Faites une halte à l’Espace YiiiiiiiY
Nous disons souvent que l’essentiel est dans les petites choses de la vie.
C’est ce que je ressens chaque fois que je passe devant l’espace d’exposition Yiiiiiiiy, que j’ouvre sa porte et que je découvre de petits mondes visuels, plastiques et dramaturgiques qui m’emmènent vers de nouveaux espaces de pensée et de sensations.
Les propositions de l’espace Yiiiiiiiy
Depuis fin juin, l’espace Yiiiiiiiiiy accueille, avec une relative périodicité d’un mois et demi, des expositions collectives ou monographiques de jeunes artistes émergents qui proposent au public avignonnais de découvrir leur travail.
Dans une esthétique souvent simple et abstraite de petites installations qui interagissent avec l’espace vierge du 10 rue du Chapeau Rouge, trois projets différents ont été présentés jusqu’ici.
Dans l’ordre chronologique, nous avons d’abord découvert l’exposition Poisson. Bulles… . Cette exposition a été le résultat d’une collaboration entre les trois fondateurs du lieu, Pierre Garoia, Liying Qian et Ziyu Zhou. Les trois artistes exploraient le parallèle intrigant entre les mots humains et les bulles émises par les poissons, le caractère éphémère du discours qui surgit et flotte un certain temps avant de disparaître. À travers cette installation, le visiteur était invité à plonger dans un univers imaginaire de murmures et de rêves aquatiques, où les mots fugaces ou les pensées profondes – restent en suspens pour un temps et s’effacent par la suite. Ici, le langage devenait un flux d’impressions, un échange fragile entre le présent et l’inéluctable oubli.
Dans la lignée de la disparition, de l’effacement, du cheminement de la mémoire et ses entre-espaces, en octobre, l’exposition Merci Maman de Théo Farrugia, explorait la notion de manque et du vide, de ce corps, cette image, cette idée, cette sensation ou ce sentiment qui n’est plus là mais qui a existé et laissé ses traces dans l’espace ; un espace corporel, un lieu, l’espace d’un objet tactile ou l’espace idée d’un geste ou d’un souvenir. Des fragments des matériaux bruts divers, réunis dans l’espace, devenaient de précieux témoins d’événements passés, sous forme d’une cartographie variable et infinie, et se dévoilaient comme des cicatrices intimes de l’artiste. Théo Farrugia, rassemblait une collection ready-made minimaliste et neutre d’objets industriels et des gestes implicites qui, par l’absence plutôt que la présence, révélait le caractère extraordinaire de notre quotidien, si simple et pourtant si précieux, la beauté de l’instant involontaire, qui surgit naturellement et qui remplit nos vies..
Dans notre échange, Théo a souligné l’importance de cette simplicité du geste artistique qui agit et s’efface tout de suite derrière, qui peut survenir à tout espace et qui ouvre les possibilités d’expression et de partage de l’intimité d’un artiste.
« Merci Maman (dit-il ) était, selon moi, la chose la plus intime et à la fois la plus impersonnelle que je pouvais dire, à la manière de mes pièces que j’ai présenté dans cette exposition.
Ce côté intime je l’ai retrouvé dans ce lieu atypique, notamment le plafond et le parquet qui ont largement contribué à la colorimétrie ainsi qu’au côté brut de mes pièces ».
Impossible de ne pas rire, Impossible de ne pas Oublier, l’exposition actuelle
Enfin, l’exposition actuelle de novembre, Impossible de ne pas rire, Impossible de ne pas Oublier conçue par Ziyu Zhou en référence au Livre du rire et de l’oubli de Milan Kundera, révèle l’intérêt particulier de l’artiste pour les mots quotidiens, que l’on croise dans les conversations de tous les jours, jouant avec leur exactitude ou leur ambiguïté, leur plasticité et leur façon de sonner lorsqu’ ils quittent nos lèvres et ne nous appartiennent plus. Elle explore la complexité de la communication, les compréhensions et les malentendus, les différents sentiments qui peuvent résulter par des conversations parfois intéressantes, risibles ou indifférentes, et qui parfois restent dans la mémoire et d’autres sont oubliées.
