#OFF18 : Au Théâtre des Doms, des SPECTACLES VIVANTS

3 juillet 2018 /// Les interviews
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Alain Cofino Gomez, directeur du Théâtre des Doms à Avignon, a concocté un festival #OFF18 fait de Spectacles Vivants. Rencontre.

Visuel du programme des Doms ©Racasse-Studio

Visuel du programme des Doms ©Racasse-Studio

Vous ne pourrez pas échapper au programme du Théâtre des Doms et à ses déclinaisons, tellement son visuel est saisissant. 2 squelettes rose fluo y prennent place avec des gestes d’amour, le tout barré d’un “Spectacles Vivants” écrit en lettres capitales à l’encre noire. « Racasse-Studio a fait un travail formidable. À partir de la programmation, les graphistes ont très vite compris ce que l’équipe et moi attendions. Ce sont deux squelettes asexués avec le mot Vivants écrit en gros. Ce mot est simple mais il était nécessaire de rappeler son existence. Nous sommes assez heureux que le visuel plaise » pose tranquillement Alain Cofino Gomez, le directeur du lieu, au début de notre échange.

9 spectacles ont été sélectionnés parmi la centaine de propositions reçues. 6 se déroulent au théâtre, 1 du côté du CDCN Les Hivernales et les deux autres, sur l’île Piot, dans le cadre d’Occitanie fait son cirque. Parmi les spectacles, on retrouvera la Compagnie Ad Hominem avec Pas Pleurer. « Il est rare de retrouver des compagnies que nous avons reçu en résidence sur le festival. La Compagnie de Denis Laujol était présente sur la saison 2016-2017. Nous sommes ravis de les accueillir avec cette proposition forte et cela sera l’occasion d’une rencontre avec l’autrice du roman Lydie Salvayre – Prix Goncourt 2014 – et l’équipe artistique. »

La marionnette est présente également dans la programmation. On la retrouve avec la compagnie Alula pour Bon Débarras, et L’herbe de l’oubli de la compagnie Point Zéro. Une rencontre Comment la marionnette raconte l’indicible est programmé le vendredi 13 juillet à 18h. Car c’est également cela le festival Off au Théâtre des Doms, de multiples manières de rencontrer le spectacle vivant par le biais du programme “Aux quatre coins du jardin”. Véritable lieu d’échanges, de rencontres, de prises de parole et d’écoute, le jardin des Doms est un lieu où il est bon d’être. À la question du pourquoi Aux quatre coins, Alain Cofino Gomez répond amusé « car il y a bien quatre coins dans notre jardin ! »
C’est ici même que le public retrouvera, le lundi 16 juillet à 22h, la PechaKucha des auteurs et autrices, 20 images x 20 secondes pour présenter sa future création !

La lauréate du Prix Jo Dekmine Mercedes Dassy ©Hichem Daes

La lauréate du Prix Jo Dekmine Mercedes Dassy ©Hichem Daes

En fin de programme, on découvre le nom de la lauréate du Prix Jo Dekmine, Mercedes Dassy pour sa proposition 1-Clit. La danseuse et performeuse sera présente du 7 au 14 juillet à Avignon, non pas pour présenter son spectacle mais pour rencontrer des professionnels, des journalistes et vivre le festival . « C’est également cela le Théâtre des Doms, défendre et donner de la visibilité aux artistes belges et favoriser les rencontres avec les professionnels. Mercedes Dassy est une sacrée personne à laquelle il faut s’intéresser.« 

Lors de la conférence de presse, Alain Cofino Gomez a présenté les spectacles à la façon de l’écrivain qu’il est. « J’écris avec les spectacles, assure-t-il. Je n’ai plus le temps de me consacrer à l’écriture, mais grâce à eux, j’écris des nouvelles histoires« . Lors de notre rencontre, je lui ai demandé s’il était possible de nous confier ses mots, et nous sommes heureux que l’auteur ait accepté. Vous retrouverez ci-dessous son texte.
À compter de ce moment, vous pouvez vous sentir vivant.

