[VU] I’ll lick the fog off your skin, une question de désirs

30 avril 2024 /// Les retours
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A la production et à l’administration de la compagnie altered_spaces_, c’est avec le recul nécessaire que ce retour est écrit. I’ll lick the fog off your skin, projet immersif d’Emmanuel Guillaud, a vu le jour lors du dernier Festival + de genres à Klap Maison pour la danse.

Au début, la forêt

Avant d’entrer sur le plateau, lieu où le public pourra déambuler à sa guise durant le temps qu’il souhaite, nous sommes accueillis en paroles par des hôtes. Sorte d’antichambre avant d’aller fouler de nos pieds notre terrain de jeu, ce court instant pose les bases de l’expérience que chacun·e va vivre à sa façon. 
Puis, nous sommes livrés à nous-même dans cette forêt imaginaire, constituée de voiles où la musique créée par l’artiste Minouche se fait entendre.

L’appropriation des lieux par le public est le point crucial dans ce cheminement imaginé par Emmanuel Guillaud et les interprètes. En effet, livré à lui-même, il cherche où se positionner, quel est le meilleur angle pour s’approcher des duos, trios ou solos de cette mystérieuse communauté en mouvement lors de son entrée.

Un peu décontenancé·e, certes, chacun·e avance à la recherche d’un but qui semble nous échapper au départ. Oui, seulement au départ, car petit à petit, lorsque l’excitation de la découverte laisse place à l’apaisement, on commence à voir dans les différents espaces, des corps qui entretiennent un dialogue avec d’étranges créatures apparaissant sur les voiles. 

Les dialogues entre les performeur·euse·s, les amateur·ice·s et ces formes déclenchent alors des réactions en chaîne dans tous les coins du plateau. Le parcours est ainsi aléatoire et permet de voir ou de ne pas voir, selon le cas, certains échanges dansés. 

Caché derrière des voiles, le public devient voyeur de ballets qui sont dignes des danses prénuptiales chez l’espèce animale. Sulfureux parfois, étrangement hypnotiques, les corps des performeur·euse·s se livrent et délivrent notre regard. 

Ici, il est question du désir, de ce moment où le regard soutenu sur une personne devient une réponse à l’envie de l’autre. La bande son habille l’ensemble et souligne à juste titre ce qui doit être ressenti le moment venu. La justesse de cette composition s’imbrique parfaitement dans les différentes réalités du désir, de l’attraction physique, qui sont données à voir et peut-être éprouvées parfois, lorsque les regards échangés avec les interprètes sont prégnants.

L’état volatil du désir

Emmanuel Guillaud a pensé et imaginé I’ll lick the fog off your skin tel un labyrinthe dans une forêt faite de voiles, bousculant ainsi le rapport public/interprètes. Souhaitée immersive, la pièce l’est totalement.   

Installé au Japon, il débute ses recherches sur le désir et les lieux de rencontres furtives. C’est avec Takao Kawaguchi, danseur chez Dumb Type, qu’il est accueilli en résidence à la Villa Kujoyama. Tous deux travaillent sur la notion du désir dans le Japon ancien, là où le désir naît d’une attirance physique pour un être quelle que soit son apparence.

De sa recherche, qu’il poursuit toujours, une idée s’impose : le désir, semblable à des particules, est volatil, il est imperceptible mais profondément alchimique. Qu’est-ce qui attire deux êtres ou entités l’un·e vers l’autre si ce n’est l’urgence de se sentir vivre dans les bras d’un·e autre, même pour un court instant ?

Car oui, les interprètes ont toustes cette fougue, celle de se sentir vivant·e·s et de nous procurer ce moment presque fugace, oublié, et de l’inscrire dans ce temps présent.

Chacun.e à sa façon partage son monde et son mode de séduction. Les regards échangés ici et là au gré de notre déambulation animent parfois ce jaillissement de flammes qui nous rend vivant·e·s.

3 boucles pour rendre compte du désir

Construit sur 3 boucles représentant des temporalités différentes d’un même lieu de rencontres furtives, les danses deviennent de plus en plus justes, de plus en plus fortes. 

Puisque tout se déroule en simultané, parfois du coin de l’œil on aperçoit un duo auquel nous préférons un trio ou bien un solo devant ces voiles sur lesquels sont projetés des êtres magiques aiguisant le désir des interprètes.

La première boucle sage, pose les fondations des jeux qui se mettent en place. La seconde permet de s’approprier l’espace, de comprendre la place des interprètes et de certaines personnes du public actives dans les interconnexions. Pour la troisième, le public semble se donner le droit de jouer avec les interprètes, les couples ressentent le besoin vital de se donner des marques d’affection, dans l’ambiance feutrée de cette forêt. 

Marcos Arriola, Alexandre Bibia, Bastien Charmette, Lorenz Chaillat-Cavaillé, Arya K/Nell, Ayoub Mounen et Michael Nana se livrent jusqu’au bout de cette parenthèse dansée aiguisant les sens. 

En toute fin, la communauté disparaît sous nos yeux, un·e par un·e. Le désir s’évanouit. Il ne nous reste que des images fortes en tête. Et c’est sonné que le public quitte ce rêve éveillé que l’on aimerait revivre à l’infini.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : ©Emmanuel Guillaud

Générique

Une proposition d’Emmanuel Guillaud                                       
Avec la complicité des interprètes : Marcos Arriola, Alexandre Bibia, Bastien Charmette, Lorenz Chaillat-Cavaillé, Arya K/Nell, Ayoub Mounen, Michael Nana
Également présent·es dans les vidéos de : Sophie Demeyer, Takao Kawaguchi, Francesco Migliaccio    

Création musicale : Minouche Briot · Création lumière : Jérôme Baudouin · Aide à la dramaturgie : Stéphane Bouquet · Installation vidéo : Christophe Touche

Production : aletered_spaces_ et Ysé Productions
Co-producteurs : Fonds d’innovation Dicréam pour la Création Artistique Multimédia et Numérique ; Région Normandie en partenariat avec le CNC et en association avec Normandie Images; Direction régionale des affaires culturelles Ile de France – Plan de relance;  CCN de Caen en Normandie, direction Alban Richard ; Klap Maison pour la Danse à Marseille ; Antre Peaux à Bourges.
Soutien et accueil en résidence : CND, Centre National de la Danse ; Théâtre de Vanves, Scène conventionnée d’intérêt national « Art et création » pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts; Villa Kujoyama, Kyoto (Institut français) ;  Scène 44 n+n Corsino – Marseille; La Briqueterie, CDCN Val de Marne; le CENT QUATRE – Paris; La Ménagerie de Verre, Paris.

Merci à Olivier et Hiroko Horps, l’ésam Caen, le programme de recherche doctorale par le projet RADIAN.

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