Vu #OFF18 – Du nord au sud, récit d’une expérience par la Compagnie des Passages
Du nord au sud est l’histoire d’une rencontre, celle entre une artiste, des élèves et le monde de l’Éducation nationale. Wilma Lévy revient pour nous sur son expérience – passionnante / douloureuse – menée avec deux lycées de Marseille lors d’un projet pédagogique « dérangeant ». Une proposition menée magistralement par la comédienne/metteure en scène, entre récit personnel et documentaire sociologique, qui interroge, avec une grâce subtile et une passion affirmée, notre monde, notre École et notre rapport à l’autre/les autres.
Une artiste au lycée
L’éducation culturelle et artistique règne en maître aujourd’hui dans l’univers scolaire. L’idée que les jeunes doivent rencontrer et travailler avec des artistes est unanimement reconnue, revendiquée. Le ministère de l’éducation nationale explore depuis quelques années cette Rencontre et ses modalités. Sur le papier, le concept suscite l’engouement de tous. Mais sur le terrain ? Wilma Lévy donne à voir une plongée dans l’École de la République actuelle en revenant sur un projet, appelons plutôt cela une expérience, menée à Marseille auprès d’un lycée dans les quartiers Nord (Saint-Exupéry) et d’un lycée dans les quartiers Sud (Marseilleveyre). Le projet a pour ambition d’explorer sur le terrain les notions auxquelles sont confrontés les élèves en cours de géographie et d’économie, celle fondamentale de territoire et les perceptions de la ville, mais aussi celle de frontière dans toutes ses acceptions, et enfin de donner lieu à une restitution mêlant enquête, danse et théâtre.
Récit d’une rencontre
C’est au cœur d’un plateau épuré – ponctué d’un bureau d’écolier, de deux chaises, d’un porte-manteau – que l’artiste entreprend de redonner vie à cette expérience. Pour conter, Wilma Lévy donne la parole aux différents protagonistes, les élèves, les enseignants, l’administration, et la sienne au milieu de ce tumulte. Tantôt elle incarne ces voix dissonantes avec humour et un talent pour croquer les postures, tantôt elle s’efface au profit des enregistrements où résonne la voix des jeunes, tantôt elle laisse place au témoignage filmé d’un convaincu de l’École.
La proposition débute à la Rupture, à la Friction. Au refus des jeunes à poursuivre le projet qu’ils ont porté jusqu’ici. Dans un combat de conviction, qui relève du virtuose, l’artiste creuse pour mettre à jour les raisons derrière ce désengagement soudain.
« Nous on voyait pas forcément et le projet y nous met face à un truc » expliquera un élève. La proposition de Wilma Lévy témoigne de l’irruption au cœur du projet de la fracture sociale, des préjugés, et de leur intériorisation par les jeunes. Comment grandir, se construire, s’affirmer, entre cette urbanité et les représentations que tous véhiculent et portent en creux ? Y compris ceux, confrontés à la réalité (à la détresse) du quotidien, qui tentent de les accompagner et de les former pour une vie d’adulte ? Tous semblent porter les stigmates de ce mal d’aujourd’hui et tous se confrontent à l’artiste.
La comédienne tente de rebondir, de trifouiller, de détricoter. Et c’est ici qu’on mesure combien l’artiste a toute sa place, en médiateur avec l’extérieur, pour accompagner, décentrer, extirper les jeunes du carcan que constitue leur environnement – physique et mental. A la condition, peut-être, de bénéficier d’un soutien inconditionnel de la part de l’Ecole.
D’un certain point de vue, Du Nord au Sud est l’histoire d’un échec. Celui du projet ? Celui de l’artiste ? Se pose aussi la question fondamentale et terrible : Est-ce que l’École de la République est encore en capacités d’aider les élèves à y croire ? La force affirmée de cette proposition est justement de ne pas donner de réponses, de rester dans le champ de l’étude en confrontant les discours et les points de vue. Les tensions qui ont émergé tout comme les questionnements qui ont traversé l’artiste-citoyenne se poursuivent sur le plateau, et par la suite dans nos esprits.
Le récit de cette éprouvante expérience nous semble être la démonstration ô combien nécessaire de la rencontre entre les artistes, les jeunes et l’Ecole, et ce même si tout ne fonctionne pas comme prévu, car c’est justement dans ces interstices de liberté/d’happening, d’où émergent tantôt des frictions, tantôt des moments de grâce, que s’esquisse peut-être le début sinon d’une réponse, du moins d’un remous créateur et bénéfique pour tous – osons l’espérer.
Honnêtement, il faut courir voir la passionnante Wilma Lévy.
Camille Vinatier
Du 6 au 27 juillet 2018 à 10h50 à l’Artéphile / Relâches les dimanches.
Par la Compagnie des Passages | Ecriture et interprétation Wilma Lévy | Regard extérieur Jenny Lauro Mariani | Accompagnement dramaturgique Anyssa Kapelusz | Lumières Séverine Monnet | Vidéos Catherine Legrand | Diffusion Nadia Lacchin.