Ziyu Zhou se lance dans une recherche de musicalité et de sens en proposant des partitions linguistiques et picturales à partir des mots, des lettres ou des signes d’écriture et des images produites par son pinceau. Dans les passages et la navigation entre le français et le chinois, le spectateur est invité à observer comment un simple mot comme « oui » ou une phrase de tous les jours telle que « ça va » peuvent véhiculer des dizaines de nuances et des sensations en fonction du contexte et notre état de présence dans lequel ils sont articulés et ils sont réceptionnés, ainsi que de leurs traductions ou des langues dont ils sont issus.
« Je me procure le même plaisir qu’un(e) naturaliste en exploration (dit Ziyu) (…) Si les philosophes cherchent toujours à définir chaque mot avec précision, la langue quotidienne est quant à elle une improvisation floue et désordonnée. Autrefois, je cherchais l’exactitude dans l’expression et la compréhension ; aujourd’hui, je savoure la richesse et les délices que procure l’ambiguïté ».
Pour partager cette conception, elle utilise les mots comme matière première et les transformant en œuvres visuelles et interactives qui incitent le spectateur à participer et rendre en relation. En utilisant des objets communs (des partitions, des tote bags, des lunettes de protection, des rideaux) comme supports de composition phrastique, elle engage le public à un défi de jeux avec les mots, c’est à dire à des mises en action simples dans lesquelles les mots affirment leur identité fluide et malléable, ainsi que leur capacité à créer un univers sémantique perpétuellement évolutif et changeant.
L’Espace Yiiiiiiiy en quelques mots…
Iliana Fylla : L’Espace Yiiiiiiy est un nouvel espace d’art au cœur d’Avignon géré par un groupe de trois jeunes artistes. Quel est son projet global ? Quels sont les objectifs qui vous ont réunis autour de ce projet ?
Ziyu Zhou : Créer un espace où les talents émergents peuvent s’exprimer, se faire connaître, et enrichir notre quartier avec des œuvres qui interpellent. Nous souhaitons établir des échanges entre les artistes de Chine, d’Italie, de France et d’autres horizons, afin d’encourager un dialogue artistique ouvert et inspirant entre différentes cultures et en créant des opportunités d’échange pour les jeunes artistes des différents pays.
IF : Que signifie « Yiiiiiy » et pourquoi il a été choisi comme nom du lieu ?
ZZ : Dans les noms des trois artistes fondateur(trice)s de l’Espace, on trouve 2 Y et 7 I, et YiiiiiiiY peut se prononcer avec des durées et intonations variées, ajoutant un petit jeu sonore. En chinois, Yi signifie « Un » (représenté par les deux traits rouges dans le logo, symbolisant le caractère chinois 一). Habituellement, le caractère pour « Un » est un seul trait horizontal, mais ici, je l’ai divisé en deux tout en conservant une connexion implicite dans le mouvement du pinceau.
Selon la philosophie taoïste, Un devient Deux, Deux devient Trois, et ainsi naît l’univers. Le Deux représente le Yin et le Yang, tandis que le Un marque le début du monde.
Dans notre espace, nous offrons ce « Un » aux artistes, ainsi qu’au public du quartier, qui n’est pas celui qui fréquente habituellement les lieux d’art.
IF : L’Espace Yiiiiiiiy accueille des propositions artistiques multiformes et transdisciplinaires à travers, des collaborations qui privilégient les artistes émergents, comme évoqué précédemment. Pour quelles raisons travaillez-vous cette ouverture vers la jeunesse ?
