[VU] Le Roi se meurt, vive le Roi !
Emma Dante clôt sa trilogie inspirée du Conte des contes de Giambattista Basile avec une légèreté granguignolesque teintée de douleur.
Emma Dante voit le monde comme une tragi-comédie grotesque dans laquelle ses anti-héros se débattent à grand renfort de gesticulations, de chuchotements, de jérémiades. Après La Scortecata en 2018 et Pupo di zucchero en 2021, la figure du Roi occupe la place centrale de Re Chicchinella. Dans le conte comme sur le plateau dépouillé d’artifice, d’abord caché sous un jupon de dentelle noire, puis éructant, souffrant ou pleurant dans sa nudité. Car Le Roi est malade, il refuse de manger depuis qu’une poule intrépide qu’il croyait morte a décidé de s’installer dans son cul à l’occasion d’une défécation derrière un buisson ! Depuis, il se tord de douleur, gémit, crie, se lamente entouré d’une basse-cour (au sens propre comme au figuré) pépiant toute la sainte journée. Courbettes à la cour, génuflexion à l’église, aucun conte italien ne saurait se passer de la présence de l’église, les cocottes n’en finissent pas de jacasser et de s’empiffrer. Mais le Roi met beaucoup de temps à agoniser, dans d’horribles souffrances, et la basse-cour s’impatiente : vivre ou mourir, il faut choisir. Le Roi n’est pas dupe qui connaît toutes les bassesses de ses courtisanes, de son épouse et de sa fille à l’affût de sa ponte quotidienne : un œuf en or, pardi, une aubaine ! Du-t-il souffrir encore…
Comme souvent avec la metteure en scène sicilienne, on nage à grandes brassées dans la commedia dell’arte, ses bouffons, sa grandiloquence et ses situations extravagantes qui lui plaisent tant, mâtinée de métaphores et de noirceur. Sur la mort, bien sûr, sur la solitude du pouvoir, les manigances de la cour, la cupidité des hommes, avec un sens remarquable du rythme et une qualité d’interprétation sans égal. Avec cet art « du peu », elle se joue des situations abracabrantesques – le banquet des poulettes affamées, les soins au Roi et leur cortège de miasmes et de pets – pour nous faire rire et se moquer des puissants ; avec cet art « du peu », elle transcende une énième dispute entre les deux monarques en un face-à-face bouleversant. Toujours le sens des images fortes, comme celle qui ouvre et clôt la pièce, de la parade populaire, des faux cols et des faux-culs. On pourrait presque croire ici à une opérette tant la pièce joue sur du velours. D’aucuns lui reprocheront une certaine « facilité » et des ballets un peu balourds quand d’autres joueront le jeu sans être dupes. Comme Le Roi.
Maire Godfrin-Guidicelli
Crédit photo : © Masiar Pasquali. Courtesy Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa
Générique
Texte et mise en scène Emma Dante · Librement inspiré du Conte des contes de Giambattista Basile · Avec Angelica Bifano, Viola Carinci, Davide Celona, Roberto Galbo, Enrico Lodovisi, Yannick Lomboto, Carmine Maringola, Davide Mazzella, Simone Mazzella, Annamaria Palomba, Samuel Salamone, Stéphanie Taillandier et Marta Zollet · Éléments scéniques et costumes Emma Dante · Assistante costumière Sabrina Vicari · Technicien en tournée Marco D’Amelio · Traduction du texte en français Juliane Regler · Surtitres Franco Vena · Coordination et diffusion Aldo Miguel Grompone, Rome
Production Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, Atto Unico, Compagnia Sud Costa Occidentale, Carnezzeria srl
Coproduction Teatro di Napoli – Teatro Nazionale / Teatro Stabile del Veneto – Teatro Nazionale / Carnezzeria / Célestins Théâtre de Lyon / Châteauvallon-Liberté, scène nationale / Cité du Théâtre – Domaine d’O – Montpellier | Printemps des Comédiens