Laurent Bourbousson

La programmation par Alain Cofino Gomez

Musica Deuxième © Michel Boermans

Musica Deuxième © Michel Boermans

Il est 10 h 30, la cour du théâtre se remplit doucement, on entre dans la salle, une femme et un homme nous y attendent, ils se tiennent face à nous, « elle et il » s’emparent d’un texte, sont-ils là pour nous le lire ?  À peine posée, cette question devient obsolète et l’on assiste en fait au spectacle d’un texte qui s’empare de deux acteurs. Ce texte de Marguerite Duras qui raconte le temps d’après le divorce, bien longtemps après la rupture, cet instant improbable pour un improbable échange entre les anciens amants. De la distance naît l’ironie et l’ironie révèle malgré elle la beauté d’une histoire d’amour révolue, finie, achevée.  C’est ici, dans le fini décortiqué, dans l’art de l’autopsie que l’on mesure la finesse du travail de direction d’actrice et d’acteur de Guillemette Laurent, sa capacité à donner aux comédiennes et aux comédiens un champs d’exploration riche dont ils s’emparent avec intensité et un plaisir non dissimulé. Parce que cette Musica Deuxième, c’est avant tout une affaire d’acteur, de travailleur et de travailleuse du vivant, donc. Catherine Salée et Yoan Blanc sont ces ouvriers de l’art dramatique qu’on connait pour les voir régulièrement sur les écrans de toutes tailles  – Dans des séries comme la Trèves diffusée sur France 2 ou au cinéma dans La vie d’Adèle ou Marvin ou la belle éducation pour Catherine et Un homme à la mer et Je me tue à le dire – comme sur les plateaux de nos théâtres, mais cette fois, on pourra profiter de leur plaisir combiné, de leur partage intelligent, de leur complicité inventive, de leurs échanges enfin, qui s’ils étaient passés aux rayons X, donneraient à voir de volubiles squelettes dansant sur la musique entêtante de belles amours mortes.

Burning © Hubert Amiel

Burning © Hubert Amiel

Il est 11h10 et nous avons traversé le Rhône pour regagner une île où le cirque est roi, L’île Piot, qui reçoit chaque année le Festival « l’Occitanie fait son cirque en Avignon ». C’est un des partenaires des Doms avec lequel nous programmons, cet été, non pas une mais deux œuvres puisque nous participons au focusCIRCUS.brussels initié par le Ministre de la Promotion de Bruxelles, une opération d’une année qui consiste à mettre en valeur le haut potentiel des arts du cirque bruxellois et le défendre à l’international. Le premier de ces spectacles nous entraîne dans une lente immersion, celle d’un propos qui se déploie au travers des mots de Laurence Vielle, des mouvements de Julien Fournier, acrobate et concepteur du spectacle, mais aussi au travers d’une scénographie qui participe à ce crescendo vers la brûlure sociale et professionnelle. Burning, c’est une pente sur laquelle on voit glisser un homme. C’est un corps traversé par les sollicitations incessantes et continuelles, c’est un esprit assigné à la vitesse ininterrompue de l’activité humaine. Sur scène, se joue le spectacle de la surproduction et de ses effets sur l’être humain. Quelle belle chose que le cirque puisse s’emparer du politique et lui donner une dimension critique augmentée par les notions qui lui son propre telles que celles du risque ou de la performance. Il y a là des questions posées aux limites, à la course folle, au dérapage, autant de principes circassiens qui font étrangement écho à ce mal de vivre contemporain que l’on appelle de façon si cruellement poétique le burning.

Bon débarras ! © Geoffrey Mornard

Bon débarras ! © Geoffrey Mornard

Il est 12h30 et nous quittons l’île Piot pour revenir au Théâtre des Doms ; place à l’enfance et à un spectacle aussi original que précieux, Bon Débarras ! Presque une interjection qui ici désigne peut-être ce moment, cet endroit, où, enfin, parents et enfants se libèrent les uns des autres. Oui, il existe un espace/temps invisible aux uns comme aux autres dont profitent les enfants pour devenir, grandir et rêver. C’est l’histoire d’un lieu donc, le débarras, sous l’escalier, d’une maison bourgeoise de la fin du 19ème siècle qu’occupe au fil d’une centaine d’année les habitants successifs de cette bâtisse située en Wallonie. Ce sont donc des histoires d’enfants figurées par une dizaine de marionnettes à taille humaine qui se raconte sans chronologie, comme un jeu de piste au travers du temps. Les traces laissées, les jeux et les tristesses abandonnées, les cris de joies ou de peurs déposées, les serments et les secrets échangés toutes ces perles de l’enfance que la Cie Alula livre dans une création collective exclusivement féminine, avec un talent impressionnant pour l’art de la manipulation de marionnettes. Dans une mise en scène de Muriel Clairembourg qui parvient à faire de nous, spectateurs petits ou grands, des enquêteurs spatiotemporels à la recherche du sensible et du fragile au travers d’un siècle et même plus. Un spectacle ouvert à toutes et tous et qui ose proposer aux jeunes publics du beau, du délicat, de l’art et de l’esthétique et, chose qui devient rare, il ne délivre pas de message d’utilité publique puisqu’il n’est en somme qu’un regard artistique porté avec affection sur les petits humains.

