Vu #OFF18 – An irish story par la Compagnie Innisfree
Le 12 juin dernier, les avant-premières du Off 2018 de l’Artéphile s’ouvraient par la proposition de la compagnie Innisfree, An Irish story. Retour sur cette émouvante épopée familiale.
Sur le plateau, une table, un pouf, et des fils tendus tout le long, sur lesquels on est venu pincer des photos de paysages, des portraits… À mi-chemin entre la galerie de souvenirs de famille et le mur de photos de Sherlock Holmes. A peine installé, on sait que la proposition de la compagnie Innisfree nous immerge dans la mémoire d’une famille.
La famille Ruisseau. Une famille franco-irlandaise normale. Normale car, comme toutes les familles, elle porte en son creux des secrets. Un en particulier, qui, comme tous les secrets, fragilise, ronge, les liens. La disparition du grand-père, Peter O’Farrell. Dans les cas les plus heureux, arrive un vaillant maillon de la chaîne familiale qui (pour survivre?) s’attaque à la chose. Ici, ce maillon, c’est Kelly.
Pour impressionner ceux qu’elle rencontre, et pour amadouer le mystère, la jeune femme invente, comme une enfant, de rocambolesques aventures à ce grand absent. Au temps de fantasmes qui comblent difficilement le silence et le manque qui résonnent sourdement dans la famille. Alors que l’héroïne s’apprête à fonder la sienne, le besoin de donner un sens à cette histoire incomplète l’entraîne à braver le tabou et à partir à la recherche du disparu. Au gré de son aventure, Kelly détricote avec maladresse les méandres du secret et se frotte à ses terribles – tout à la fois géniales et effrayantes – gardiennes, sa mère et sa grand-mère. L’affrontement l’amène à lever le voile sur d’autres vies, dissimulées par le poids pudique des générations, en d’autres lieux – de la France à l’Irlande, en passant par Londres.
Une enquête familiale
C’est une enquête fondamentale que nous suivons – tantôt inquiets, tantôt émerveillés – aux côtés de Kelly Rivière, pour tenter de reconstituer le puzzle d’une famille en exil. Si elle est seule sur scène, la comédienne donne corps avec tendresse et brio, à une épatante galerie de personnages, tour à tour poignants, agaçants et drôles. Autant le dire tout de suite, on rit follement devant cette proposition souvent grinçante. Mais, la force de cette histoire irlandaise est aussi d’effleurer avec sensibilité les effets irrémédiables des non-dits, de la perte et de l’abandon sur chacun des membres.
La quête effrénée de vérité de Kelly ressemble à certains égards à de la psychogénéalogie. Démêler les nœuds de l’histoire familiale pour ne plus reporter sur les suivants les traumatismes des anciens. An Irish story se joue des générations tout en interrogeant finement les questions de mémoire et d’héritage. Et enfin, l’oubli, avec cette terrible question : « Peut-on forcer quelqu’un à exister ? »
Si derrière l’histoire de l’héroïne, on devine une quête réelle et personnelle, Kelly Rivière parvient à l’équilibre subtil et pudique entre l’autobiographie et la fiction. Elle nous fait entrer, avec une émotion parfois débordante, toujours touchante, dans l’intimité d’une famille aux traits universels.
On n’oublie pas que la famille de l’héroïne raconte aussi l’histoire des petites gens, de l’exil des Irlandais, des vies abandonnées pour des terres supposées meilleures. Une mise en perspective avec l’héritage de la 3e génération, plutôt salutaire en des temps où l’exil se poursuit en d’autres lieux.
Ce récit haletant des origines nous immerge dans un voyage jubilatoire de mots et d’accents, un aller-retour constant entre les cultures et les langues, et explore avec une intelligence sensible et un humour décapant la puissance des secrets de famille.
Camille Vinatier
Crédit photo : Benjamin Chauvet
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An Irish Story, à découvrir à l’Artéphile, du 6 au 27 juillet à 21h20. Relâches les dimanches 5, 10, 22.
Texte de et avec Kelly Rivière.
Compagnie Innisfree / Histoire de
Collaboration artistique : Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré. Collaboration artistique à la lumière et à la scénographie : Anne Vaglio. Scénographie : Grégoire Faucheux. Régie : Charlotte Poyé. Costumes : Elisabeth Cerqueira. Crédit photo : Benjamin Chauvet.
A partir de 14 ans.