[VU] TAIRE de Tamara Al Saadi, Antigone et Eden en miroir cassé

La metteuse en scène Tamara Al Saadi tente de mettre en parallèle le destin d’Antigone et d’Eden, jeune fille d’aujourd’hui ballotée de familles d’accueil en familles d’accueil et en foyers. Une tentative ratée pour Ouvert aux publics.

Sur le papier, le projet a de quoi séduire. On lit sur dans la feuille de salle que « Tamara Al Saadi met en miroir deux jeunesses qui s’observent à travers les âges : l’adolescente placée par l’Aide sociale à l’enfance […] et l’héroïne mythologique qui désobéit au pouvoir royal pour enterrer son frère. » Et la question qui suit est de savoir quels sont les moyens que la metteuse en scène, découverte avec PLACE, sa première création lauréate du prix du jury du Festival Impatience, va mettre en place pour nous proposer son théâtre entre sciences sociales et création théâtrale.

Si le projet initial était pour Tamara Al Saadi d’ « interroger des adolescentes et adolescents habitant sur des territoires marginalisés ou victimes de ségrégation urbaine afin de faire coexister leurs regards avec des jeunes du même âge de Palestine – et plus précisément de Gaza » , les évènements du 7 octobre 2023 ont stoppé net celui-ci la laissant dans une totale sidération, ce qui est totalement compréhensible. Pour autant, la figure d’Antigone est toujours présente pour la metteuse en scène, qui lit en elle le sentiment d’impuissance que l’on peut ressentir étant jeune face aux décisions des adultes.

TAIRE, bienvenue dans le monde de l’Aide sociale à l’enfance et dans le silence d’Antigone

C’est ainsi que TAIRE advient. D’un côté, la figure d’Antigone à travers les Sept contre Thèbes d’Eschyle et de l’autre, le personnage d’Eden créé à partir des recherches réalisées sur le terrain avec des enfants placés en institution.

Sauf qu’ici, les deux récits ont du mal à s’interpénétrer, à coexister au plateau. Mis en parallèle, les deux tragédies se déploient dans une choralité exemplaire sans jamais se faire véritablement écho sauf si l’on porte un regard critique d’une grande indulgence.

Toutes les histoires sont cruelles et effectivement, le constat glaçant sur l’Aide sociale à l’enfance fait par Tamara Al Saadi tire à partir de ses recherches de terrain l’est assurément. Mais Antigone et Eden sont toutes deux enfermées dans leur siècle et au nom des textes fondateurs, on ne peut mêler l’histoire de nos deux valeureuses héroïnes convenablement.

Une grande choralité

Mais TAIRE est d’une grande choralité et c’est sa réelle force. On retient la bruiteuse oh combien géniale Eléonore Mallo, qui fait preuve d’ingéniosité pour bruiter tout ce qui peut être imperceptible à l’oreille, les riffs de Fabio Meschini ainsi que les chants et percussions du grand Bachar Mar-Khalifé.

Côté jeu, Chloé Monteiro est une Eden à fleur de peau bouleversante, Mohammed Louridi est convaincant en garde avec son interprétation de Désenchantée de Mylène Farmer, Ryan Larras l’est tout autant en servante déjantée, et la figure fraternelle campée par Ismaël Tifouche Nieto est d’une justesse parfaite. À l’inverse, Créon se retrouve surjoué par Manon Combes qui est plus convaincante en agent de l’Aide sociale à l’enfance.

Les lumières de Jennifer Montesantos sont sublimes et les images ainsi créées en clair-obscur sont de toute beauté mais ne suffisent pas à nous faire oublier l’ennui ressenti par moment.

Tamara Al Saadi livre ainsi une œuvre fictionnelle sociétale chorale à la mise en scène parfaite.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

TAIRE a été vu le 21 juillet 2025 dans le cadre du Festival d’Avignon. En tournée : Théâtre Jeu de Paume – Aix-en-Provence : du 30 septembre au 4 octobre 2025 / Théâtre Joliette – Marseille : 7 et 8 octobre 2025 / Théâtre La Colonne Scènes et Cinés – Miramas : 12 mars 2026 / Théâtre La Passerelle – Scène nationale de Gap : 18 mars 2026 / les autres dates ici

Générique

Avec Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar, Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais / Texte et mise en scène Tamara Al Saadi / Assistanat à la mise en scène Joséphine Levy / Collaboration artistique Justine Bachelet / Scénographie Tamara Al Saadi et Jennifer Montesantos / Création sonore et musicale Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini / Création lumière Jennifer Montesantos / Chorégraphie Sonia Al Khadir / Costumes Pétronille Salomé / Régie générale Jennifer Montesantos et Nicolas Balladur / Assistanat création son et régie son Arousia Ducelier / Assistanat création lumière et régie lumière Elsa Sanchez / Régie plateau Sixtine Lebaindre / Assistanat création costumes Irène Jolivard / Direction de production Elsa Brès / Production et relations publiques Coline Bec / Diffusion Séverine André Liebaut / Décor Ateliers Contrevent

Production

Production Compagnie LA BASE & La Criée Théâtre national de Marseille 
Coproduction Collectif ExtraPôle Paca (collectif de producteurs fédéré et soutenu par la Région Sud Paca rassemblant le Festival d’Avignon, le Festival de Marseille, le Théâtre national de Nice, La Criée Théâtre national de Marseille, Les Théâtres, Anthéa, Châteauvallon-Liberté Scène nationale et La Friche La Belle de Mai), Théâtre Dijon Bourgogne CDN, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine CDN, MC2 Maison de la Culture de Grenoble Scène nationale, Espace 1789 Scène conventionnée (St-Ouen), Le Théâtre de Rungis, Théâtre Joliette Scène conventionnée (Marseille), Théâtre du Fil de l’Eau (Pantin) 
Avec le soutien de Direction régionale des Affaires culturelles d’Île-de-France, Région Île-de-France, Département de Seine-Saint-Denis, Fonds SACD / Ministère de la culture Grandes Formes Théâtre, Dispositif d’insertion École du Nord soutenu par la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture 
Représentations en partenariat avec France Médias Monde
Les Mutuelles d’assurances et le Groupe AXA, Grands mécènes de l’édition 2025 du Festival d’Avignon.