Le CREA, la dream team de la Roque d’Anthéron

19 août 2022 /// Les interviews - Les retours
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Lorsque l’on pense au mondialement connu et reconnu Festival international de piano de la Roque d’Anthéron, vient spontanément à l’esprit le nom de son directeur : René Martin, ceux de ses prestigieux invités, le cadre somptueux du parc Florans, l’amabilité de ses bénévoles et les chocs musicaux qui nous ont transporté·e·s.
Nous ne pensons pas au passeport-réussite de cette manifestation : l’équipe du CREA de Nantes et celle de la Roque d’Anthéron. Et pour cause, la discrétion fait partie du job et leur invisibilité reste un signe de perfection.
Cependant ces travailleurs de l’ombre, œuvrant, avec d’autres, à la meilleure mise en lumière des artistes méritaient bien un coup de projecteur. 

Au début était la passion…

En 1979, René Martin, encore étudiant, crée dans sa ville d’origine Nantes le CREA (Centre de Réalisation et d’Etudes Artistiques), qui est devenu une des structures organisatrices de concerts les plus dynamiques et prolifiques de France. La Folle journée de Nantes, avec plus de 300 concerts en 3 jours, en est sa premiére vitrine. S’exportant aux quatre coins de l’hexagone (à Marseille au Théâtre de la Criée) et du monde, de Tokyo à Varsovie, elle s’ajoute à presque 1500 manifestations que le CREA gère annuellement (l’Abbaye de Fontevraud au Mont St Michel, La Grange de Meslay, à la Baule les Moments Musicaux de L’Hermitage, les saisons de concerts au Théâtre de Nîmes…) et ainsi que de grands évènements à l’étranger. Conjointement à ce volet, est mené une politique d’enregistrement de disques sous le label Mirare.
Tout en renouvelant l’approche du concert « classique » René Martin et son équipe imposent de nouveaux horizons à la musique et élargissent son public.

Le CREA Rocassien : Nouveau défi jeune de René Martin

2021 a vu un changement dans l’organisation du Festival de la Roque d’Anthéron que nous présente René Martin : « Désormais, j’ai opté pour une nouvelle équipe spécifique en doublant les postes initiaux. Elle est autonome de celle du CREA de Nantes tout en restant en contact avec elle. Toute la logistique et la dramaturgie et le travail colossal préparés en amont dans les bureaux du 16 Rue Marie Anne du Boccage à Nantes sont suivis sur place par l’équipe que j’ai constituée ici. Afin de faire le relais et superviser Maud Pédel (logistique) vient la première quinzaine. J’ai confié la responsabilité au plus jeune : Marouan Diouani (Production). L’année derniére il a pris son poste en même temps qu’il a fêté ses 19 ans. Pour moi la valeur n’attend pas le nombre des années. (Sourire). Ils ont tous entre 20 et 24 ans. J’ai une grande confiance dans l’avenir et surtout dans les nouvelles générations. »

II n’est de secret pour personne que René Martin a toujours misé sur la jeunesse.
En perpétuelle recherche de révélations, il a invité le 16 aout dernier, une pianiste de 15 ans Alexandra Dovgan à jouer en solo au grand concert de 21h. Son dispositif d’Ensemble en résidence fait ses preuves depuis des années en permettant aux jeunes étudiants musiciens de se produire avec leurs professeurs de Master class et a vu passer les jeunes Renaud Capuçon, Adam Laloum… 

« Je trouve qu’il y a un potentiel inimaginable dans la jeune génération. Des jeunes artistes, comme ceux de mon équipe, ont une très grande maturité alors oui je fais aussi ce pari là en programmation. Mais je peux aussi mettre à l’affiche un professeur inconnu simplement parce que je le trouve magnifique ; on a toujours besoin de cet équilibre. »

Alexandra Dovgan © Valentine Chauvin 2022

Confiance – Cohésion d’équipe 

René Martin n’embauche pas des gens afin d’organiser ses projets, s’il trouve des personnes de confiance il monte des projets. 

