Pas de Loup de la Compagnie O’Navio : épisode 2
Vous retrouverez le dernier né de la Compagnie O’Navio, Pas de Loup, au Théâtre Artéphile, du 7 au 28 juillet 2017, pour le #OFF17. Après le premier épisode dans lequel nous faisions connaissance avec Jeanne Ashbé, auteure de l’album, et Alban Coulaud, le metteur en scène, aujourd’hui nous entrons dans le vif du sujet. Le metteur en scène nous parle du travail d’adaptation, du passage du livre à la scène et de la musique de Mami Chan, pour que puissent vivre la poésie et l’imaginaire.
Est-ce que l’on peut dire, pour présenter le spectacle, qu’il est une réalité augmentée du livre de Jeanne Ashbé ?
Alban Coulaud : Ce n’est pas vraiment le livre que nous allons retrouver sur le plateau car les albums de Jeanne sont faits pour être lus avec un enfant sur les genoux. C’est la raison d’être de ces albums. Jeanne a une phrase que je trouve très belle où elle dit : « Alban met en scène ce qui est invisible dans mes albums », ce qui est très flatteur. Je pense que ce qu’elle appelle l’invisible, ce sont les mécanismes dont elle se sert pour parler aux tout-petits. Parler entre guillemet car l’album est sans parole, mais pas sans texte et il n’est pas sans son, en tout cas !
Comment travaillez-vous donc pour passer de la forme album à la forme scénique ?
Alban Coulaud : On commence notre travail par un laboratoire de recherche. Je fais partie des metteurs en scène qui écrivent très peu avant d’arriver en répétition. Je viens surtout avec des bouquins, des photos et des images. L’équipe se nourrit de tout cela. Même si je revendique les mises en scène, c’est une écriture à tous. Et en même temps, je n’ai pas envie d’appeler ça de l’écriture collective car automatiquement j’ai le final cut (rires).
On travaille donc comme cela et on s’interroge sur les pages de l’album de cette façon : qu’est-ce que ça cherche à déclencher ?
Je donne un exemple d’une page de l’album avec le mot pampampampam. Cela crée un petit suspens. Sur cette même page, il y a un petit flap qui s’ouvre et on voit que c’est un lapin. Mais ce pampam pourrait être aussi des battements de cœur. À partir de cette page-là, on a brodé le fil conducteur du spectacle. Nous avons interprété ce mot comme le bruit d’un cœur qui a peur mais qui s’avère, au final, être celui des pas d’un lapin. Nous avons fait beaucoup d’improvisations sur cela. On a épuré, réécrit. Pour moi, c’est un véritable tricotage. Nous ne sommes pas dans la chronologie des pages, et il n’y a pas tout l’album. Nous avons travaillé sur une généralité du rapport à la peur et certaines mises en situation peuvent provoquer des fous rires. Je suis assez content car nous avons réussi à matérialiser cela : on retient sa respiration, avec la question du que va-t-il se passer ? puis on relâche tout, on peut se marrer car il n’y a rien de grave, mais toujours avec un petit doute.
Puisque l’idée est de partir d’une page de l’album pour créer le spectacle, il semble que son écriture est indéfinissable et que tout se fait sur le long terme.
Alban Coulaud : Alors moi non plus, je n’arrive pas la définir car comme je le disais, c’est du tricotage. Pour ce qui est du long terme, il y a, en effet, plusieurs étapes dans l’écriture de ce projet. En 2014, nous avions invité Jeanne Ashbé à Limoges pour une exposition et je suis allé la voir en lui disant : « Je viens de trouver ton nouvel album et je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’il y a matière à faire un spectacle, mais pour l’instant je suis incapable de te dire pourquoi et je pense que je n’ai pas tout compris ». Je signale que l’on parle d’un album de 12 pages. (rires)
Nous avons discuté de cela le lendemain, avant son départ, et en 5 minutes, je savais pourquoi j’avais le désir de créer ce spectacle. L’album m’avait touché sur quelque chose de très primaire, sur cette histoire de peur. Nous sommes tous traversés par cela. Pour ma part, je la gère très mal et c’était pourquoi l’album m’avait touché et je n’avais pas tout compris car les mécanismes, que Jeanne utilise, ne m’étaient pas destiné. Quand elle m’a dit : « Tu sais Alban, à la fin du livre il y a deux points blancs, et c’est le loup. Ils représentent la peur et dès que l’on naît, on sait que nous nous traînerons ces deux points blancs toute notre vie derrière nous et que nous devons faire avec », je me suis dit que c’était avec cela que l’on allait faire le spectacle. Après, il a fallu demander à Jeanne de nous accompagner sur cette aventure, car c’est la spécialiste jeunesse.