ZZ : Liying et moi sommes de jeunes artistes, et Pierre, qui était lui-même un jeune artiste, a dû interrompre sa pratique à un moment donné. Grâce à la création de notre espace, il a pu renouer avec sa démarche artistique. Nous sommes conscients des difficultés rencontrées par les nouveaux diplômé(e)s et, avec nos ressources limitées, il nous a semblé naturel de vouloir soutenir ceux et celles qui ont le plus besoin d’opportunités. Notre espace, simple mais accueillant et chaleureux, est idéal pour accueillir des expositions de jeunes artistes en début de carrière. Nous recherchons des artistes dans notre réseau, en invitant ceux et celles dont le travail et les œuvres révèlent un potentiel à explorer. Nous défendons l’art conceptuel, souvent intrigant et peut-être moins « commercial » aux yeux du marché, mais qui mérite assurément toute notre attention et celle du public.
IF : L’espace Yiiiiiiiy accorde une place particulière à la calligraphie chinoise, à travers des ateliers découverte ? Qu’apprend-on sur la calligraphie et dans quel but ?
ZZ : Nous allons accueillir différents types d’ateliers au fur et à mesure, afin de permettre aux jeunes artistes de générer des revenus tout en partageant leur savoir-faire. Pour le moment, c’est moi, qui ai lancé le premier atelier, dédié à la calligraphie chinoise. L’objectif est de permettre aux participants de découvrir un autre univers – à travers les sinogrammes et les gestes propres à cet art – et d’introduire les Avignonnais à la richesse de la calligraphie chinoise. Bien que les Français soient souvent plus familiers avec la calligraphie japonaise, celle-ci trouve en réalité ses racines dans la tradition chinoise.
IF : Y-a-t-il un lien entre la pratique de la calligraphie et ton travail artistique essentiellement axé sur la langue et sa plasticité, Ziyu?
ZZ : Depuis deux ou trois ans, j’essaie d’établir un lien direct entre la calligraphie chinoise et mon travail contemporain, mais je n’ai pas encore trouvé la bonne combinaison. Pourtant, je suis convaincu(e) qu’un lien existe : la calligraphie chinoise, tout comme mon art contemporain, repose sur le texte (le sens de chaque mot, voire de chaque partie d’un caractère) et sur la beauté de la forme.
Je cherche donc à intégrer la calligraphie dans mon travail contemporain, mais pour le moment, je reste prudente dans cette exploration. Dans cette exposition, une œuvre, intitulée Les Partitions, exprime déjà un peu cette influence : les points et dessins qui indiquent l’intonation des mots sont inspirés des gestes et formes de la calligraphie chinoise.
IF : Les expositions programmées jusqu’à présent représentent une esthétique épurée, simple, fragile…proche, semble-t-il, des philosophies et esthétiques asiatiques plutôt qu’ européennes. Y-a-t-il une volonté de transmettre une pensée et une expérience artistique qui s’inspirent de ces courants et ces attitudes de regard et de vie ?
ZZ : Je ne parlerais pas vraiment d’un choix délibéré ; nous essayons de rester ouverts à différents styles visuels. Cela dit, il est vrai que les trois expositions que nous avons organisées jusqu’ici s’inscrivent dans une esthétique zen et épurée. Peut-être que cela reflète inconsciemment nos préférences personnelles à tous les trois.
Texte et interview : Iliana Fylla
Crédits photos : ©Ziyu ZHOU
Infos
Exposition en cours :
Impossible de ne pas Rire, Impossible de ne pas oublier, 08 – 24.11.2024
Expositions et évènements à venir (programmation en cours) :
exposition des artistes chinois(es) en décembre-janvier,
marché de cadeaux d’artistes les 7, 14 et 21 décembre de 9h30 à 17h30
exposition de Lucie Monty-Brunel en fin Janvier
dans le cadre de Passe-Murailles (ESAA), workshop dessin et performance en Mars
Expositions passées :
Poisson. Bulles…, Pierre Garoia, Liying Qian, Ziyu Zhou, 27.06 – 07.07.2024
Merci Maman, Théo Farrugia, 18.10.2024 – 03.11.2024
L’Espace Yiiiiiiiy, 10 Rue du Chapeau Rouge, horaires d’ouverture de l’exposition en cours : 8-24 Nov Mardi-Samedi 15:00-18:00, ateliers de calligraphie : mardi, mercredi, jeudi,18 :30 – 19 : 45