VU : CAMPANA du Cirque Trottola
La compagnie Trottola, nous a encore surpris avec sa dernière création Campana. La voltigeuse Titoune et le clown Bonaventure Gacon nous embarquant encore plus loin dans les registres de l’émotion pure.
Après des premières au Prato, Pôle national du cirque de Lille, soutien précieux depuis leur début, Trottola est accueilli par un autre de leurs fidèles compagnons de route, le Festival d’Aurillac. Ici même où ils avaient crée leur premier spectacle Trottola en coproduction avec Nexon.
Un rendez-vous très attendu par le public de cette 33eme édition du Festival d’Aurillac tant ces artistes sont rares dans tous les sens du terme.
Le cirque de la vie…
Sur la colline d’Aurillac, dans le parc Helitas, le Cirque Trottola nous reçoit, comme à l’accoutumée, chez lui, dans l’intimité d’un chapiteau flambant neuf construit spécialement pour Campana. Chacune de ses créations est une nouvelle balade sur une passerelle qu’ils aménagent entre leur imaginaire foisonnant et nos émotions de spectateurs. Ensemble, nous partons à l’aventure dans un nouveau monde fait de panoramas qui leur ressemblent et de contrées inconnus à explorer.
Depuis presque 20 ans les Trottola sont une référence dans le monde du cirque.
Bonaventure Gacon a créé un clown pour adultes, atypique et sombre : le Boudu. Maladroit, excessif, acrobate, triste et terriblement poétique.
Titoune, voltigeuse exceptionnelle, marque les esprits par sa dextérité et son inimitable personnalité de gavroche frondeur. C’est un petit piaf frêle et indestructible qui face à son partenaire Bonaventure endosse le rôle du clown blanc. Elle en revêt même fugacement le costume, revisité ici pour l’occasion d’une version miroirs qui brillent de 1000 feux au son d’une crécelle rugissante. En Riffifi tout cramoisi ou en petit Poulbot étonné, Titoune s’approprie la candeur de cette figure de clown tout en y ajoutant une fragilité puissante qui rivalise avec le bourru tendre du personnage de Bonaventure.
Du sous-sol aux cieux, éternellement, ces deux là se cherchent. Sous le regard amusé des musiciens Thomas Barrière et Bastien Pelenc, qui pour ce spectacle deviennent aussi acrobates. Chez Trottola on est nomade et polyvalent.
Dans chaque ville-arrêt, monter et démonter le chapiteau, mobilise la troupe sur le pont avant d’être sur la piste. Un art de vivre et une manière de vivre son art. Un tour de force physique, un « vivre ensemble » authentique et une manière de se retourner sur ses pères...
Un monde qui tourne plutôt rond
Tout en haut des gradins, l’accueil du public est assuré par un Monsieur Loyal (Marc Délhiat) en costume argenté. Avec la prestance d’un maître de cérémonie, l’élégance et la voix distinguée d’un gentleman, il nous accompagne en parole et regards complices jusqu’à la piste.
Cette piste qui avec le cercle restent le socle de la réflexion artistique des Trottola, ils la réinventent à chaque nouveau projet.
Pour eux, le dispositif scénique est la condition du jeu.
Dans Matamore la scène était une arène où le spectacle était joué en contre-plongée. Pour Volchock, deux gradins face-à-face et la piste devenait couloir. Dans l’éponyme Trottola, une toute petite piste pour 3 protagonistes et un orchestre. Dans Campana, les deux musiciens sont perchés sur une petite estrade au-dessus de la piste. Une piste ronde, dorée, qui cache une abîme. Un spectacle à deux niveaux. En-dessous une zone secrète où s’agitent des démons, ceux de nos cauchemars, de nos pertes et de nos tourments… Et à la surface des vies qui côtoient des âmes vagabondes… des errants…comme ceux qui franchissent nos frontières ou campent dans nos parcs… et qui ont les différents visages de nos quêtes insatiables…
Au fil des minutes, face à nous, un constant équilibre se cherche entre le haut et le bas, le dedans et le dehors, le rond et la ligne, le fond et la forme…malicieusement agencé par Jeanne Maigne, fille de piste et Joachim Gacon-Douard à la lumière. Un équilibre qui se teste dans des mains à mains gracieux, en voltige au trapèze, avec cette échelle couperet ou sur ce nouvel agrès improbable qui s’élève avec nos espérances.