Il se base sur le pressentiment d’une bonne osmose dans l’équipe plutôt que de se laisser impressionner par des diplômes. L’effet réseau et la possible très bonne connexion entre tout le monde prédomine : « Je connais Marouane depuis très longtemps, ses parents sont salariés chez nous. Je l’ai vu grandir au fil des  « Folle journée » de Nantes et lui nous a vu faire. Petit, il organisait des concerts avec des petites figurines. Si l’on me conseille quelqu’un je privilégie l’entente entre les personnes. C’est comme cela qu’une de ses amies Camille Ringard-Flament (employée aide à la logistique-invitations) nous a rejoint. »
Camille : « Je suis en double licence en droit et histoire de l’art à la Sorbonne. C’est ma troisième année ici, c’est mon job d’été. Je connais Marouane depuis le lycée à Nantes et nous sommes maintenant en colocation ensemble. »
Aleksandra Manitasevic (Production) après un stage, travaille maintenant à mi-temps au CREA de Nantes, et à la Roque en production.
René Martin est soucieux des équilibres à trouver : « Il peut y avoir un risque à rajouter d’autres personnes en plus. Cela aurait pût être le cas avec Blanche Meynieux (logistique et transferts), elle voulait en 20221 valider son stage de 2ème année à l’Université Paris Dauphine. J’ai sentie, à juste titre, qu’elle pouvait s’intégrer. Le passage par l’étape stagiaire est important. Cette année Irène Morillon et Margaux Schloetter (aide à la logistique) et Sylvie Masneuf pour les Ensembles en résidence complètent l’équipe. »

L’équipe du CREA – René Martin au centre

Le pianiste Nicolas Stavy disait l’année derniére : « A la Roque il n’y a pas de petit concert ». Dans la team du festival, il n’y a pas non plus de petites mains, toutes sont essentielles et doivent s’unir pour bâtir une bonne édition. 

Marouan précise qu’il n’y a pas de franc-tireur et Camille que : « Chacun a une place importante et spécifique mais en même temps chacun donne un coup de main à l’autre, transmet l’information. Dans un mail il figure plusieurs infos et demandes qui concernent divers services donc il faut que ça circule. « 
 » Nous sommes tout le temps au courant de tout, donc on ne perd pas de temps,
renchérit Aleksandra. Vous pourriez faire un article aussi sur la com, la régie ou la billetterie, il y aurait autant à dire. Le festival ne peut pas fonctionner sans tous les maillons de la chaîne. Il faut cette cohésion d’équipe. Il y a une bonne ambiance familiale on s’apprécie les uns, les autres, donc c’est plus facile de travailler comme cela même si le travail est intense, c’est agréable. Chacun mesure le travail de l’autre. »
Leurs bureaux sont au centre des bâtiments administratifs avec de part et d’autre la Régie et la Presse, la Communication, l’administration et la Billetterie. Donc au cœur de l’organisationnel et en face du distributeur d’eau du patio qui fait office de lieu de débriefing. A sept dans un bureau de configuration open-space qui ressemble davantage à une salle de révision où chacun s’entraide, la jeune équipe tricote chaque jour les conditions favorables à la bonne réussite des concerts et de l’accueil des artistes.

Responsabilité – Rigueur – Résilience

Si René Martin est connu du public pour ses chemises à fleurs et sa capacité à se trouver partout au même moment, il ne l’est pas moins pour sa notable exigence. Avec de telles responsabilités sur les épaules on le serait à moins, ainsi il ne délègue qu’en connaissance de cause. Il privilégie l’humain et dit très rarement se tromper. « Il est important pour moi de valoriser cette équipe non seulement pour sa jeunesse mais parce qu’ils assurent efficacement une organisation très minutieuse, avec une attention particulière à chaque artiste. Avec ces chaleurs comme hier à 39 degrés, il ne faudrait pas laisser un pianiste sur un quai de gare. Le temps d’envoyer un chauffeur, il va passer une heure écrasée par la canicule et risquer de rater son concert.
Nous faisons très peu de réunion. On se contacte toute la journée par téléphone. Ils sont très autonomes parce que justement je leur fais extrêmement confiance il faut qu’il ait conscience des urgences et des priorités. Lire un mail et s’en souvenir
.
Le talent de quelqu’un c’est justement de mesurer l’importance des choses. Définir les priorités et se dire : là il faut qu’on en parle à René. »

Elément central et charnière indispensable qui interagit avec les autres services, cette dynamique équipe constitue l’interface entre les artistes ou leurs agents et la logistique, que cela concerne les modalités du concert ou leur intendance durant le festival. Elle a donc en charge toute la production. En amont l’équipe de Nantes s’occupe avec René Martin de la direction artistique, du choix des artistes puis seul des feuilles de route, hébergements, des plannings des musiciens à coordonner avec ceux de la presse pour les interviews, de la Régie pour les accords du piano, les répétitions…   

Il y a donc des plannings épinglés sur chaque porte, des tonnes de post-it de couleur dans chaque bureau qui sont là pour que tout soit raccord. Lorsque l’on demande à René Martin des anecdotes de couacs il refuse, cabotinant que la rigueur c’est justement d’éviter les couacs.

