[VU] Confession Publique, une plongée dans l’intime et l’universel avec Angélique Willkie dans l’écriture scénique de Mélanie Demers

13 juillet 2025 /// Festival d'Avignon - Les retours - OFF
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Dans un silence total, nocturne, hypnotisé, paralysant, paralysé… le public se lève en applaudissant dans une présence performative absolue, de qualité scénique incroyable, et sort doucement de la salle sans mots. On ne sait pas encore si on est dans l’acte ou déjà revenus dans la réalité du monde, dans le jeu ou en action, dans un cauchemar ou dans une honnêteté radicale, d’une clarté pure sans comparaison. Les sensations envahissent les corps, les émotions et les pensées circulent avec une intensité rare, mobilisant les références intimes de chacun et chacune. Devant le théâtre, le public cherche peu à peu des voies d’expression : choix de fuite, élans de partage, discussions hésitantes et délicates.

Quelques minutes plus tard, l’équipe artistique rejoint la rue, généreuse, pour apaiser les regards, masser les images, assouplir les esprits par la parole.

C’est à cette expérience sensorielle et réflexive extrême que nous convie Confession Publique, création signée par la chorégraphe montréalaise Mélanie Demers, portée par la puissance incarnée d’Angélique Willkie et présentée au festival Off d’Avignon, dans le cadre de la programmation On (y) danse aussi l’été du CDCN d’Avignon Les Hivernales.

Un solo pensé à deux

À l’origine, Confession Publique devait être un solo pour Mélanie Demers elle-même. Mis en attente pendant quelque temps, ce projet a resurgi grâce à Angélique Willkie, artiste chorégraphique, théoricienne et praticienne, qui propose et partage ses recherches sur la dramaturgie de l’interprète, en les articulant avec la vérité et la curiosité propre à l’écriture de sa collègue. Cette œuvre, désormais façonnée à quatre mains, devient un espace où l’introspection s’offre en duel avec l’aveu, où le profond et l’intime se transforment en un geste poétique, en résistance au déballage constant de nos vies contemporaines. Le dévoilement de soi y devient un enjeu fascinant, un moment où l’interprète teinte et infléchit le cours de la création par sa propre histoire, sa culture, ses vécus et ses références personnelles.

Assise d’abord derrière sa batterie, en robe de mailles dorées, le visage frontal et apaisé, Angélique Willkie observe le public entrer, instaurant d’emblée un pacte silencieux et attentif entre la salle et la scène.
Quand la lumière s’éteint, toute distance encore persistante se dissout. Entre confidences, chants et mouvements, guidée par la chorégraphe Mélanie Demers, la performeuse livre une partition ouverte de délivrance de soi, à la fois pragmatique, fictionnelle, captivante et hypnotique.
Le motif —« Once upon a time, there was a little girl named Ange » (« Il était une fois une fille nommée Ange ») — revient inlassablement, soutenu par le balancement cyclique d’un microphone, déroulant le fil d’une vie et d’une mémoire dans une présence absolue. Paroles quasi improvisés, bribes quasi automatiques, nuances infinies, ambiguïté féconde : est-ce la vérité de Demers ou celle de Willkie ? La matière est hybride, poreuse, vivante et engage chacun et chacune dans un processus d’introspection et d’extériorisation, avec ou sans filtres, barrières ou freins.

La mise en risque comme acte politique

Mais comment comprendre le « cas Willkie » dans son binôme avec Demers ?
Dans plusieurs entretiens, Angélique Willkie décrit avoir toujours choisi une prise de risque. Attirée par la dramaturgie, elle conçoit l’engagement politique comme un prolongement naturel de sa posture d’artiste et de citoyenne : une curiosité radicale, une manière d’habiter le monde. Pour elle, cet engagement est avant tout une expérience vécue, incarnée — un savoir du corps, distinct du savoir théorique ou académique. Comprendre le monde passe par la chair : son approche questionne notre rapport aux autres, à l’espace, aux éléments du réel, et engage une réflexion sur les hiérarchies sensibles et les filtres perceptifs qui façonnent notre regard et nos perspectives critiques. Sa posture artistique et professionnelle est en elle-même une prise de risque : elle met en œuvre la plasticité de l’être, façonné par nos relations, nos expériences et nos immersions dans l’instant. Elle défend la conviction qu’une éthique plus responsable naît d’une véritable incarnation, où la réflexion et le corps s’enrichissent mutuellement.
Quant à Mélanie Demers, elle propose, comme souvent dans ses créations, un dispositif scénique qui fait office de sonnette d’alarme : une mise en lumière des zones d’ombre de la condition humaine, un appel à la survie et une invitation à la transformation — intime et publique.

