en coréalisation avec le théâtre des Doms, et à 20h30 l’immense joie de retrouver Nacera Belaza avec deux propositions La nuit et Sur le fil. C’est une artiste dont j’apprécie énormément le travail, que j’avais d’ailleurs découverte à Avignon avec Le Cri. Je trouve qu’avec sa sœur Dalila, elles sont essentielles dans l’histoire de la danse contemporaine. Elles ont un travail d’écriture très précis et ce sont de belles chorégraphes qu’il faut absolument découvrir. J’imagine que tu es de cet avis ?
Oui bien sûr. Je ne vais pas te contredire. Je suis ravi de pouvoir accueillir Nacera et Dalila. Cela fait très longtemps que je suis le travail cette chorégraphe. Elle a une écriture très particulière et son travail ne ressemble à aucun autre. Elle creuse son sillon et continue dans cette voie que je trouve assez incroyable. Elle nous offre 2 pièces pour cette soirée du jeudi. La Nuit, interprétée par Nacera, puis un trio, Sur le fil, assez époustouflant et sidérant. D’ailleurs le trio prend racine dans le solo. Tout est dans la même énergie, dans le même univers. Ce trio de femmes vêtues de noir tournoient jusqu’à l’étourdissement à la manière de derviches un peu réinventés. C’est toujours un geste qui se répète donnant une danse assez méditative, qui étire le temps tout en brouillant la définition de l’espace. Nous sommes vraiment dans quelque chose d’incroyable. C’est extrêmement esthétique et extrêmement physique accompagné par un travail sur la lumière assez fort. Il y a l’idée que le spectateur puisse se laisser complètement aller dans une sorte de transe, c’est vraiment ça. La musique est également très importante, elle nous maintient en éveil, et on se laisse totalement embarquer par ces 3 femmes dont on ne sait plus qui est qui. C’est quelque chose de très singulier, de très particulier. Nacera Belaza est une danseuse majeure de l’histoire de la danse contemporaine et je pense qu’il faut profiter de sa présence sur Avignon pour la découvrir.
Un autre travail à découvrir, ce sera celui de Romain Berthet pour sa création Alchimie.
Je l’ai découverte il y a 10 jours à chez Klap et le Zef à Marseille. C’est sa nouvelle création. Nous avons eu l’occasion de l’accueillir en automne pour une résidence. Certaines personnes ont pu le voir.
Alchimie est un très bel objet, très plastique comme aime à donner à voir Romain. C’est un artiste qui aime les scénographies et qui a ce sens de la scénographie. Ici, il a fait un travail autour de l’objet flamme et du sujet de l’homme. C’est l’idée de la flamme qui consume les êtres, les corps, cette passion qui habite un homme et une femme au plateau. Là aussi, c’est très physique, très dansé. Je n’ose pas trop en dévoiler, mais il y a la présence de bougies qui donne une atmosphère un peu particulière à la fois inquiétante et poétique. J’invite le public à découvrir cette création.
SOMNOLE de Boris Charmatz
Vous accueillez pour l’avant-dernière soirée du festival le solo SOMNOLE de Boris Charmatz.
Boris Charmatz est un grand nom de la danse contemporaine. Il a été invité à plusieurs reprises au Festival d’Avignon et je pense que les avignonnais aiment bien son travail. On le connaît beaucoup à travers des pièces de groupe, sa marque de fabrique, comme 20 danseurs pour le XXe siècle par exemple. Il a fait des choses monumentales.
Pour SOMNOLE, il avait vraiment envie de se recentrer et de revenir à quelque chose de plus essentiel et assez intime. Boris nous invite à partager un moment d’intimité, quelque chose d’extrêmement délicat et extrêmement puissant parce qu’il y a le corps en mouvement malgré le titre. Il explore la relation danse et musique à travers son sifflement tout le long du spectacle. Je dois dire que c’est une véritable prouesse !
Il siffle des airs qui ont de musique qui ont bercé son enfance, son adolescence. C’est un solo entre rêve et réalité. C’est un moment sublime et très particulier que j’ai eu plaisir à vivre lorsque j’ai découvert ce solo à Paris en décembre dernier durant le Festival d’Automne.
SOMNOLE est programmé à La Fabrica en partenariat avec le Festival d’Avignon, et je remercie toute l’équipe pour son soutien.
Danser coûte que coûte
Nous avons évoqué la programmation du dernier jour du festival avec Maxence Rey et sa performance Passio.Passion extension à la Collection Lambert, nous avons parlé de la carte blanche donnée à Nach pour laquelle elle invite Flora Détraz également. Nous terminons ce festival avec Mette Ingvartsen avec la pièce The Dancing public durant laquelle le public est convié à se joindre librement au mouvement. C’est pour faire un pied de nez à la pandémie ?
On va essayer, mais les conditions sanitaires nous obligent à être encore assis le 12 février puisque tout sera permis de nouveau le 16. On sera dans la dernière ligne droite du festival mais il n’empêche que nous proposons ce spectacle. C’est une pièce assez incroyable qui place, au travers de l’exercice du solo, les moments de danses collectives nés au Moyen-Âge. Mette fait le parallèle avec ce que l’on vit aujourd’hui et questionne le désir de se rassembler aujourd’hui. Nous verrons donc comment cela se traduira mais je pense que Mette Ingvartsen est suffisamment aguerrie pour nous donner l’envie de bouger les bras, de taper des pieds et de se mouvoir même si nous sommes assis !
Lorsque l’on parle des hivernales on ne peut omettre les propositions faites autour des spectacles notamment avec les stages, avec le Books on the move, les playlists à écouter ainsi que les vidéos à voir au Grenier à Sel, les séances ciné, que nous mettons en lien. Du 3 au 12 février, préparez-vous donc à vivre intensément le corps en mouvement lors de cette 44e édition du Festival Les Hivernales.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Photo en début d’article : Débandades d’Olivia Grandville ©Marc Domage
Festival Les Hivernales du 3 au 12 février 2022. Toute la programmation du festival : ici