Ecoute et Engagemen au CREA

Alexandre Kantorow accompagné de René Martin avant son entrée en scène © Valentine Chauvin

Les équipes doivent manier a la fois un aspect très pratique et être très attentif aux souhaits de l’artiste et à son bien-être. 

Camille nous raconte une journée type : « Nous accueillons le pianiste ou les musiciens du concert pour le raccord puis nous les amenons en loge. Ils s’installent et les personnes affectées à ce poste s’occupent d’eux ; un moment très important. Ensuite il y a le rituel : René vient les chercher dans la loge et les accompagne jusqu’à l’arrière-scène. Sauf s’il y a deux concerts à la même heure. C’est le protocole. c’est René qui a cette relation privilégiée avec les artistes. »

« Pendant que le concert se déroule, nous poursuivons notre travail, à traiter toutes les demandes qui peuvent arriver des agents pour modifier un horaire de répétition, ou bien changer le billet à la dernière minute et parfois même de programme de concert.
Il s’agit ensuite d’accueillir les artistes du lendemain. Ils reçoivent un badge, une bouteille d’eau réutilisable. Nous leurs faisons signer leur contrat, qui a été préparé par la comptabilité. René tient à ce fonctionnement de guichet unique afin d’éviter que les artistes se dispersent dans divers services. Puis nous les conduisons sur leur lieu d’hébergement. Ils sont logés en fonction de leur notoriété ou de leur souhait. Certains artistes préfèrent avoir moins de confort mais être dans le centre pour pouvoir venir répéter tranquillement quand ils veulent.
Ensuite, c’est l’étape importante de la répétition, en petite voiturette électrique si c’est un petit peu loin dans le parc. Il y a aussi le rendez-vous à prendre avec l’accordeur pour le choix de piano. C’est un moment sacré et exceptionnel, ce n’est pas le cas dans tous les festivals. Ils répètent puis cela s’enchaîne comme cela sur les trois concerts de la journée. »

Une pianiste du festival souhaitait des coussins sur sa chaise de piano pour répéter. L’un est trop mou, l’autre un peu trop dur, le dernier un peu trop grand. Bref, quand l’équipe a fini par trouver le coussin idéal, il a fallu le faire circuler dans toutes les salles de répétition.

Que ce soit par confort, par superstition (beaucoup de musiciens ont des rituels) ou pour déstresser cela donne lieu a quelques situations cocasses. Souvent loin du caprice de star, elles sont juste humaines comme ce soliste qui n’ayant plus de cigarettes a demandé à toutes les personnes du festival s’il pouvait leur acheter leurs cigarettes, même une par une…

Aleksandra : « Même lorsque le concert est lancé nous sommes là, encore à l’écoute et prêt à intervenir ou à anticiper les choses. »  

Marouan : « Nous travaillons durant un mois et demi, 7 jours sur 7 et H24 à la réussite de la manifestation. C’est de l’endurance. Un vrai marathon, il ne faut pas user de toutes ses forces la première semaine. (Sourire). Il faut se tenir prêt, se ménager et en même temps être toujours engagé. »

Et tout cela paye car cette 42eme édition est une fois de plus une réussite qui satisfait pleinement son directeur : « Je ne peux pas toujours accueillir l’artiste donc il faut que la personne qui a cette tâche en charge le fasse comme je l’aurai fait moi-même, surtout s’il vient de passer un mauvais voyage ou qu’il vit des choses personnelles difficiles.  
L’idée est que l’artiste se retrouve dans un cocon. Donc une fois de plus il faut une confiance absolue.
Cette année c’est formidable, tout le monde se souvient des prénoms de mes collaborateurs, me font des compliments sur eux et en plus ils sont remerciés nominativement sur les réseaux sociaux. Je suis heureux et très fier d’eux. »

Adaptabilité

René ne fait pas de fiches sur chaque artiste. Sur place durant la manifestation, il faut pallier à l’urgence, à l’imprévu, bousculer les plannings sans mettre en péril l’équilibre d’une journée ou la concentration d’un artiste. Il faut aussi faire plaisir.

Marouan souligne qu’il est nécessaire de veiller au bien-être de tous et donc aussi du spectateur :  « A tout moment nous sommes toujours prêts à dégainer les ponchos de pluie ou les chapeaux pour les coups de chaud lors des concerts de 18h. Ceci en raison d’une vraie synergie qui marche bien entre les équipes. C’est indispensable que le bureau de la direction artistique s’entende bien avec tous et n’hésite pas à donner un coup de main lorsque ça s’impose. »
Ce n’est pas toujours évident de faire plaisir à tout le monde mais là aussi chacun ajuste ses pratiques. Camille se souvient avoir reçu énormément de demandes d’invitations en 2020 La Roque était le seul festival de la région PACA : « J’étais avec mon classeur et mon ordi et je me suis débrouillée, j’ai trouvé ma manière de travailler et puis je me suis adaptée. René m’a rapidement fait confiance, j’ai trouvé très agréable de travailler dans ces conditions-là. Pour moi nous faisons bien fait notre boulot si les gens ne s’imaginent pas ce que ça a été d’organiser le concert.« 

Dans la team du festival, il n’y a pas non plus de petites mains, toutes sont essentielles et doivent s’unir pour bâtir une bonne édition. 

