Les Silences Obligés #2
Deuxième semaine de résidence pour Nabil Hemaïzia et Nacim Battou pour Les Silences Obligés, et deuxième volet du Suivi de Création. Pour celles et ceux qui prennent le chemin en cours de route, le premier volet est ici. C’est à Alès, au théâtre Le Cratère, que je les retrouve, une semaine après les avoir laissés à Nîmes.
Losque j’arrive, Nabil et Nacim sont en pause. Mon regard fait le tour de la salle de répétition. Elle est différente de celle du collège Condorcet. On se retrouve dans un studio de danse. Est-il important de le souligner ? Oui, car selon l’espace et l’environnement, le travail fourni est différent. Le collège Condorcet marquait le début de la création. Une semaine à essayer, à tenter un approche du propos par le geste. Au Cratère, cette deuxième semaine marque une urgence, un pallier à passer dans le processus de création. Cette semaine là est une étape décisive. Cela se ressent dans le studio. Plus proche d’une scène, Nabil et Nacim sont ces artistes qui créent, font et défont à volonté un geste, une intention, et effectuent cette recherche dans le studio-laboratoire qui est le leur.
Chacun est donc dans son coin. Nabil joue du piano et m’apprend qu’il a appris tout seul à en jouer et qu’il écrivait des partitions quand il était enfant. Nacim se repose sur son baluchon de fortune. Puis, vient l’heure de la reprise. La sixième Arts du spectacle du Collège Jean Moulin (Alès) va bientôt arriver. Il faut s’échauffer et cet échauffement devient une battle. Nabil et Nacim se jaugent dans cette bataille pour rire, et chacun apprend l’un de l’autre. Je vois se dessiner alors deux styles de hip hop.
La classe du collège arrive, présentations rapides des artistes et les questions fusent. De par leurs interrogations, les collégiens montrent l’intérêt qu’ils portent aux danseurs et au travail qu’ils vont découvrir. L’échange dure près de trente minutes. Puis vient la danse.
Une semaine me sépare de la répétition des gestes et des idées dansés. Le travail accompli durant cette semaine a permis à Nabil d’amplifier son propos, de le développer, de laisser tomber certaines idées, d’émettre d’autres interrogations. L’écriture dramaturgique prend forme, les différents tableaux ont pris de la consistance et forment les chapitres d’une histoire.
Nacim écoute les remarques de Nabil, fait et refait certains gestes en les interprétant et non en les exécutant. La différence est de taille pour la qualité du spectacle. Nabil entre et sort de l’espace scénique. Cela lui permet d’avoir le regard extérieur, qui est nécessaire à tous chorégraphes et metteurs-en-scène dans l’acte de création. Le rendu dure près de 30 minutes. Après la sortie des collégiens, nous nous retrouvons dans le fond du studio et échangeons.
Pour vous, quel est le but de permettre aux écoles de venir voir un moment de la création ?
Nabil : Pour moi, cela me permet de formuler ma pensée, de mettre des mots sur ce que l’on fait et d’expliquer. Cela est difficile de la faire quand tu es enfermé dans ton processus de création.
Nacim : En tant qu’interprète, cela me permet de savoir si je suis dans le bon mouvement, si ce que je fais traduit bien l’intention. Le regard des collégiens, pour le cas présent, est très important car il valide ou non ce geste, ce mouvement, cette expression du visage…
Quel enseignement tirez-vous des deux semaines de résidence effectuées ?
Nabil : Nous sommes en plein processus de création. Je pense que cela va être chaud, mais je suis assez confiant. Maintenant, peut-être que ce que l’on présentera sera fragile, mais cela existera et aura le mérite d’exister.
Nacim : Je suis en flip total. Il faut que j’intègre les intentions, les différents sentiments, que j’en fasse une projection sur scène, que je les visionne. C’est ma façon de procéder, croire en une idée pour la partager et faire qu’elle soit compréhensible par tous. Avec Les Silences Obligés, je m’appuie sur nos histoires personnelles.
Nabil : Je suis face à un dilemme avec cela. Est-ce que j’ai envie de parler de moi ? La réponse est non, mais je me sers de mon vécu dans cette création.
D’ailleurs, le titre de la pièce chorégraphique sera Silences Obligés ou Les Silences Obligés ?
Nabil : Tu n’es pas la première personne à me poser la question. Le spectacle s’appelle Les Silences Obligés. Ils font référence à des silences intimes, aux non-dits qui sont tus soit par pudeur ou par peur de raconter une vérité qui s’avérerait pas terrible à entendre. Ils sont ce que l’on décide de ne pas raconter.
La semaine prochaine vous partez pour Florac. Ensuite, Nabil s’envole pour le Liban avec le Collectif deux temps trois mouvements pour la tournée de Et des poussières… Reprise de la création le 6 octobre et première de Les Silences Obligés le 22 octobre. Question timing, ce n’est pas court ?
Nabil : Il faut que l’on avance au maximum à Florac, il faudrait que toutes les notes, toutes les intentions soient écrites, que le cadre soit fixé pour mieux plonger au coeur de tout cela. Puis il y a aussi la scénographie à mettre en place, les lumières, les sons, j’ai des idées que je vais affiner. La contrainte supplémentaire est que le spectacle, qui sera en audiodescription, doit être fini pour la semaine du 13 octobre pour la retranscription. Demain, on rencontre un groupe de l’Institut ARAMAV (Nîmes) pour travailler sur nos gestes, confronter nos perceptions mutuelles.
Une petite question personnelle. Toute à l’heure, lors de votre échauffement, vous vous êtes livrés à une battle. J’ai eu l’impression de voir la old school vs la nouvelle école du hip hop ?
Nacim : Tu peux dire la New school. Oui effectivement, on peut dire qu’il y a deux styles de Hip Hop : la old school qui regroupe le break (New-york), le pop (Côte Ouest) et le lock ; la new school, c’est l’héritage de la old revu et ré-interprété et les nouvelles formes qui émergent de la musique, et ce à partir des années 90.
La discussion continue autour de la culture Hip Hop, de ses codes, de sa musique. Une danse chargée du quotidien faite par ses danseurs.
Je les quitte avec la sensation agréable d’assister à une belle aventure. Cette création portée par Nabil Hemaïzia, du Collectif deux temps trois mouvements, permet de mettre en lumière le potentiel artistique de l’autodidacte qu’il se revendique d’être et de nous faire découvrir Nacim Battou.
Laurent Bourbousson