[VU] La Vie est une fête, nouvelle boursouflure décapante des Chiens de Navarre

24 janvier 2024 /// Les retours
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Programmée à La Criée par Le Gymnase hors les murs, la pièce sera présentée au Liberté-scène nationale Toulon du 31 janvier au 3 février.

Les Chiens de Navarre sont décidément totalement incontrôlables et on aime ça ! Leur dernier opus ne déroge pas à la règle qui distord les turpitudes et les dérives de notre société contemporaine pour mieux nous renvoyer à la figure notre triste réalité. Il est vrai que l’état du monde est en déroute : discours politiques prolixes en langue de bois, dépression galopante, chirurgie esthétique et sa promesse d’éternelle jeunesse, salmigondis pseudo-technologique, start-ups et vie rêvée en open space… Des micro-folies qui, passées sous la loupe caustique du metteur en scène Jean-Christophe Meurisse, prennent la forme de saillies verbales et théâtrales à mourir de rire. Un rire jaune car chacun de nous peut se sentir potentiellement concerné !

Sortie de route et dérapages

Dès son arrivée, le public est secoué par un tonique « La République, c’est moi ! » tiens, tiens… tandis que la salle transformée en hémicycle de l’Assemblée national fait la part belle aux élus : certains pataugent dans leurs assertions, d’autres s’injurient copieusement, tous huent les discours sous les coups de marteau inutiles du maître de séance. Passera ou passera pas la loi sur la retraite à 72 ans !? Qu’importe, en une seule séquence, le ton est donné : l’humour le dispute au cynisme, la caricature à la farce. La folie embrase le plateau surchauffé au point de propulser tous les protagonistes dans un hôpital psychiatrique. Les chiens sont lâchés et rien ne les arrêtera au carrefour du vrai et du faux, de la comédie et du drame, multipliant les effets sanguinolents et les instants de vérité, le suspense et l’absurde. Toute la troupe est embringuée dans la folie furieuse qui s’empare des urgences psychiatriques, sur le mode du pastiche et de l’incongruité parfaitement assumés. Impossible d’oublier l’inénarrable tirade sur les femmes, les Arabes, les juifs et les homos terminée dans un bain de sang, avec coups de revolver en prime et même une tronçonneuse ! Jusqu’à l’outrance : soudain un forcené débaroule à toute berzingue au milieu de la scène dévastée au cri de « on se croirait chez les fous » ! 

Affreux, sales et méchants

Les sketches se suivent mais ne se ressemblent pas, sauf dans leur férocité irrésistible et leur faculté à toucher la part d’ombre du spectateur. Celle qui l’horrifie ou le stresse tout en le faisant rire quand ils osent quelques parenthèses pathétiques sur la détresse humaine (le suicide d’une patiente ou le deuil d’une star, Christophe en l’occurrence). La traque de nos travers se poursuit avec une visite chez une gynécologue à grands renforts de bruitages amplifiés, façon récurage et rafistolage d’un vieux moteur de bagnole ; le licenciement d’un boomer par les apôtres de la pensée bobo-écolo scandée d’anglicismes en rafales ; les conversations de comptoir au-dessus des brancards par un personnel médical désenchanté… De l’ambiance carnavalesque aux scènes gores, en passant par l’humour façon Monty Python, avec Les Chiens de Navarre rien n’est en demi-mesure. Tout est dans l’exagération, la provocation, l’extravagance des situations comme du langage, peuplées d’artifices (ah, le théâtre !), de cascades, de bruitages, d’hémoglobine, de sexe, « de caca, de vomi, de zizi » ! Ces grands enfants bruyants, par ailleurs acteurs admirables, ne se contentent pas d’être indisciplinés, ils frappent juste et fort, dans une écriture scénique et littéraire qui tient de bout en bout. Aucune faiblesse ni fausse note, et c’est sans doute ce qui nous fait le plus de mal : malgré tout ce que l’on vient d’encaisser, la vie reste une fête…

Marie Godfrin-Guidicelli
Crédit photo : ©Philippe Lebruman

À voir du 31 janvier au 3 février, à Liberté – Toulon.

Générique

Mise en scène Jean-Christophe Meurisse | Collaboration artistique Amélie Philippe | Jeu Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch | Régie générale, décors et construction François Gauthier-Lafaye | Création lumière Stéphane Lebaleur
| Création son Pierre Routin
| Régie plateau Nicolas Guellier | Costumes et régie plateau Sophie Rossignol | Direction de production Antoine Blesson
| Administration de production Jason Abajo
| Chargées d’administration, de production et de communication Flore Chapuis et Marianne Mouzet
| Stagiaire en administration, production et communication Flora Courouge 

Production Les Chiens de Navarre
Coproduction Les Nuits de Fourvière – Festival international de la Métropole de Lyon ; La Villette – Pa- ris ; MC2 : Maison de la Culture de Grenoble ; Le Volcan scène nationale du Havre ; TAP – Théâtre Audito- rium de Poitiers ; Teatros del Canal – Madrid ; Le Quartz scène nationale de Brest ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; La Rose des Vents scène nationale de Villeneuve d’Ascq ; Scène nationale Carré-Colonnes – Bordeaux Métropole ; Les Salins scène nationale de Martigues ; Le Manège scène na- tionale de Maubeuge ; Château Rouge scène conventionnée d’Annemasse ; La Comète scène nationale de Châlons-en-Champagne ; L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay
Avec le soutien du Théâtre des Bouffes du Nord, de la Ferme du Buisson scène nationale de Marne-la- Vallée et de la Maison des Arts de Créteil 

La compagnie Chiens de Navarre est soutenue par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle. 

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