Confession Publique est ainsi une forme d’activisme contre les traitements sociétaux du corps, contre le binarisme, et pour un tissage de corps politiques, émotionnels, sociaux. Une danse élargie, une corpo-realité, une exploration des fissures et des blessures individuelles et collectives qui nous rendent profondément humains.
L’un des moments les plus puissants du spectacle survient lorsque Willkie, debout et nue sur la table, se tourne lentement autour de son axe. Une image qui évoque, de manière frontale, les « zoos humains » et expositions ethnographiques du passé pas si lointain. La performeuse s’expose volontairement, se réapproprie son corps, le rend visible et profondément humain. C’est un acte politique d’une force inouïe, une mise à nu au sens littéral et figuré, qui met en question le pouvoir du regard. Peut-on choisir de ne pas regarder, de ne pas parler, de ne pas nommer, de ne pas revendiquer ?

Le (mé)tissage scénique comme « œuvre totale »

Au-delà du texte et des mises en acte, le paysage sonore, signé Frannie Holder, ajoute une couche à la fois fantomatique et terrestre qui amplifie la puissance de cette rencontre avec l’univers de la performeuse. Entre bidouillages électroacoustiques et travail vocal intérieur, l’univers sonore devient un partenaire invisible, créant un espace immersif oscillant entre rituel et hymne.

Les costumes d’Elen Ewing et la scénographie d’Odile Gamache, tout en subtilité, prolongent cette tension entre noblesse et trivialité.
Mélanie Demers rêve d’un « art total » : un lieu où cohabitent danse, théâtre, musique et texte, mais aussi saveurs, odeurs et sensations physiques de toutes sortes. Elle cherche l’impur, les liminalités où tout se mêle, pour créer un métissage qui permet aux voix, aux corps et aux visions de s’enrichir mutuellement.

Un appel à la transformation

Il est précisément 23h05 quand les lumières s’éteignent sur la dernière image : celle d’Angélique Willkie, corps-orchestre à la fois accablant et apaisant, monument fragile et puissant.
Confession Publique est une preuve vivante que la scène peut devenir un véritable champ d’expérimentation où l’on pense ensemble la vulnérabilité et la puissance, les certitudes et les incohérences.
Une œuvre qui choisit l’honnêteté brute, et nous laisse, bien après la sortie, avec une question obsédante : qu’avons-nous vu ? Qu’avons-nous ressenti ?
Le silence final résonne encore, comme un écho vivant : peut-on vraiment rester le même après une telle confession ?

Illiana Fylla

Générique

Conception, mise en scène et chorégraphie : Mélanie Demers / Interprétation : Angélique Willkie avec la participation d’Anne-Marie Jourdenais / Dramaturgie : Angélique Willkie / Direction des répétitions : Anne-Marie Jourdenais / Musique originale : Frannie Holder / Musique additionnelle extrait de The Fairy Queen, composé par Henry Purcell et chanté par Angélique Willkie / Scénographie : Odile Gamache
Lumière : Claire Seyller / Costumes : Elen Ewing / Direction technique : Hannah Kirby Régie surtitre Alec Arsenault / Direction de production : Alec Arsenault / Remerciement : Éléonore Loiselle

Production MAYDAY | création 2021

Coproduction La Chapelle Scènes Contemporaines (Montréal, Canada) • Agora de la danse (Montréal, Canada) • Centro per la Scena Contemporanea/Operaestate Festival (Bassano del Grappa, Italie)
Soutien Conseil des arts du Canada • Conseil des arts et des lettres du Québec • Conseil des arts deMontréal
Site de la compagnie

Infos pratiques
1 0 — 20 JUILLET • REL Â CHE LE 15 | 22h | durée 1h15 | Les Hivernales CDCN d’Avignon
18 rue Guillaume Puy 84000 Avignon

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