« Aimez-Vous Brahms ? »

Pour René Martin : « à part pour le poste de Dramaturgie, être mélomane n’est pas un critère de sélection pour intégrer cette équipe. Je ne cherche pas des collaborateurs qui sachent reconnaître un do majeur ou déchiffrer une partition. (Sourire). C’est la personne qui m’intéresse, son potentiel, ses qualités humaines. Je vois tout de suite si elle est extrêmement sérieuse ou pas. Ma priorité est qu’ils soient extrêmement attentifs et surtout que les missions confiées soient vraiment bien exécutées. Après, nous leurs donnons la possibilité de s’épanouir au sein du CREA.»  

Camille n’est pas du tout mélomane : « J’ai fait du solfège mais c’était une catastrophe (Rire). Mon père est musicien mais la musique classique ne m’intéressait pas particulièrement. Mais maintenant à force d’écouter, j’aime bien puisque nous avons la chance de pouvoir assister à tous les concerts. Même si nous sommes débordés de boulot nous allons vite écouter un instant ou nous les entendons quand nous passons à côté des Algeco où ils répètent. Ici, le piano est omniprésent. (Sourire)
L’année dernière, Pascal Amoyel craignait énormément le vent pour ses partitions. Il m’a demandé de jouer la pince à linge. Je devais tenir les partitions pendant tout le concert et ne connaissant pas du tout le solfège, il me faisait des signes de tête quand je devais tourner les pages. C’était la première fois que je me retrouvais face au public. J’avais le nez dans le piano, c’était physique, mes bras tremblaient un peu mais c’était super. »

Blanche est musicienne et c’est ce qui l’a attiré au festival : « Je fais de la clarinette et de la guitare et encore plus depuis le confinement. J’avais envie de faire mon stage de validation 2021 dans le milieu musical. Je venais au Festival lorsque j’étais petite avec mes parents. Je me souviens que j’aimais être en extérieur et écouter de la musique même sans savoir exactement ce que c’était Etre maintenant un peu derrière le rideau et voir toute l’organisation je trouve cela super intéressant et formateur et me servira pour n’importe quel domaine. »

Marouane n’a presque jamais joué de musique mais a baigné dedans depuis tout petit : « Avec une mère a la dramaturgie qui a en charge les feuilles de salle, les brochures… et un père régisseur au CREA Nantais, j’ai forcément pas mal traîné à la Folle journée. Ma première rencontre avec la musique date de là. Mais ce qui me fascinait à ce moment-là c’était la logistique. Cette mécanique grandiose.
Dans la logistique il y a forcément un côté logistique mais également très humain que j’aime beaucoup. Ce n’est pas quelque chose de déconnecté, nous ne sommes pas en train de faire que des tableaux Excel toute la journée même si comme le dit René il y a quand même un côté très rigoureux. J’aime beaucoup cette double casquette.
Maintenant je vais assez souvent au concert que ça soit Paris ou à Nantes. Je pense qu’il faut une sensibilité mais pas forcément par une connaissance musicale développée pour travailler ici. » 

Et après ?

Est-ce que cette expérience de travail va changer la trajectoire professionnelle de ces jeunes ?
L’avenir le dira. En tout cas cette fabuleuse équipe a en tout cas donné des idées à René Martin :
« Avec cette équipe je peux encore agrandir le festival (rire). Innover prendre de nouvelles directions parce que je sais qu’ils assureront. »

Marie Anezin

Site du Festival : ici

L’équipe du CREA LA ROQUE : Marouan DIOUANI (en formation Science Po) – Production / Aleksandra Manitasevic (mi-temps Crea) – Production / Camille RINGARD-FLAMENT- aide à la logistique (invitations) / Blanche Meynieux – aide à la logistique (transferts) / Irène Morillon – stagiaire aide à la logistique / Margaux Schloetter –  aide à la logistique / Sylvie Masneuf : Ensembles en résidence  

L’équipe du CREA NANTES : Maud Pédel, Marie-Agnès Lachèze, Océane Doucet, Marine Séverin, Claire Hurstel, Sylvaine Thépot, Sophie Chauveau, Mélanie Antier, Mohamed Diouani 

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