VU : La Mécanique des ombres de Naïf Production
Naïf Production présentait La Mécanique des ombres à l’occasion du Festival du CDC Les Hivernales. Retour sur cette nouvelle proposition du trio composé de Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès, artistes associés au CDC.
Le trio poursuit son exploration de la figure masquée avec La Mécanique des ombres, débutée avec la proposition Je suis fait du bruit des autres, travail mené avec des amateurs. La béance de ces visages est violente, dans un premier temps, puis surprend du simple fait de voir des danseurs qui auraient, d’une certaine façon, perdue une part de leur personnalité, de leur identité. Le visage, repère primordial d’émotions, de forces, de fragilités, et à l’origine de tout rapport, est totalement absent ici. Dès lors la proposition intrigue.
Sur le plateau, trois êtres. Tous les trois portent jean, sweat à capuche relevée, et le visage masqué de noir. Ces êtres-là, d’une certaine façon, avec leur neutralité, semblent incarner une essence, presque un concept. Celle de l’être humain, de l’homme, du corps ? Avec le mouvement, ces interrogations s’apaisent, bien que persistant malgré tout tout le long du spectacle et sûrement encore aujourd’hui.
Donc ces trois sans-visage sont avachis, abandonnés sur le plateau. On les suit dans leurs premiers mouvements. Non pas les premiers mouvements sur scène, mais bien ce qui semble être leurs Premiers Mouvements. Les voilà qui découvrent chacun à leur tour, leur corps, leurs capacités. Ils testent en posant le pied droit ici, le pied droit là, et chutent. Ils tentent de tenir en équilibre et tombent. Ils se hissent de nouveau, se replacent plus vite au fur et à mesure qu’ils apprennent de leurs erreurs, et progressivement des petits miracles se produisent.
A voir ces poupées désarticulées s’agiter sur scène, on rit de leurs mésaventures, on retient aussi notre souffle, suspendu à l’issu d’une nouvelle tentative. Au détour d’une cascade spectaculaire, pointe l’admiration devant l’abnégation de ces êtres. En les observant, on perçoit tout à la fois les premiers pas d’un enfant et ceux de l’Homme, sa difficile conquête du corps à travers les millénaires, ou une vie.
Une véritable poésie se dégage petit à petit de la répétition inlassable, des petites victoires et des chutes. Dans cette proposition, ces dernières dessinent les contours d’une rhétorique, d’un art à part entière. La chute permet la compréhension et la connaissance du corps, de soi, mais c’est aussi elle qui offre l’opportunité de rencontrer l’autre et de construire ensemble. Car bientôt les sans-visage se croisent, s’emmêlent, s’entravent, apprennent de l’un et l’autre, et s’unissent dans leur quête de la station debout.
A la scène, se superpose le souvenir de ces mythologies anciennes : ces histoires de dieux qui insufflent la vie à des poupées de glaise qui deviendront les hommes. Et peut-être que oui, aux premiers instants, cela ressemblait à cette mécanique. Le dernier tableau s’accompagne d’une musique traditionnelle et scelle la mystique de cette proposition. Les ombres, enfin debout et fonctionnelles, font face à l’adversité ensemble, elles dansent comme un seul corps.
En ce sens, la Mécanique des ombres réussit à retracer avec humour et finesse l’histoire de l’humanité, celle de notre condition aussi, tout en donnant corps à l’essence même du vivre-ensemble.
Camille Vinatier
À voir, vendredi 25 octobre, au Vélo Théâtre (Apt). Renseignements ici.
La Mécanique des ombres a été vu le samedi 18 février, lors du 39ème festival Les Hivernales.
Chorégraphie, mise en scène et interprétation | Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès
Dramaturgie | Sara Vanderieck
Création sonore | Christophe Ruetsch
Création lumière | Pauline Guyonnet
Costumes | Natacha Costechareire
Photo : « La Mécanique des ombres » ©Laurent Onde