Ensuite, avant de rentrer dans la création, il faut que je sache quel sera mon terrain de jeu. Et cela revient au travail que je fais avec ma scénographe, Isabelle Decoux, qui fait tous les projets de la compagnie depuis presque 20 ans. C’est un moment où il y a beaucoup de choses qui se débloquent. L’espace est une question primordiale, pour moi. Je peux me projeter lorsque tout est dessiné, pensé, même si j’arrive avec des idées sur la scénographie. Je travaille beaucoup à l’intuition. Je refuse de théoriser dans mes spectacles pour les tout-petits. Notre travail ce n’est pas de faire du Françoise Dolto. Nous ressentons les choses.
La dernière étape est lorsque l’on se retrouve avec toute l’équipe, que tout devient concret. Nous jouons alors tous ensemble. Nous n’avons pas la prétention de faire des créations, mais celle de jouer ensemble.
Dans Pas de loup, la musique est très importante et c’est celle de Mami Chan. Comment l’avez-vous rencontré ?
Alban Coulaud : C’est l’histoire d’une rencontre incroyable. Nous dirigions, avec la compagnie, un théâtre qui s‘appelait La Marmaille, à Limoges (ndlr le théâtre a fermé ses portes en juin 2016). Nous avions créé un festival de musiques actuelles pour jeune public et nous avions accueilli un groupe génial, qui n’existe plus, les Carton Park. Ils faisaient de la musique électro pour les petits. Dans ce groupe, il y avait Mami Chan qui est un personnage à elle toute seule.
Mami Chan est une demoiselle de 50 ans, qui est née à Tokyo, avec une éducation musicale très stricte. À 20 ans, elle est partie du Japon, s’est retrouvée en Angleterre puis à Paris, elle a fréquenté le milieu underground punk et a créé son groupe, qui a eu son heure de gloire, le Mami Chan band, jusqu’à un répertoire plus enfantin. Même dans ce qu’elle faisait de punk, il y avait déjà de l’enfance. J’ai toujours aimé ses mélodies. Elle écrit sur un octave, des mélodies toujours proches de la comptine qui s’impriment réellement. En même temps, ce n’est pas de la musique simple. C’est une compositrice qui a un background de musique classique. Elle manie l’orchestre. Nous lui avons passé une commande. Les morceaux sont des créations pour 90% des mélodies. Seul un morceau existait déjà, Mauvaise graine, dont le texte en anglais dit : Silence knock at my door. Cette phrase me touche et je voulais ce morceau dans le spectacle car il convenait parfaitement à cette idée de quelque chose qui frappe à ma porte, mais lorsque l’on ouvre, il n’y a rien. On retrouve cela dans le spectacle.
Mami a créé les morceaux en nous regardant travaillé. Elle compose très vite. Nous avions en 4 minutes la structure du morceau et tout ceci se nourrissait avec l’énergie de toute l’équipe jusqu’à sa composition finale.
Avec tout ce que vous racontez, on a l’impression que Pas de loup est pour les enfants dès leur plus jeune âge jusqu’à… sans limite.
Alban Coulaud : Le » à partir de » est très important est ici c’est à partir de 18-24 mois. Si le spectacle n’est pas bon, il faut se dire qu’il ne le sera ni pour les enfants ni pour les adultes, et il ne faut pas oublier que ce sont ces derniers qui amènent les premiers au théâtre. Lors des séances scolaires, je milite pour que les enseignants regardent le spectacle et non leurs élèves tout le temps de la représentation. Dans le cadre familial, si les parents s’emmerdent, ils ne les ramèneront. Notre souhait, dans la compagnie, est que les enfants repartent avec des choses, les parents avec d’autres. C’est un moment de silence partagé devant une chose vivante. Il faut que ce soient des moments joyeux, riches pour petits et grands. Pour Pas de loup, on pourrait dire qu’il y a à partir de et jusqu’à puis encore à partir de et jusqu’à car les adolescents ne viendront pas et c’est normal. Quoique dernièrement, lors d’une séance, un ado s’est laissé prendre au jeu et nous l’avons bien eu (rires).
L’écriture , la musique, la scénographie créent l’univers poétique de Pas de Loup. Tout ceci est rendu possible grâce à l’intervention de Simon Chapellas, régisseur de la compagnie que nous rencontrerons dans notre troisième épisode.
L’album de Mami Chan, Town Of Tiny Loops avec le morceau Mauvaise Graine à 22:30
Laurent Bourbousson
Pas de loup, de Jeanne Ashbé et Alban Coulaud, du 7 au 28 juillet (relâche les 12, 19 et 26), à 10h00, à l’Artéphile. De 11,50 à 6 euros. Tél. : 04 90 03 01 90
Equipe artistique et technique : D’après l’album de Jeanne Ashbé (Editions L’école des Loisirs) / Adaptation et Mise en Scène : Alban Coulaud / Conseil dramaturgique et plastique : Jeanne Ashbé / Musique originale : Mami Chan / Scénographie, costumes, objets : Isabelle Decoux / Vidéo : Julien Drone / Régie Générale, manipulation et son : Simon Chapellas Création Lumière : Mateo Bassaon Production et diffusion : Elodie Couraud
Avec, en alternance Caroline Cybula et Nathalie Davoine