Pas pleurer © Yves Kerstius

Pas pleurer © Yves Kerstius

Il est 14h30 ; Oui, il fait chaud et c’est donc un plaisir de s’enfoncer encore un peu dans le moelleux des bancs de la salle climatisée des Doms. Devant nous, sur scène trois femmes pour convoquer les démons idéologiques de la péninsule ibérique qui a vu naître en son sein de façon simultanée les forces libertaires et fascistes. On connaît l’Histoire et l’on sait qui sera pour longtemps vainqueur mais on sait moins la petite histoire des villages espagnols partagés et très vite déchirés entre l’idéalisme des nouvelles utopies et la réaction des propriétaires alliés aux notables et aux clergés. C’est bien entendu du texte de Lydie Salvayre qu’il est question, Pas Pleurer, autour duquel Marie-Aurore d’Awans à la voix et Malena Sardi à la guitare proposent un regard plutôt Garage du récit du prix Goncourt 2014. C’est donc dans une ambiance électrique que le récit de Montserrat la mère de l’autrice s’offre à nous. Nous suivrons ses pas de toute jeune femme dans un monde naissant et excitant qui malheureusement ne saura pas tenir toute ses promesses de liberté, d’équité et de justice. Ici, la mise en scène de Denis Laujol est toute viscérale et instinctive et donne une lumière énervée et musicale à cette histoire de femme découvrant le monde et ses alternatives pour finir par fuir le chaos de la guerre civile sur les routes des réfugiés d’un autre temps, vous savez, ce temps ou on savait les recevoir. Un spectacle qui prend tout son sens et toute son authenticité lorsque l’on sait combien Marie-Aurore est impliquée dans l’accueil digne des migrants sur Bruxelles. C’est aussi un projet qui est venu en résidence aux Doms cette saison et qui a donc déjà rencontré le public avignonnais. C’est assez rare et c’est un plaisir pour les Doms d’accompagner aussi longuement un projet et de tisser une belle histoire entre notre public et une œuvre belge.

inaudible © Gregory Batardon

Il est 15h15, nous quittons les Doms pour nous glisser dans les ruelles étroites et ombragées de l’intra-muros et rejoindre le Centre de Développement Chorégraphique National d’Avignon, Les Hivernales. Autre partenaire historique du Théâtre qui reçoit cet été inaudible de la Cie Zoo, une chorégraphie de Thomas Hauert. Comment passer à côté de cette œuvre singulière qui joue de la simplicité avec une proposition culottée qui donne littéralement à voir du Gershwin comme si toute la beauté de ses compositions pouvait se tenir sur une scène, martyrisant des corps-instruments et provoquant des chorégraphies de sons. Il y a une délicieuse, voir gourmande, beauté dans cette liberté pleine de risque d’irrévérence et de profond respect pour l’invisible et le silence. C’est un spectacle captivant et riche qui surprend sans doute mais qui finit par emporter l’adhésion tant la démarche est visible, limpide, honnête donc, et finit par délivrer un message esthétique, sorte d’éloge à la joie d’une rencontre extraordinaire entre le corps et la note de musique.

L'herbe de l'oubli © Veronique Vercheval

L’herbe de l’oubli © Veronique Vercheval

17h, Il fait toujours aussi chaud sur le chemin qui nous ramène au Théâtre des Doms. Les joueurs de cymbale, invisibles et juchés sur des arbres s’en donnent à cœur joie pour attirer des femelles, ils donnent aux ruelles de la Cité des Papes un décor sonore bien provençal, je parle des cigales bien entendu. C’est pourtant l’heure de rejoindre l’Herbe de l’Oubli et d’affronter un autre invisible, plus inquiétant celui-là, celui de l’atome lorsqu’il est manipulé par l’être humain. La Cie Point Zéro, menée par le metteur en scène Jean-Michel d’Hoop est allé voir en Biélorussie ce à quoi pouvait ressembler ces zones où malgré les séquelles actives de l’incident de Tchernobyl, des femmes et des hommes sont retournés vivre, chez eux. Ils en sont revenus avec des témoignages d’habitants et une vision de la catastrophe présente, passée et avenir qui ne manque pas de poésie. Encore une fois, la Cie invite le marionnettique et le documentaire à transformer l’espace scénique en lieu de parole et de silence. Silence fantastique des ombres nucléaires qui errent dans un paysage d’une beauté post apocalyptique pénétrante et paroles endossées par des acteurs et des actrices pour témoigner d’un quotidien d’irradiés. Le spectacle ne laisse pas indifférent, sans être revendicatif, il désigne pourtant d’un geste artistique aboutit notre faculté à oublier que nous vivons dans le voisinage direct de la catastrophe passée, présente et peut-être à venir.

