[VU] Peeping Tom fait sa révolution
Le huis clos polaire de Peeping Tom S 62° 58′, W 60° 39′ – South 62 degrees 58 minutes, West 60 degrees 39 minutes, brise la glace. Retour.
Tous, nous voulions voir « la danse » hyperréaliste de Peeping Tom, sa gestuelle acrobatique, arc-boutée, unique ! Mais Franck Chartier en a décidé autrement et c’est tant mieux car S 62° 58’, W 60° 39’ nous a laissés K.O. debout ! On oserait presque dire qu’il nous a fait chavirer… mais ce serait trop facile eu égard au naufrage auquel on a assisté en direct : celui d’un bateau pris dans les glaces arctiques et, surtout, celui d’une équipe artistique au bout du rouleau. Comme toujours avec la compagnie, le décor et la scénographie sont justes époustouflants – ah ! les caravanes et déjà le froid polaire dans sa pièce culte 32 rue Vandenbranden de 2009 ou le vieux salon éculé dans A Louer en 2012 – mais ce n’est pas tout. Ménageant avec malice l’art du faux et du vrai, les acteurs-danseurs nous entraînent dans un cauchemar éveillé, entre leur désir de survivre à l’épreuve du froid et leur volonté d’en finir avec la tyrannie du metteur en scène. Car, face à l’irrévocable (une mort probable), ils se déchainent, vocifèrent, se révoltent tour à tour contre ses fantasmes, sa violence morale, sa misogynie, ses idées fixes qui les aliènent depuis plus de quinze ans ! Aussitôt le piège se referme sur nous qui croyons voir une fiction bien ficelée sur les dangers de la navigation en haute mer, mais comprenons qu’il s’agit d’un règlement de comptes en bonne et due forme. Une réflexion à voix haute sur l’art et son corollaire éventuel, le harcèlement et le despotisme du créateur, parsemée de cris, de pleurs, de rires au fil de situations ubuesques ou cauchemardesques.
Huis clos polaire
Tout ça n’était donc qu’une mascarade, du cinéma en carton-pâte, un faux semblant digne des blockbusters hollywoodiens ?! Pas d’orage ni de tempête, pas d’enfant mort ni de fin du monde apocalyptique : seulement un tournage qui cristallise toutes les rancœurs des acteurs, leur colère ressassée, leurs angoisses existentielles, leurs engagements personnels (la scène de la mort du poisson est anthologique !) et tout cela par la faute d’un « Castelluci de Molenbeek » (sic !) qui les vampirise, les torture, enfonce son poignard au plus profond d’eux-mêmes. Franck Chartier n’y va pas par le dos de la cuiller pour exprimer ce fatras de sentiments dans des situations tragi-comiques du plus bel effet : ne demande-t-il pas à son acteur de jouer un iceberg durant de longues séquences ou à son actrice fétiche de mimer une scène de viol hyperréaliste ?
La solitude d’un acteur de fond
Si le rêve de tout metteur en scène est de créer « une pièce éternelle qui n’aurait jamais de fin », Franck Chartier plonge son personnage principal dans un monologue de près de quarante minutes au bord de la démence, en proie à son moi intérieur qui n’est autre que son sexe. Son « démon », son double, son totem, qui le fait psalmodier et hurler sur scène entièrement nu, osant des postures et des jeux dignes d’un Peep Show. Ou presque. C’est que la douleur d’un acteur incompris est indicible et qu’il lui faut se mettre en danger pour se révolter. Bref, pour exister. Face à cette débandade de pacotille – nous sommes au cœur d’une vaste machine théâtrale -, mi-admiratif mi-interloqué, on applaudit la performance et le speech, on salue le pari de Peeping Tom de défier « Castelluci de Molenbeek » avec autant d’ardeur.
Marie Godfrin-Guidicelli
Crédit Photo : Olympe Tits
Générique
S 62° 58’, W 60° 39’ a été donné au Pavillon Noir les 12 et 13 avril, Aix-en-Provence
Concept et mise en scène Franck Chartier · Création et performance Marie Gyselbrecht, Chey Jurado, Lauren Langlois/Yi-Chun Liu, Sam Louwyck, Romeu Runa, Dirk Boelens, avec l’aide de Eurudike De Beul · Assistance artistique Yi-Chun Liu, Louis-Clément da Costa · Assistante scripte Imogen Pickles · Conception sonore et arrangements Raphaëlle Latini · Scénographie Justine Bougerol, Peeping Tom · Conception lumières Tom Visser · Chorégraphie Yi-Chun Liu, Peeping Tom · Costumes Jessica Harkay, Peeping Tom · Assistant artistique technique Thomas Michaux · Création technique et accessoires Filip Timmerman · Équipe technique en tournée Filip Timmerman (régisseur plateau), Clément Michaux (premier technicien plateau), Jo Heijens (son), Bram Geldhof (lumières)
Assistant technique (création) Ilias Johri · Coordination technique Giuliana Rienzi · Construction décor KVS-atelier, Peeping Tom · Stagiaire Arthur Demaret (lumières) · Chargés de production Helena Casas, Rhuwe Verrept · Chargée de tournées Alina Benach Barceló · Chargés de la communication & de la presse Sébastien Parizel, Lena Vercauteren · Administratrice Veerle Mans
Production Peeping Tom
Coproduction KVS – Koninklijke Vlaamse Schouwburg (Brussels), Biennale de la Danse (Lyon), Teatros del Canal (Madrid), Théâtre de la Ville (Paris), The Barbican (London), Tanz Köln (Cologne), Festival Aperto/Fondazione I Teatri (Reggio Emilia), Torinodanza Festival/Teatro Stabile di Torino – Teatro Nazionale (Turijn), Teatre Nacional de Catalunya (Barcelona), & Espoo theatre, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, CC De Factorij Zaventem.
Distribution Frans Brood Productions
Remerciements Lio Nasser, Leietheater (Deinze)