Campana est fait d’échanges, entre des zones habituellement étanches, des sentiments marqués, des idées arrêtées, des mondes opposés… Soudain sous nos yeux, tout bascule…
Balayant les lois de la gravité, sous l’impulsion d’une Titoune magistrale, chacun remet en jeu ses certitudes, se mesure au risque et cherche la lumière.
Le cycle de la vie
La superbe, joyeuse, inventive musique de Thomas Barrière et Bastien Pelenc est parsemée de petites clochettes qui annonce l’arrivée tonitruante de la splendide diva, la campana.
Plus qu’un décor majestueux elle est une Guest qui s’invite chaque soir. Elle vibre différemment à l’unisson des états de chacun, du territoire qui l’accueille, du ressenti du public, de l’énergie de Bonaventure. Cette grande cloche par sa seule présence place Campana dans ce qui fait l’essence du spectacle vivant, renouant avec la notion de performance au cirque. Spectacle en perpétuel mouvement qui évolue avec le temps, il décrit la temporalité, les cycles, les origines, la perte, la fin… Une fin qui n’en serait pas une si l’on y oppose la force de la vie, si l’on place la résilience et la confiance en contrepoids. Si comme Titoune, on se balance au dessus du vide en ayant cette troublante assurance que l’on ne pourra jamais y tomber.
Trottola forge sa singularité loin des concepts, des sujets d’actualités à la mode. Le discours, « l’intelligent » comme aime à le nommer Bonaventure Gacon laissent la place à un c(h)oeur d’émotions bouillonnant. Campana s’attache ainsi à l’indéfinissable, aux fractures de l’existence, aux processus qui les composent plutôt qu’aux faits, il en résulte un objet brut, pur, qui a la force de sa fragilité.
User la vie jusqu’à la corde
Trop parler de Campana, en déflorer ses tableaux, serait comme priver son futur public de multiples sensations, d’une surprise délicieuse.
Remettant sans cesse sur l’établi le métier de vivre comme seule condition au métier d’artiste, les Trottola livrent un spectacle, poignant, délicat, drôle où les émotions se hissent haut, très haut, au sommet du navire imaginaire d’où Bonaventure scande : « Mon seul pays c’est la vie … ». Un cri qui grandit vers le ciel, pousse vers le haut, faisant émerger du fond des civilisations l’humanité cachée, la grogne des contestations, l’unité qui fait contrepoids à la masse…
Toute l’équipe de Campana manie à vue câbles et cordages. Ils nous pincent le cœur avec la corde d’un violon mélancolique, amarrent un trapèze à nos frissons. Ils tendent la corde raide jusqu’au sensible, usent le comique jusqu’à rire du tragique et hissent haut le drapeau d’un pays où on peut s’accorder.
Et lorsque à bout de bras, Bonaventure tirent les cordes de la vie qui s’ébat, qu’il fait carillonner à tout vent et que le son nous pénètre, l’image est juste sublime. Même presque douloureuse tant elle fait raisonner en nous une émotion, indicible, intime, entre l’effondrement du cœur et l’état amoureux, une émotion que nous n’avions plus connu sur scène depuis bien longtemps. Et nous fait dire avec eux : « Je l’aime tant le temps qui reste ! ».
Marie Anezin
Photo : ©Philippe Laurençon
Retrouvez la série d’entretiens au sujet de cette création : ici.
CAMPANA du Cirque Trottola a été vu au Festival Aurillac 2018.
Jusqu’au 22 décembre, au 104 Le Centquatre-Paris. À retrouver en région Provence Alpes Côte d’Azur, à Istres, pour Les élancées, du 6 au 10 février 2019. Renseignements scenesetcines.fr
Retrouvez toutes les dates de tournée sur le site : cirque-trottola.org
En piste Titoune & Bonaventure Gacon | Aux instruments Thomas Barrière & Bastien Pelenc | Régie lumière et son Joachim Gacon-Douard | Fille de piste Jeanne Maigne | Costumes Anne Jonathan | Equipage chapiteau Sara Giommetti, Guiloui Karl & Florence Lebeau | Conseillers techniques, artistiques et acrobatiques Jérémy Anne, Florian Bach, Filléas de Block, François Cervantes, Grégory Cosenza, François Derobert, Sara Giommetti, Pierre Le Gouallec & Nicolas Picot | Constructions Scola Teloni, CEN. Construction, Atelier Vindiak & Lali Maille | Maitre d’art Paul Bergamo – Fonderie Cornille-Havard | Visuels Paille (décors cloche) & Nathalie Novi (peinture affiche).