Strach © Laure Villain

Strach © Laure Villain

18h, Pas un nuage à l’horizon pour accompagner notre petite promenade sur le pont Daladier qui nous mène au village du cirque bâtit par la région Occitanie. Deuxième spectacle circassien, Strach. On nous invite cette fois à entrer sous un petit chapiteau et plus avant même au plus près des artistes pour faire famille avec eux et traverser ensemble, frères et sœurs humain, le pays du rêve et du cauchemar. Oui, c’est une invitation confraternelle que propose Patrick Masset, une petite communion qui travaille l’esprit fondamental du cirque et croyez-moi c’est une expérience loin d’être désagréable que de se laisser aller parmi les chiens-loups et la grande faucheuse, soutenu par le chant lyrique et la musique exécutée en live. Les personnages eux se forment et se déforment par la magie de l’onirisme et lorsqu’ils regardent droit dans les yeux le public, un frisson partagé le traverse. Il s’agit bien d’un instant magique, la magie du cirque, comme on dit ? qui ici va puiser dans les peurs ancestrales pour construire de façon quasi naturelle une petite communauté du partage, spectateurs et artistes confondus.

J'abandonne une partie de moi © Hubert Amiel

J’abandonne une partie de moi © Hubert Amiel

Mais il est déjà 19h30 et il nous faut retourner vers le quartier de la manutention, rue des Escaliers Sainte-Anne. Sur la scène, une jeune femme sur une balançoire nous regarde nous installer. J’abandonne une partie de moi que j’adapte ? étrange titre qui cache une question assez simple ; qu’est-ce que le bonheur. De jeunes artistes nous convoque à y réfléchir avec eux. Pour aborder cette question, ils s’arment du passé et exhument Jean Rouch et Edgar Morin, en retire l’huile sociologique, le parler et le geste désuet en quelques scènes de cinéma-vérité. Mais si la question est ancienne elle n’en reste pas moins contemporaine et c’est là, en fait, que le Group Nabla et Justine Lequette veulent nous emmener au cœur d’une question cruciale pour des trentenaires, des artistes, des humains … qu’est ce que vivre heureux, comment aimer sa vie, qu’est ce que la vie… tout cela sans nostalgie avec humour et intelligence.  On ressort de ce drôle de spectacle qui oscille entre le présent et le passé, avec le sourire des bienheureux, ceux qui ont frôlé l’essentiel.

Mal de crâne © Yves Gervais

Mal de crâne © Yves Gervais

Pour le dernier spectacle nous restons dans la salle il est 21h30 pour assister à Mal de crâne. Encore une œuvre de jeunesse, de premiers pas artistiques éblouissants, étonnant de par leur force et leur achèvement. Ici, il est question de langue et du plaisir qu’il y a à l’entendre claquer sur la scène. C’est avant tout de l’écriture de Louise Emö dont il est question, une écriture que j’ai rencontrée à plusieurs reprises et qui à chaque fois m’a littéralement scotché et laissé K.O. devant cette faculté à rendre aux mots leur véritable destin de carburant poétique. Ce carburant brûlera cette fois au nom du vieux et du neuf puisqu’il s’agit de faire se croiser deux univers que l’on pourrait penser trop éloignés, ceux d’Hamlet et d’Eminem. Sur scène donc, le drame shakespearien côtoiera la culture urbaine et c’est là qu’opère justement la langue de Louise, dans l’épaisseur de la tragédie mêlée à une modernité populaire, c’est là exactement que ces mots explosent et exposent le théâtral, l’oral et l’humain passé au rayon x, laissant voir de pauvres squelettes asexués comme l’essence du vivant, sa dernière trace, l’empreinte du vif.

Texte Alain Cofino Gomez

Théâtre des Doms – Festival Vivant du 6 au 26 juillet. Renseignements : site du théâtre

 

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